Il rentra chez lui, gorgé d’adrénaline, tremblant des pieds à la tête. Il s’allongea sur son lit, mais ne parvint pas à fermer l’œil.
Lorsque les oiseaux commencèrent à chanter, il eut une pensée pour Alex avant de sombrer dans le sommeil.
La police était arrivée sur les lieux une dizaine de minutes après le braquage. Ils avaient trouvé Alex dans un état comateux, menotté, du sang sur le visage.
Transporté à l’hôpital, à moitié inconscient, il avait accepté de répondre aux questions de la police. L’attaque avait été rapide et brutale, il n’avait rien pu faire. Il se souvenait seulement que le braqueur parlait français avec un fort accent espagnol.
Le lendemain, le siège de la banque estima que l’attaque avait rapporté plus de vingt millions de francs. En outre, des titres de Bourse et une somme importante en devises étrangères se trouvaient également dans le coffre.
Aucun indice n’ouvrait de piste sérieuse sur l’auteur. Le signalement de l’individu ainsi que les vidéos du hall d’entrée et du bureau n’avaient donné aucun résultat.
Alex resta deux jours en observation à la clinique, victime d’une légère commotion cérébrale. Il patienta trois jours de plus avant de se rendre chez Franck.
Ce dernier l’accueillit d’un large sourire.
Ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre.
— Content de te voir. Tu vas mieux ?
— Blessure superficielle. J’ai été félicité pour le sang-froid dont j’ai fait preuve.
Franck prit l’accent espagnol.
— Yé souis fiel dé toua.
Alex balaya la plaisanterie d’un geste.
— Tout s’est bien passé. Ils n’ont aucun soupçon.
Franck eut une moue désapprobatrice.
— Tout ne s’est pas bien passé. On a eu de la chance. Il y a des détails auxquels je n’ai pas fait attention. Nous sommes des amateurs. La prochaine fois, il faudra soigner le travail si on ne veut pas finir en taule.
Alex changea de sujet.
— C’est vrai ce qu’ils disent ? Vingt millions ?
— Un peu moins, je dirais dix-huit. Je suppose qu’ils surestiment la somme pour les assurances.
— Quand est-ce qu’on partage ?
— On ne partage pas, on investit.
Alex écarquilla les yeux.
— Quoi ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
— Ça veut dire que je n’envisage pas de me contenter d’un quarantième de fourgon. Quand reprends-tu le travail ?
— J’ai trois semaines de congé pour me remettre du traumatisme.
— Quand tu reprendras le travail, tu lui diras que tu ne veux plus faire les transferts, que tu as eu trop peur. Essaie d’avoir un travail au dispatching.
Alex revint sur la question du butin.
— Et la somme importante en devises ?
— Les devises en question, ce sont des yens.
— Des hyènes ? C’est quoi ?
— La monnaie japonaise, pas facile à sortir, mais j’ai une idée.
— Laquelle ?
— Ça te dirait, une virée de milliardaire à Tokyo ?
22
Quand je franchis la porte
— La bleue, c’est Cléopâtre.
— Elle est belle. Et l’autre ?
— À votre avis ?
Je savais qu’Olga Simon possédait des perruches. Elle est la seule occupante de l’immeuble de la rue des Quatre-Bras à posséder des animaux dans son bureau.
Je me penche sur la cage et passe un doigt entre les barreaux.
— César ?
— Tout à fait.
— Elles sont superbes.
Elle acquiesce d’un signe de tête.
— Ce sont des perruches ondulées, un couple. Je les ai depuis six ans. Ça demande pas mal de soins.
En plus des volatiles, un aquarium glougloute sur un coin de la table et un véritable jardin botanique envahit les meubles.
Je ne comptais pas de prime abord me pâmer devant sa ménagerie, mais c’est une manière efficace de l’amadouer.
— Elles parlent, vos perruches ?
Elle incline la tête.
— Parfois. En temps normal, elles chantent. Quand on essaie de me mentir, elles poussent des cris aigus.
— Me voilà prévenu.
Le cheveu court, le nez retroussé, elle aurait un certain charme si elle n’avait ce caractère détestable.
Elle m’indique une chaise et pose les mains à plat sur son bureau.
— Je suppose que vous n’avez pas demandé à me rencontrer pour venir admirer mes perruches. Que puis-je faire pour vous, maître ?
— Je viens vous voir au sujet d’Akim Bachir.
Elle hoche la tête d’un air entendu.
— Je vois. Qu’est-ce qui se passe avec l’affaire Bachir ?
— J’aimerais que vous lui accordiez une autorisation de transfert.
Elle me dévisage.
— Tiens donc.
Ma tentative de diversion a échoué. Elle n’a pas oublié mes propos de vendredi à la Chambre du conseil et compte me le faire payer.
Elle plisse les yeux.
— Vous faites moins le malin maintenant que vous avez besoin de moi.
Je ne relève pas.
— L’affaire est plus complexe qu’il n’y paraît.
Elle continue sur sa lancée.
— Je fais mal mon boulot ?
— Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire.
— C’est en tout cas ce que vous avez laissé entendre. « Madame la juge aurait dû, madame la juge n’a pas… » Vous ne seriez pas un peu misogyne ?
— Je suis désolé si mes paroles vous ont heurtée. Je souhaitais attirer l’attention sur certains aspects de cette affaire.
— Croyez bien que je ferai ce qu’il faut faire pour que ces aspects soient explorés. Pourquoi il veut être transféré, votre Bachir ? Il trouve le lit pas assez confortable ? La viande pas assez tendre ?
Ce n’est pas la première fois qu’elle joue dans le registre sarcastique.
Elle embraie aussitôt.
— Ces types sont incroyables. Ils ont protesté parce qu’il y avait Canal Plus à la télévision et qu’on voyait de temps en temps un nichon. On a enlevé Canal Plus. À la place, on leur a mis Al Jazeera et je ne sais quelle autre chaîne avec des barbus qui récitent le Coran à longueur de journée. Et puis quoi encore ?
— Là n’est pas la question et vous le savez.
— Si, là est la question. Imaginez qu’on vous arrête au Maroc et qu’on vous mette en prison. Après quelques jours, vous demandez d’avoir Télé Vatican dans votre cellule parce que vous êtes catholique. Vous croyez qu’ils vont accepter ? Et après ça, on s’étonne qu’ils deviennent djihadistes. Les meilleurs centres de formation se trouvent dans les prisons belges. On est le plus grand pays exportateur de terroristes. Un jour, on aura une vague d’attentats à Bruxelles, vous verrez.
Elle n’est pas la seule représentante de la magistrature à tenir ce genre de discours en aparté. Parfois en plus large comité.
Je fais un effort pour ne pas m’emporter.
— Nous nous écartons du sujet, madame la juge.
Elle croise les bras et recule sur sa chaise.
— Si vous le dites. Quelles sont les raisons invoquées ?
— Mon client se sent menacé.
— Menacé par qui ? Par des détenus ou par les gardiens ?
— Par des détenus.
— Vous avez les noms de ces détenus ?
— Il refuse de parler, il ne veut dénoncer personne.
Elle décroise les bras et lance les mains au ciel.
— S’il ne veut pas parler, je ne peux rien faire pour lui.
— Sa vie est en jeu.
L’argument ne semble pas la toucher.
— C’est possible.
Elle prend son téléphone pour me signifier que l’entretien est terminé.
— J’ai du travail, maître.
— Vous ne pouvez vraiment rien faire ?
Elle repose le combiné, l’air excédé.
— Je peux l’envoyer à l’annexe psychiatrique, chez les fous. C’est la seule chose que je peux faire pour lui.
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