Je mets le contact et démarre en trombe.
Je débouche place Royale et descends la rue de la Régence. La nuit est tombée. La lune est pleine et semble démesurée. Le Palais de Justice revêt des allures fantomatiques sous la clarté laiteuse.
Je contourne la place Poelaert et m’engouffre dans le tunnel.
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Dans les heures qui suivent
Dans l’édition du Parisien du mardi 2 avril 2013, la journaliste Christine Ferjac signa un article qui fit grand bruit.
Intitulé Le casse de Zaventem résolu , elle y établissait un rapport entre plusieurs événements qui avaient défrayé la chronique judiciaire belge durant les mois de février et mars.
Selon elle, le vol des diamants, les cadavres d’Alex Grozdanovic et de Laurent Nagels découverts calcinés à Ittre, l’évasion spectaculaire d’Akim Bachir et l’assassinat des frères Milic étaient liés.
À l’origine de ces faits se trouvait un diamantaire anversois.
Comme l’ensemble de ses confrères, il avait connaissance des dates des transferts et savait qu’une livraison importante aurait lieu le 18 février.
Il avait élaboré un plan tortueux pour s’emparer des diamants tout en restant à l’écart. Son idée était d’approcher des braqueurs professionnels pour qu’ils réalisent le coup et de leur subtiliser le butin après l’intervention.
Pour ce faire, il avait engagé les frères Milic, deux petits truands spécialisés dans le trafic de voitures.
Dans un premier temps, l’un des frères Milic avait approché Akim Bachir. Ce dernier avait noué des liens d’amitié avec Alex Grozdanovic lorsqu’ils étaient à la prison d’Andenne et l’avait aidé à s’évader.
Milic lui avait donné l’ordre de prendre contact avec Alex Grozdanovic et de le tuyauter sur le transfert pour qu’il mette sur pied le casse. Soumis à un chantage, Akim Bachir avait obéi et proposé l’affaire à Grozdanovic.
Celui-ci avait mordu à l’hameçon et réalisé l’opération en compagnie de Laurent Nagels et de six hommes de main.
Le braquage accompli, Grozdanovic et Nagels s’étaient fait délester du butin et assassiner par les frères Milic. Ces derniers comptaient faire disparaître Akim Bachir dans la foulée, mais il leur avait échappé en simulant l’attaque d’un bureau de poste à Anderlecht.
Par crainte que Bachir les dénonce à la police, ils avaient mis un contrat sur sa tête et fait appel à des détenus russes pour qu’ils se chargent de lui régler son compte à la prison de Forest, mais cette tentative avait également échoué.
La journaliste était moins catégorique quant à l’évasion de Bachir.
L’attaque du fourgon cellulaire aurait vraisemblablement été exécutée par des membres de l’équipe d’Alex Grozdanovic, désireux de connaître le nom de ceux qui les avaient floués et tué leur chef.
Ces hommes auraient retrouvé la trace des frères Milic et seraient responsables de leur mort.
À la fin de l’article, elle établissait un lien avec l’arrestation de deux individus à Genève affirmant que, pressé par l’appât du gain, le diamantaire aurait commis l’erreur de leur revendre des diamants non retaillés.
Appelée en fin de matinée par une station de radio belge, la journaliste accepta de répondre en direct à quelques questions.
Elle précisa qu’elle tenait ces informations de source fiable et que la police ne tarderait pas à les confirmer. Interrogée sur le diamantaire anversois, elle répondit qu’elle ne connaissait pas son identité, mais ajouta qu’il ne serait pas difficile à identifier.
À l’annonce de la mort des frères Milic, celui-ci avait sans nul doute fait ses valises et quitté la Belgique pour éviter de subir le même sort.
Le journaliste belge tenta de la pousser dans ses derniers retranchements.
— Dans votre article, vous parlez de membres de l’équipe de Grozdanovic. Ce seraient eux qui auraient fait évader Akim Bachir et exécuté les frères Milic. Qui sont-ils ?
— Je n’ai aucune information sur ces hommes. Je pense qu’Alex Grozdanovic les a recrutés à l’étranger. Ce sont probablement des Italiens, des Russes ou des Français.
Enfin, le chroniqueur revint sur les différents contacts que la journaliste avait eus avec Franck Jammet lors de sa détention.
— Nulle part vous ne parlez de Franck Jammet. La police l’a interpellé à plusieurs reprises depuis le casse de Zaventem.
— Pourquoi vous en parlerais-je ? Il n’a rien à voir dans cette affaire.
— Vous avez eu des contacts avec lui récemment ?
Elle prit un ton énigmatique.
— Je pense que vous devriez avoir de ses nouvelles dans les heures qui suivent.
Akim Bachir débarqua à l’aéroport Mohamed V le mardi 2 avril, en fin de matinée.
Après l’explosion qui l’avait laissé choqué, mais indemne, des hommes l’avaient sorti du fourgon et conduit dans une maison de Saint-Gilles, à quelques centaines de mètres de son domicile.
D’entrée de jeu, il leur avait dit ce qu’il savait. Après leur avoir parlé du Boiteux et de son frère, l’homme en colère était sorti de la pièce sans un mot.
Il ne l’avait plus revu après.
Pendant une semaine, il était resté enfermé dans une petite chambre au dernier étage. Deux hommes s’occupaient de lui, le soignaient et lui donnaient à manger.
Le vendredi suivant, ils lui avaient remis des vêtements, deux mille euros et des papiers d’identité en lui assurant qu’ils étaient plus vrais que nature et qu’il ne risquait rien.
Le lendemain, l’un des hommes lui avait dit qu’ils partaient pour Paris et que là s’arrêterait leur mission, qu’après, ce serait à lui de se débrouiller. Il avait surmonté sa peur et demandé à pouvoir faire un bref passage chez lui. Il avait dû insister avant que l’homme ne déclare qu’il prenait un risque inutile et qu’il ne lèverait pas le petit doigt s’il lui arrivait quoi que ce soit.
Par chance, il n’avait croisé personne et l’aller-retour ne lui avait pris que quelques minutes.
Il avait ensuite emprunté la route pour Paris où il avait passé le week-end dans un hôtel modeste, près du boulevard Saint-Michel.
Le lundi matin, il avait pris un billet sur un vol pour Casablanca de la Royal Air Maroc.
Il pénétra dans l’aérogare et se rangea dans la file qui s’allongeait devant les bureaux de contrôle. Lorsque ce fut son tour, il resta tétanisé devant le policier qui lui jetait des regards suspicieux. L’homme examina ses papiers sous toutes les coutures avant de les lui rendre.
Il sortit de l’aéroport en nage et resta planté sur l’immense terre-plein, immobile, son sac à bout de bras. Il ferma les yeux, respira l’air de son pays, écouta les gens qui parlaient dans sa langue.
Une heure plus tard, il vit apparaître la vieille Mercedes jaune de l’oncle de Rachida.
L’homme s’arrêta à sa hauteur et ouvrit la fenêtre.
— Monte à l’arrière.
Akim obéit et grimpa dans la voiture.
La Mercedes sortit de l’enceinte de l’aéroport et prit la direction du sud. Elle sentait l’essence et grinçait de toutes parts. Après une trentaine de minutes, le chauffeur ouvrit la bouche.
— Ton père sait où tu es ?
Akim répondit entre ses dents.
— J’ai laissé une lettre.
Après une nouvelle heure silencieuse, la Mercedes ralentit à l’approche de Khouribga. L’homme s’arrêta sur le bord de la route et indiqua un chemin de terre qui menait à un hameau d’une dizaine d’habitations.
— C’est là-bas, à trois cents mètres, la troisième maison.
Akim agrippa son sac.
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