Laurent déplia plusieurs feuilles de papier.
— Je te fais le topo. Le contact de Pépé a un coffre là-bas, ce qui lui permet de voir comment ça se présente. L’immeuble se trouve dans une ruelle sécurisée du quartier des diamantaires.
Il montra l’emplacement sur le croquis.
— On a compté quatre-vingts caméras dans la rue, plus celles qu’on a sans doute loupées. Trente poulets en uniforme et en civil patrouillent en permanence dans le quartier. Un poste de police est implanté à vingt mètres de l’immeuble. Deux flics y sont de faction vingt-quatre heures sur vingt-quatre et des plots empêchent les voitures non autorisées d’entrer dans la rue.
Franck se pencha sur le croquis.
— Comment font les locataires pour entrer dans ce bunker ?
— Ils ont un badge magnétique. Chaque entrée est filmée. Le centre occupe dix agents de sécurité à temps plein.
Franck émit un sifflement.
— Ça se présente bien. Le pire reste à venir, je suppose. Parle-moi de la salle des coffres.
Les compères échangèrent un regard entendu.
Alex s’empara d’une photo.
— Voilà la bête. Elle n’est accessible que pendant les jours ouvrables et le centre est fermé le week-end. Le blindage de la porte a une épaisseur de soixante centimètres. Des contacts magnétiques sont fixés sur la porte, une ouverture anormale déclenche une alarme. Seuls les gardiens possèdent la clé et connaissent la combinaison.
Franck l’interrompit.
— Elle ressemble à quoi, la clé ?
— Fabrication spéciale, on oublie la contrefaçon.
— La combinaison ?
— Une molette de comptage à cent positions.
— Tout va bien. Tu as d’autres nouvelles réjouissantes ?
— Six caméras couvrent les angles du hall qui conduit à la salle des coffres. Dans ce hall se trouvent également des détecteurs de mouvements, des détecteurs de chaleur et des détecteurs de lumière.
Franck éclata de rire.
— La totale. Il manque les dobermans.
Alex secoua la tête.
— Qu’est-ce que tu en penses ?
— Je pense que c’est un coup phénoménal et qu’il y a une chance sur deux cent mille de le réussir.
Alex et Laurent répondirent en chœur, sans sourire.
— C’est pour ça qu’on a besoin de toi.
Le dilemme est une situation où il faut choisir entre deux possibilités contradictoires qui comprennent toutes deux des désavantages.
La définition m’est revenue cette nuit, je l’avais étudiée pendant mon cursus de droit.
— Café ou thé ?
— Café.
La maison est silencieuse. Il est à peine 6 heures, le jour n’est pas encore levé.
Jammet me sert un café brûlant dans un grand bol.
— Départ dans un quart d’heure. Il faut compter quarante-cinq minutes pour Avignon, un peu plus pour moi, vous savez que je roule lentement.
— Mes valises sont prêtes.
Il me sourit, pour la forme.
La nuit était censée me porter conseil. Les heures de veille que je viens d’endurer font mentir le dicton. J’ai tourné et retourné cent fois la question sans parvenir à sortir de l’impasse.
Une chose est sûre, je dois refuser d’aider Pépé. Je trahirais le serment que j’ai fait et que je respecte depuis.
Je jure fidélité au Roi, obéissance à la Constitution et aux lois du Peuple belge, de ne point m’écarter du respect dû aux tribunaux et aux autorités publiques, de ne conseiller ou défendre aucune cause que je ne croirai pas juste en mon âme et conscience.
De plus, je piétinerais les règles de déontologie qui parlent de l’indépendance, de la loyauté et du secret professionnel que l’on est en droit d’attendre de tout avocat. En divulguant la date du transfert d’Akim, je rejoindrais Francis Lambotte dans le cercle fermé des avocats pourris.
Une autre chose est tout aussi sûre, je ne peux pas refuser d’aider Pépé. Ce cinglé serait capable d’intervenir dans les heures qui viennent, de faire parler Bachir et de l’éliminer dans la foulée. Hormis jouer à la balance et prévenir les flics pour qu’ils renforcent la surveillance, je ne pourrais rien faire pour les en empêcher.
En refusant, je condamne Akim d’une autre manière. Les détenus se chargeront de lui, quelle que soit la prison où il sera transféré.
Dans les deux cas, Bachir est un homme mort.
Lui donner la date du transfert de Bachir ne suffira pas. Je ne suis pas dupe. Ma mission ne s’arrêtera pas là. J’aurai encore un rôle à jouer. Je devrai prévenir Bachir, lui transmettre des instructions, lui dire où et quand aura lieu l’intervention, lui donner des consignes de sécurité, préparer le terrain, m’impliquer jusqu’à la moelle.
— J’ai mis des croissants au four. Vous en voulez ?
Je secoue la tête.
— Non merci, je n’ai pas faim.
Hier soir non plus, je n’ai pas réussi à avaler grand-chose.
Nous n’avons pas eu l’honneur d’avoir Pépé à notre table. Jammet n’a pas justifié son absence et il ne me serait pas venu à l’idée de réclamer sa venue.
Dans d’autres circonstances, j’aurais apprécié le repas. Julie est une femme charmante, drôle et pétillante. Pendant le dîner, elle a remarqué qu’un changement s’était opéré dans mon attitude.
Elle ne connaît sûrement pas le fin mot de l’histoire, mais à force de côtoyer Jammet, elle a acquis une certaine habitude des situations de tension.
Il me lance un clin d’œil.
— Vous voulez que je vous en prépare pour la route ? Vous devez vous taper cinq heures de train, vous allez être mort de faim.
— Je mangerai à Bruxelles.
Privé de sa console, Antoine s’est montré curieux, drôle et cultivé. Le métier d’avocat le passionne. Il aimerait suivre des études de droit.
À la fin du repas, Jammet m’a conduit à ma chambre.
— Il est trop tard pour voir les jardins et les annexes. Vous les verrez une autre fois.
Une autre fois ?
Je ne suis pas pressé de revenir.
Sur le chemin, il m’a brossé l’inventaire des travaux qu’il a réalisés. Un nœud dans le ventre, l’esprit embrouillé, j’ai fait mine de m’intéresser à son récit. En écoutant son discours en bruit de fond, je me torturais les méninges pour chercher à me sortir de ce dilemme.
— Vous avez réfléchi à la question que je vous ai posée hier. Nous pouvons compter sur vous, oui ou non ?
Je sors de ma torpeur.
Comme si un inconnu parlait en mon nom, je m’entends sceller le pacte de ma trahison.
— Je vous communiquerai la date.
En mon for intérieur, j’espère qu’une solution à laquelle je n’ai pas pensé viendra illuminer les ténèbres.
Il hoche la tête en signe d’approbation.
— C’est noté.
Il a obtenu ce qu’il voulait. Qu’importe le bourbier dans lequel il me plonge.
Je tente un baroud d’honneur.
— Vous m’avez demandé de choisir entre la peste et le choléra. Qu’auriez-vous fait à ma place ?
Il se penche vers moi.
— Je suis conscient que je vous mets dans une merde pas possible. Derrière Pépé, il y a cinq enragés qui sont prêts à tout pour venger Alex et laver l’affront qu’ils ont subi. J’ai retourné le problème dans tous les sens. C’est la solution la moins mauvaise que j’ai trouvée.
Je le regarde au fond des yeux.
J’y lis un mélange de détermination et d’embarras. Cette situation lui empoisonne la vie autant que moi.
— Je vous crois.
Il se relève.
— Je vous sers encore un café ?
— Non merci.
Le premier m’a laissé un mauvais goût dans la bouche. Un goût qui ne m’est pas familier.
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