Franck resta concentré.
— Ne crie pas victoire trop vite. Il reste la combinaison.
Franck était en possession du code d’ouverture depuis plusieurs semaines.
Finkel avait réussi à fixer un caméscope miniature sur la caméra placée au-dessus de la porte. Le lendemain, il avait récupéré le film du gardien qui composait le code.
Ils retournèrent dans le hall et glissèrent la clé dans la serrure.
Pépé fit un signe de croix et indiqua la molette à Franck.
— À tout seigneur, tout honneur.
Franck inspira et expira plusieurs fois.
Dans dix secondes, il saurait.
Si les gardiens avaient changé la combinaison entre-temps, ils plieraient bagage et rentreraient bredouilles. Dans le cas contraire, il était sur le point de réaliser un casse plus spectaculaire que celui perpétré par Albert Spaggiari à Nice, en juillet 1976.
Il actionna la molette vers la droite, revint vers la gauche, repartit vers la droite.
Les autres membres de l’équipe l’observaient, les muscles tendus, le cœur battant.
Il arrêta la roulette sur le dernier chiffre et tourna la clé dans la serrure. Un déclic se fit entendre et la porte s’ouvrit.
Ils restèrent quelques instants silencieux, n’en croyant pas leurs yeux.
Pépé fut le premier à réagir.
— Franck, tu es le diable en personne !
Les cent quatre-vingt-neuf coffres leur tendaient les bras.
Finkel avait photographié le sien sous tous les angles, ce qui avait permis à Franck d’étudier le système d’ouverture et de fabriquer un outil apte à le forcer. L’opération prenait tout au plus une minute.
Ce qu’ils découvrirent pendant les cinq heures qu’ils passèrent dans la salle dépassa leurs estimations les plus folles.
Tandis qu’ils ouvraient les coffres et jetaient leur contenu sur le sol, Pépé, le plus expérimenté en pierres, faisait un tri rigoureux, allant jusqu’à négliger de superbes parures qu’il jugeait invendables.
Avant de quitter les lieux, Alex crocheta la serrure du local de sécurité et emporta les cassettes qui avaient enregistré le casse. Ils sortirent par où ils étaient entrés et se retrouvèrent chez Finkel pour que le diamantaire puisse évaluer le butin. Ils avaient convenu qu’il garderait l’ensemble des pierres et paierait chacun au fur et à mesure de la revente.
Comme il l’avait fait avec Cirilli en son temps, Franck avait dû freiner l’appétit de ce dernier. D’entrée de jeu, il avait mis les points sur les i : il n’aurait rien de plus que les autres et toucherait sa part s’il s’impliquait personnellement dans le casse.
Au petit matin, ils se séparèrent et chacun reprit la route vers Bruxelles.
Le casse d’Anvers n’avait fait aucun blessé. Aucune arme n’avait été utilisée.
Il n’y avait eu ni violence ni haine.
J’éprouve un mal fou à me concentrer. Je ne perçois qu’un brouhaha et des mouvements dans la salle.
Un procès d’assises s’étire sur deux semaines. Il mobilise de nombreuses personnes et coûte une fortune au contribuable. Un certain nombre de faits considérés comme des crimes par le Code pénal ont été requalifiés pour pouvoir être renvoyés devant un tribunal correctionnel, ce qui évite aux avocats de passer leur vie dans les salles d’audience.
La première journée est consacrée au tirage au sort des douze jurés et des suppléants. Mon rôle est passif, mais ma présence requise.
À tout bout de champ, je décroche et laisse mes pensées s’envoler vers Leila.
Hier, dès la descente du train, j’ai filé chez elle. Je suis arrivé vers 13 heures, mais nous n’avons pas déjeuné comme nous l’avions prévu. Elle a ouvert la porte et nous avons plongé dans les bras l’un de l’autre.
Les préliminaires se sont limités à leur plus simple expression. Brûlants de désir, nous nous sommes déshabillés en un temps record. Notre première étreinte a été foudroyante. La suivante remplie d’attentions et de tendresse.
Vers 17 heures, nous avons émergé.
Nous étions morts de faim. Elle a troqué le plat traditionnel qu’elle avait prévu contre une omelette aux champignons. La dernière bouchée avalée, nous sommes passés sous la douche et avons replongé dans le lit. Ce n’est qu’en fin de soirée que nous sommes sortis de notre parenthèse euphorique.
Comme je m’y attendais, le premier sujet qu’elle a abordé a été mon séjour à Lyon.
Je m’étais interrogé sur la réponse à lui donner pendant le voyage de retour. Il était hors de question de lui révéler les dessous de l’affaire et le marché que j’avais passé avec Jammet. En plus d’être un avocat marron, je l’aurais impliquée de manière indirecte dans la combine.
D’un autre côté, je ne voulais pas évoquer un déplacement professionnel fantaisiste et m’empêtrer dans les mensonges.
J’ai trouvé une solution à mi-chemin.
— J’ai rencontré Franck Jammet. Pour des raisons que je ne peux pas te dévoiler, je te demande de ne pas me poser de questions. Je sais que tu t’es investie pour m’aider dans cette histoire, mais la situation a changé. Laissons cette affaire en dehors de nous.
Ma réponse a jeté un froid.
Elle a senti mon embarras et laissé passer un temps.
— Si c’est ce que tu veux, je ne t’en parlerai plus. Je suis sûre que tu vas arranger ça pour le mieux.
Je n’ai fait que reculer l’échéance.
Quand elle apprendra l’évasion d’Akim, elle comprendra le rôle trouble que j’ai joué.
Notre rupture est programmée.
L’image qu’elle a de moi s’effondrera comme un château de cartes. Même amoureuse, elle me verra comme un pestiféré, un dissimulateur et un menteur.
À midi, je me rends à la buvette réservée aux avocats. La pièce est sombre et mal chauffée. Je grignote un sandwich insipide accompagné d’une bière tiède.
En sortant, je croise l’un de mes confrères. Il me parle de choses et d’autres, de son affaire en cours, de l’élection du prochain bâtonnier. Je l’écoute avec la désagréable sensation de ne plus faire partie de l’Ordre.
Leila m’a proposé de rester pour la nuit. J’ai prétexté que je devais récupérer le dossier du procès et je suis rentré chez moi.
Je me suis retourné dans mon lit sans trouver le sommeil. La mine déconfite de Leila me poursuivait. Une nouvelle fois, j’ai cherché comment me sortir de ce mauvais pas. L’espace d’un instant, j’ai tenté de me convaincre qu’il s’agissait d’un bluff. La manœuvre avait pour seul but de me faire cracher la date du transfert. Jamais Pépé n’oserait déclencher un massacre et tuer Bachir de sang-froid.
J’ai revu son visage, ses yeux menaçants, sa détermination.
Au lever du jour, j’ai envisagé une dérobade.
Comme la loi ne prévoit rien en cas de transfert d’un détenu, l’avocat est en général informé par le détenu lui-même ou par sa famille. Je n’avais qu’à donner le numéro de Jammet à Akim et lui dire qu’ils s’arrangent entre eux, que je ne voulais rien savoir, que je m’en lavais les mains comme Ponce Pilate.
En faisant cela, j’aurais ajouté la lâcheté et l’hypocrisie à ma forfaiture.
À 18 h 30, la présidente décide de lever la séance.
Je suis épuisé.
Je retrouve ma voiture et mon téléphone. Les messages défilent. L’un de mes associés a une question à me poser, mon comptable a des documents à me faire signer, un client me demande de le rappeler.
Le message suivant me donne la sensation qu’on retourne un seau de glace pilée sur ma tête.
Adel Bachir m’informe qu’Akim sera transféré de la clinique Saint-Pierre à la prison de Saint-Gilles vendredi prochain, dans la matinée.
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