À 22 heures, Interpol actualisa l’avis de recherche international qui avait été lancé à son encontre et le diffusa aux cent quatre-vingt-dix pays membres.
Dans le jargon, une telle démarche portait le nom de notice rouge.
25
Une mesure et une échéance
C’est à la fin de l’été 1992 que Franck et Alex prirent goût aux hôtels de luxe, au champagne millésimé, à l’argent dépensé sans compter et aux jeunes femmes peu farouches.
Au début du mois de juillet, Franck avait déterré le butin dissimulé dans la forêt et prélevé quelques liasses de billets dans l’enveloppe. Malgré l’envie qui le démangeait, il n’avait pas pris le risque de négocier les yens et s’était abstenu de planifier le périple au Japon qu’il avait évoqué.
Dans la foulée, il avait revendu son cabriolet Alfa Romeo, trop voyant à son goût, pour faire l’acquisition d’une Golf GTI semblable à celles des gendarmes.
Il avait suggéré à Alex d’en faire autant et avait pris soin d’ôter le liseré rouge qui entourait la calandre ainsi que les monogrammes distinctifs qui décoraient les véhicules.
Alex s’en était étonné.
— C’est dommage, elles ont moins de gueule comme ça.
— C’est le but. Elles doivent passer inaperçues.
— Dans ce cas, autant acheter des Toyota.
— Une Toyota ne se trimballe pas avec cent quinze chevaux sous le capot et ne monte pas à deux cents kilomètres heure.
Pour parfaire leur habileté au volant, ils s’étaient inscrits à un stage intensif donné par un pilote de Formule 1, sur le circuit Paul Ricard, au Castelet.
De retour au travail, Alex avait fait une demande motivée de mutation : l’agression l’avait traumatisé.
À la fin du mois, il avait vu sa requête acceptée et il avait pris ses nouvelles fonctions au sein du dispatching, ce qui lui donnait un accès privilégié à l’organisation des tournées.
Franck avait accueilli la nouvelle avec enthousiasme.
— Bravo ! On va fêter ça. Quand prends-tu tes congés ?
— Les deux dernières semaines d’août.
— Parfait, on va se détendre un peu avant notre prochaine opération.
— Quelle prochaine opération ?
— Tu verras.
Le 14 août, à l’aube, ils avaient pris la direction de la Côte d’Azur, chacun au volant de son bolide, pied au plancher, pare-chocs contre pare-chocs, se doublant sans cesse, bravant les limitations de vitesse et n’hésitant pas à zigzaguer entre les voitures.
La décision d’effectuer le déplacement dans des voitures séparées n’avait pas été dictée par leur esprit de compétition ou par une volonté d’indépendance, mais par la présence de Wiménon, qui ne quittait plus Franck d’une semelle.
À leur arrivée à Saint-Tropez, ils étaient descendus à l’hôtel Byblos, le seul établissement où il restait des chambres libres, au tarif d’un mois de salaire d’Alex par nuit, plus un supplément pour la pension du chien.
Guidés par les conseils du portier de l’hôtel, ils étaient parvenus à infiltrer les endroits fréquentés par les membres de la jet-set à coups de sourires charmeurs et de pourboires généreux.
En plus de leur physique avantageux, ils sortaient des rouleaux de billets de banque de leur poche comme d’autres sortent leur briquet, ce qui n’avait pas manqué d’ouvrir l’appétit des starlettes et des femmes fatales qui gravitent autour des personnalités en vue.
Dès qu’ils eurent leur attention, chacun avait joué son rôle à la perfection, Alex celui de brute taciturne aux penchants machos, Franck celui d’artiste dilettante au regard bleu acier. Leur prodigalité aidant, il leur avait fallu moins de quarante-huit heures pour recevoir leurs premières invitations aux cocktails organisés sur les bateaux et dans les villas luxueuses.
Avaient suivi les nuits de folie aux Caves du Roy, le champagne à volonté sur les plages privées de la Voile Rouge, les petits déjeuners au caviar, les bains de minuit dans la piscine de l’hôtel et les ébats sexuels à toute heure du jour ou de la nuit.
De temps à autre, ils envoyaient l’une de leurs conquêtes changer quelques milliers de francs en prenant soin de les diriger vers des banques différentes.
Vers le milieu du séjour, Alex avait proposé d’organiser un « concours de gonzesses ».
Franck, qui venait de s’amouracher d’une Parisienne longiligne et romantique, avait déclaré forfait.
— Je te laisse gagner aux points, je suis trop sentimental. Tu es Liszt, je suis Chopin.
— Liszt ? Je croyais qu’il était abbé.
— À la fin de sa vie. C’est comme ça que tu finiras.
Le forfait de Franck n’avait pas empêché Alex de poursuivre la compétition et de s’attirer les faveurs d’une vingtaine de femmes, dont une chanteuse française bien connue.
La veille du départ, allongés tous deux au bord d’une piscine sur les hauteurs de Ramatuelle, Alex soupira pendant que Franck regardait Wiménon qui tournait sur lui-même en tentant d’attraper sa queue.
— Merde ! C’est déjà fini. Demain, on retourne au turbin. Pour moi, la vraie vie, c’est ça. Du champagne, des filles à gogo, la vie de palace. Seule ombre au tableau, la présence de ton clébard.
— Tu n’es qu’un épicurien de bas étage. Il ne tient qu’à toi que ça continue.
— Tu peux compter sur moi. Qu’est-ce que tu mijotes ?
Franck était resté mystérieux.
— J’ai quelques idées.
— Lesquelles ?
— On en reparlera plus tard. Maintenant, on rentre.
Alex insista.
— Tu as un plan ?
— Un objectif, plutôt.
— C’est quoi, la différence ?
— Un plan, c’est vague. Un objectif, c’est une mesure et une échéance.
26
Sa tête entre ses mains
Le 16 décembre 1992, peu avant 16 heures, Franck entra dans le garage Volkswagen situé rue du Mail, à Ixelles et traversa la salle d’exposition d’un pas nonchalant, affublé d’un chapeau et d’une épaisse paire de lunettes.
Comme chaque jour, la concession automobile ressemblait à une ruche humaine et personne ne prêta attention à lui.
Il se dirigea vers les ascenseurs et se rendit au parking où étaient rangées les voitures des clients. Il parcourut les allées et localisa la Golf GTI qu’il avait repérée le matin, assis à la réception, un journal à la main, en compagnie d’autres clients venus effectuer une intervention rapide.
Il enfila une paire de gants, s’assit dans le véhicule et abaissa le pare-soleil pour récupérer les clés. Il mit le contact et se dirigea au ralenti vers la sortie.
Il s’arrêta à hauteur de la borne qui commandait la barrière automatique. En guise de jeton, il introduisit la pièce de vingt francs qu’il avait façonnée et sortit du garage. Il prit la direction de la rue Dodonnée où se trouvait le box qu’il avait loué dans la cour arrière d’un immeuble.
Le soir était tombé et une fine pluie fit son apparition. Il engagea la voiture dans le box et referma la porte derrière lui sans croiser qui que ce soit. Il alluma, échangea les plaques et repartit à pied chez lui.
La première étape de l’opération avait été franchie avec succès.
Deux jours plus tard, le vendredi 18 décembre, à 23 heures, Franck et Alex se garèrent en face de l’agence du Crédit communal située non loin du parvis de Saint-Gilles.
Alex coupa le contact.
— Pas mal, la charrette. Cent soixante chevaux, seize soupapes, transmission intégrale.
Dans l’après-midi, il avait fait main basse sur une 405 Mi16 au garage Peugeot de la place Meiser en utilisant la même méthode que Franck.
Franck soupira.
Читать дальше