Franck la prit dans ses bras.
— Quel est ton vœu ?
Elle posa un doigt sur sa bouche et lui envoya un baiser.
— Je te le dirai l’année prochaine, s’il se réalise. En attendant, je vais te confier un autre secret, quelque chose que je te cache depuis plusieurs mois.
Franck était interloqué.
— De quoi parles-tu ?
Ses yeux se firent espiègles.
Elle lâcha dans un souffle.
— C’est l’Allemand.
— Quoi, l’Allemand ?
— C’est l’Allemand qui a les poissons rouges.
En mars 1998, les procès d’Alex et de Laurent s’ouvrirent à deux semaines d’intervalle.
À l’issue de ceux-ci, Alex fut condamné à trois ans de prison pour le braquage de décembre 1992 et Laurent écopa de quatre ans pour le casse avorté de Halle, malgré les objections de Francis Lambotte à propos de l’inculpation pour vol à main armée, celui-ci arguant que personne n’avait vu son client une arme à la main et qu’un cadre métallique, même bourré d’explosifs, n’en était pas une. Aucun d’eux ne livra les noms des autres complices.
Par une bizarrerie du sort, tous deux furent condamnés pour des braquages qui avaient échoué. Alex fut écroué à la prison de Jamioulx, près de Charleroi, Laurent à la prison de Lantin, le plus grand établissement pénitentiaire du pays, situé dans la province de Liège.
Mi-mai, Julie invita Franck dans un grand restaurant.
À la fin du repas, elle fouilla dans son sac et lui remit un cadeau d’un geste anodin.
— Tiens, c’est pour toi.
Franck s’étonna.
— Un dîner, un cadeau. Qu’est-ce que tu mijotes ?
Elle le dévisagea avec malice et fit un petit mouvement de tête vers le présent.
Franck déballa le paquet et ouvrit le boîtier qu’il contenait.
Il contempla la montre, bouche bée.
— Une Audemars Piguet. Tu es dingue ? En quel honneur ?
Elle prit un ton solennel.
— Monsieur Jammet, acceptez-vous d’être le père de mon enfant ?
Antoine naquit le 31 décembre 1998, à la clinique Édith-Cavell, à Uccle.
En mars, alors que son congé de maternité touchait à sa fin, Julie prit la décision de démissionner de chez Arianespace pour se consacrer à son fils.
Franck commençait à accepter la perspective d’une vie de famille sans histoire et ses rentrées d’argent officielles lui permettaient de couvrir leurs dépenses sans attirer l’attention du fisc.
Même si le parfum de l’aventure venait de temps à autre le titiller, il pensait avoir tourné la page sur ses années de braqueur. Un de ses anciens complices était mort, les deux autres étaient en prison et le dernier membre de la bande était devenu la mère de son enfant.
Une visite à la prison de Jamioulx faillit remettre ses certitudes en question.
Ce jour-là, Alex lui parut plus nerveux que de coutume.
Franck s’en inquiéta.
— Qu’est-ce qui t’arrive ?
— J’ai demandé à parler au juge d’instruction.
— De quoi veux-tu lui parler ?
Alex grimaça un sourire.
— J’ai dit que je voulais soulager ma conscience.
Franck explosa.
— Qu’est-ce que tu racontes ?
— Calme-toi. C’est le prétexte que j’ai trouvé pour qu’il accepte ma demande. Je suis convoqué chez lui vendredi. Arrange-toi pour être bien entouré ce jour-là, que les flics ne viennent pas te chercher des poux.
Franck comprit où il voulait en venir.
— Ne fais pas le con, Alex, ça n’en vaut pas la peine. Avec ce que tu as purgé en préventive et les remises de peine, il ne te reste que quelques semaines à tirer.
— On a besoin de moi à l’extérieur, je t’expliquerai.
Le vendredi 2 avril 1999, la veille du week-end de Pâques, Alex fut transféré de la prison de Jamioulx vers le Palais de Justice de Bruxelles.
Comme il figurait sur la liste des individus dangereux, des précautions particulières furent prises et une voiture de police fut chargée d’ouvrir le passage.
Dans le tunnel Louise, au centre-ville, le véhicule fut pris dans les embouteillages. Alors qu’il était immobilisé au milieu du tunnel, à quelques centaines de mètres du Palais de Justice, une violente explosion retentit et la porte arrière du fourgon vola en éclats.
Trois hommes cagoulés, équipés de gilets pare-balles et armés de Kalachnikov apparurent.
Tout en tenant en respect les gardiens et les policiers chargés de l’escorte, ils firent sortir Alex des débris du fourgon. Il était commotionné, mais indemne.
L’un des hommes le prit à bras-le-corps et le chargea sur ses épaules. Ils se faufilèrent entre les voitures, enjambèrent le muret central et montèrent dans un puissant tout-terrain qui les attendait sur la voie opposée.
La police boucla aussitôt le quartier, mais les fugitifs réussirent à leur échapper.
Quelques jours plus tard, Franck se rendit dans le centre de Bruxelles en veillant à ne pas être suivi. Il fit plusieurs fois le tour du quartier avant de garer sa voiture dans le parking de la Toison d’or. Il remonta à pied la rue des Chevaliers et continua dans la rue Keyenveld.
Il se retourna pour voir si personne n’était en vue et sonna au numéro 16.
Un homme trapu d’une cinquantaine d’années lui ouvrit la porte et s’écarta pour lui céder le passage. Il le guida vers le premier étage où Alex l’attendait, les bras ouverts.
Ils s’étreignirent longuement.
Franck recula d’un pas.
— Maintenant, explique-moi.
Alex avait mauvaise mine.
— Ma mère va mourir. Il fallait que je la voie une dernière fois.
— Désolé, je ne savais pas. Tu aurais pu demander une visite.
— Ils ne l’auraient pas accordée. Et s’ils me l’avaient accordée, je me voyais mal retourner en taule après lui avoir dit adieu.
Ils entrèrent dans une petite pièce meublée d’une table, de quatre chaises et d’un matelas jeté dans un coin. De toute évidence, il s’agissait d’une planque temporaire.
Ils s’assirent autour de la table. L’homme qui avait ouvert était monté, mais restait à l’écart.
Franck le désigna du pouce.
— D’où ils viennent, les mecs qui t’ont fait sortir ?
— C’est eux qui me l’ont proposé. Enfin lui, surtout.
— C’est qui, lui ?
— Je vais te le présenter.
L’homme avança.
Alex força un sourire.
— Je te présente mon père. Il s’appelle Huzo, mais tout le monde l’appelle Pépé. Il ne s’est pas improvisé braqueur de fourgon cellulaire. Il n’en est pas à son premier coup.
Franck se leva et lui tendit la main.
— Enchanté.
L’homme lui broya les phalanges.
— Très heureux.
Il parlait d’une voix grave.
Franck s’adressa à Alex en se massant la main.
— Comme dit le proverbe, le fruit ne tombe jamais loin de l’arbre.
Après avoir terminé son verre, le dénommé Pépé se racle la gorge et me regarde dans le blanc des yeux.
— On était huit.
La voix est âpre, rauque.
— À part Alex et son ami, la police ne sait pas qui sont les six autres. Ils le sauront bientôt. Quelques heures, quelques jours. Je ne sais pas.
Il roule ses « r » et parle d’un ton posé, comme un médecin qui annonce à son patient qu’il est atteint d’un cancer incurable.
— On s’est retrouvés après, pas loin de l’aéroport. J’ai mis le feu à l’Audi. Les flics n’ont pas encore retrouvé la carcasse. Quels idiots, elle est sous leurs yeux ! Alex et Laurent ont gardé le Vito. Les flics croyaient qu’il brûlait à Zellik. Nous, on est repartis dans deux autres voitures.
Il s’arrête, regarde ses mains.
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