Le 4 juin 1997, il retrouva la liberté.
Après dix-neuf jours de détention, il quitta la prison en fin de matinée et rentra chez lui, à Rhode-Saint-Genèse, où Julie l’attendait.
Elle ne lui avait rendu qu’une visite à Forest et n’était restée que peu de temps.
Franck ne lui en tenait pas rigueur. La police l’avait convoquée de nombreuses fois et l’avait soumise à de longs interrogatoires. Malgré la pression qu’elle avait subie, elle était ressortie libre et n’avait jamais été inquiétée.
En plus du choc provoqué par les événements, ses parents l’avaient désavouée et les journalistes la traquaient. Elle devait en permanence faire face aux attaques de toutes parts et subir le regard accusateur des autres.
Contrairement à ses attentes, elle l’accueillit avec froideur.
Elle avait les traits tirés, le teint pâle et les yeux rougis par les veillées prolongées.
— Je suis contente qu’ils t’aient libéré.
Il s’approcha, voulut la prendre dans ses bras, mais elle se défila.
Il exprima sa surprise.
— Qu’est-ce qui se passe ?
Elle le fixa droit dans les yeux.
— Ce qui se passe ? Tu me demandes ce qui se passe ? Je vais te dire ce qui se passe.
Elle recula d’un pas.
— Mes parents me tirent la gueule, ils ne veulent pas croire que je ne savais rien. Je suis harcelée par des journalistes qui hurlent des questions à mon passage. Tous les deux jours, les flics débarquent pour me poser trois cents fois les mêmes questions. Tu t’es inquiété de savoir ce que je leur avais dit, mais tu ne m’as jamais demandé comment j’avais vécu cet enfer. Ils sont venus perquisitionner et ont foutu le bordel partout. Il m’a fallu trois jours pour tout remettre en place. Je sais, tu vas me dire que toi aussi, tu es sous pression, que tu sors de prison, mais c’est la vie que tu as choisie, tu connaissais les risques.
Franck était désemparé.
— Je ne t’ai jamais vue comme ça.
Elle ne tint pas compte de sa remarque et poursuivit sur sa lancée.
— Dès que je sors, je vois ta tête dans les journaux. Tu es une star. « Franck l’Élégant », « le grand Franck », « le Dandy », on dirait qu’ils parlent d’un acteur ou d’une rock star. Tout le monde est persuadé que tu es le cerveau des braquages et salue ton élégance, ta classe, ton physique et ton habileté à rouler les flics dans la farine.
Il bafouilla.
— Je suis désolé.
Elle haussa les épaules.
— Tu es désolé, Franck ? Moi aussi. J’en ai marre de cette vie. Marre d’être la fille exemplaire, la première de la classe, la sœur parfaite, la compagne idéale. Je rêve d’une vie simple et sans surprises, tout ce que tu détestes. J’ai envie de choses banales, de petits plaisirs, de trucs ringards. J’ai envie de travailler, de voir mes copines, de déconner avec elles, de me préoccuper de ce que je vais faire à manger le soir, d’essayer vingt paires de chaussures sans en acheter aucune, de traîner en pyjama le dimanche, de rester trois heures chez le coiffeur, de passer une soirée dans le fauteuil à regarder une connerie à la télé avec un chat sur mes genoux. J’ai envie de penser à moi, à mon futur et à ma vie. Pire, j’ai même envie de donner la vie à un enfant.
Elle tourna les talons, s’enfonça dans le canapé, replia les jambes sous elle et se mura dans le silence.
Franck la regarda pendant quelques instants, ne sachant quelle attitude adopter.
Sans un mot, il prit son sac et monta à l’étage.
Alors qu’il défaisait ses affaires, il l’entendit traverser le hall et sortir de la maison en claquant la porte.
Durant les semaines qui suivirent, il dut faire face à de nombreux problèmes.
Ses parents étaient consternés. Sans que sa culpabilité soit prouvée, ils l’accablèrent de reproches. Il dut écouter son père louer l’éducation qu’il avait reçue et ressasser les principes qu’il lui avait inculqués.
Il le menaça de changer de nom si les soupçons qui pesaient sur lui se confirmaient.
Sur un autre front, il dut reprendre les rênes de Vert d’experts. L’annonce de l’arrestation des deux gérants avait plongé les clients dans l’expectative et bouleversé le personnel. Louise, la sœur de Franck, avait tenté tant bien que mal de sauver les meubles, mais son pouvoir de persuasion était limité.
Il organisa plusieurs réunions pour rassurer les travailleurs et rendit visite à tous les clients pour redorer le blason de son entreprise.
D’un côté comme de l’autre, il prit conscience que les gens qui l’entouraient le regardaient différemment depuis les événements de mai. Ils ne s’adressaient pas à lui de la même manière, avec crainte, respect ou une admiration feinte.
Deux ou trois fois par semaine, il se rendait à Forest pour voir Alex et Laurent.
Si le premier résistait plutôt bien à l’épreuve, le moral du second était au plus bas. À plusieurs reprises, il avait dû repousser des tentatives de racket et l’avocat qui s’occupait de son affaire se montrait peu déterminé. Franck lui promit de mettre un avocat plus incisif sur la piste.
Entre ses parents, son travail, ses visites en prison et les journalistes qui cherchaient par tous les moyens à obtenir une interview exclusive, il lui restait peu de temps, de plus à intervalles réguliers, il était convoqué à la police pour répondre à des questions de routine .
Le soir, il s’enfermait chez lui.
Sans Julie, la maison de Rhode-Saint-Genèse lui paraissait vide et triste, d’autant qu’il avait confié Wiménon à sa sœur.
Il n’était pas motivé pour jouer du piano, était incapable de lire un livre ou de suivre un film. Hormis sa sœur, il n’avait personne chez qui aller et n’avait aucune envie de se précipiter dans les bras d’une autre femme.
Plus d’une fois, il frôla la déprime.
Pour se changer les idées, il passa la majeure partie de l’été à Oppède-le-Vieux.
Avec l’aide d’un homme à tout faire du village, il travailla dix à douze heures par jour. Le soir, il s’endormait comme une masse dans la chambre que Julie avait décorée quelques mois auparavant, une éternité à ses yeux.
Il revint en Belgique fin septembre, ragaillardi et bien décidé à se reprendre en main.
En l’espace de quelques jours, il conclut un nouveau contrat, aplanit les tensions avec ses parents et prit contact avec Francis Lambotte, l’un des meilleurs pénalistes du pays. Fasciné par la personnalité et le charisme de Franck, ce dernier accepta de reprendre les dossiers d’Alex et de Laurent.
Il se fixa ensuite comme mission de retrouver Julie.
Dans un premier temps, il prit contact avec ses parents, qui refusèrent de lui donner la moindre information.
Grâce à Internet, il ne lui fallut que peu de temps pour retrouver sa trace. Elle n’avait pas résisté au chant des sirènes et était entrée en tant que chef de projet chez Arianespace, à Évry, à une quarantaine de kilomètres au sud-est de Paris. La société lui avait attribué un logement de fonction. Elle travaillait six jours par semaine et ne revenait qu’un week-end sur deux pour voir ses parents.
Fin septembre, il se rendit à Évry en milieu de semaine.
Il arpenta la cité universitaire, questionna plusieurs personnes et parvint à localiser son appartement.
En fin d’après-midi, il pénétra dans l’immeuble où se trouvait son studio, monta au quatrième étage et s’assit contre la porte d’entrée.
Julie fit son apparition une heure plus tard.
Il se releva dès qu’il la vit.
Ils restèrent plantés, face à face, incapables de prononcer un mot.
Après un long silence, Franck tenta un sourire.
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