Alex s’agita sur son siège.
— Merde, merde, merde !
Lorsqu’il fut à cinq mètres, le policier esquissa un geste circulaire pour leur signifier d’ouvrir la fenêtre.
Franck prit sa décision.
— Accroche-toi.
Il embraya, passa la première et enfonça l’accélérateur. Les pneus hurlèrent et la voiture bondit.
Il frôla le policier et l’entendit vociférer.
Il jeta un coup d’œil dans le rétroviseur. La Volvo avait allumé ses phares et partait à leur poursuite en actionnant la sirène et le gyrophare.
Alex se retourna.
— Merde ! Putain ! Ils nous suivent.
Franck se tenait droit sur le siège, le visage fermé.
— On peut semer la Volvo, mais ils vont alerter la meute et nous tomber dessus.
Il descendit la chaussée de Waterloo à toute allure.
Au feu rouge, il vira dans la chaussée de la Hulpe, à la limite du décrochage. Il contrebraqua, poussa le moteur en surrégime et grimpa à cent vingt, la Volvo à ses trousses.
— Ils nous collent au cul. Elle est gonflée, leur caisse, c’est pas possible autrement.
La course-poursuite continua dans le boulevard du Souverain, les deux voitures filant à cent quarante.
Au carrefour de la chaussée de Wavre, Alex pointa un doigt devant lui et se mit à hurler.
— Là, une autre, en face.
Une voiture de police, gyrophare allumé, venait à leur rencontre, mais le terre-plein central l’empêchait de leur barrer la route.
Franck garda son sang-froid.
— Ils n’ont pas le temps de nous bloquer.
Alex regardait de tous côtés.
— Emmène-les dans les petites rues.
Ils arrivèrent aux Étangs Mellaerts, brûlèrent le feu et prirent l’avenue de Tervuren. Une voiture arrivait en face. Franck fit un brusque écart pour l’éviter. La GTI se mit à déraper mais il réussit à la rattraper.
Alex couvrit le rugissement du moteur.
— Ils vont nous avoir.
Franck jeta un coup d’œil dans le rétroviseur et hurla de plus belle.
— Putain, elle vient d’où, celle-là ?
Une Golf GTI de la gendarmerie leur collait au train, sirène hurlante.
Il se mit à zigzaguer pour l’empêcher de les doubler.
L’habitacle sentait l’embrayage grillé, la sueur et la peur.
— Ils sont partout.
Un coup de feu claqua et la lucarne arrière vola en éclats.
Alex était proche de l’hystérie.
— Ils vont nous abattre comme des lapins.
Il sortit son revolver et se retourna.
Franck l’arrêta d’un geste.
— Non, pas ça. Jamais.
— Tu préfères te faire tuer ?
Un autre coup de feu claqua.
Alex beugla.
— Merde, je suis touché.
Franck jeta un rapide coup d’œil vers Alex qui grimaçait et se tenait le bras.
— Accroche-toi. Ça va secouer !
Il pesa de tout son poids sur les freins.
Dans un fracas de métal et de verre, la GTI des gendarmes les percuta à l’arrière.
Franck se retourna et évalua la situation.
La voiture des gendarmes était hors service. De la fumée s’échappait du capot. Les occupants avaient été projetés contre le pare-brise.
Alex était blanc comme un linge.
— Démarre.
Franck s’exécuta.
— On a gagné quelques secondes, mais les autres vont débarquer.
Il remonta l’avenue et tourna dans une rue pavée qui longeait un quartier résidentiel. Le pare-chocs arrière raclait le sol, l’un des pneus avait éclaté et la voiture crissait de toutes parts.
Après une centaine de mètres, il freina et éteignit les phares.
— Ton bras ?
— Ce n’est qu’une éraflure, mais ça saigne.
— On se tire.
Ils sortirent de la voiture. L’air leur parut glacial. Le hurlement des sirènes trouait la nuit. Ils n’avaient que quelques secondes d’avance sur leurs poursuivants.
Ils étaient à peine sortis de la voiture que la Volvo pénétrait dans la rue.
Franck rugit.
— Par les jardins, toi à gauche, moi à droite.
Ils se séparèrent.
Franck escalada une grille et plongea dans un jardin. Le quartier était peuplé de bâtisses luxueuses et de vastes jardins.
Il enjamba une haie, foula une longue pelouse, contourna une piscine et continua de courir à l’aveuglette jusqu’à la haie suivante.
Le souffle commença à lui manquer. Des branchages lui fouettaient le visage. Du sang coulait. Il passa une ultime bordure et déboucha dans une rue calme.
Un chien aboyait dans un jardin voisin.
Au loin, les sirènes continuaient leur concert. Il était exténué, les lèvres desséchées par la soif, la langue gonflée sous l’effet de l’adrénaline.
Il marcha jusqu’au bout de la rue et examina la plaque. Il se trouvait à dix kilomètres de chez lui, drève Saint-Georges.
Les bus et les trams ne circulaient plus à cette heure et il était hors de question de prendre un taxi. Ses jambes le faisaient souffrir, continuer à pied était trop risqué.
Il revint en arrière, franchit la haie une nouvelle fois et finit par dénicher un abri de jardin dans lequel se trouvait un vélo.
Il enfourcha la bicyclette, emprunta un sentier, prit la direction de la forêt et s’enfonça dans les bois.
Après quelques kilomètres, il jeta le vélo sur le côté.
Le corps meurtri, la rage au ventre, il s’assit à même le sol et prit sa tête entre ses mains.
Je parcours les couloirs au pas de charge à la recherche de la chambre d’Akim Bachir.
En fin d’après-midi, vingt-quatre heures après les faits, Olga Simon m’a téléphoné. Elle ne semblait pas bouleversée par ce qui était arrivé.
Elle m’a informé qu’il était à l’hôpital Saint-Pierre, qu’il était sorti des soins intensifs et qu’ils l’avaient installé dans une chambre isolée, sous surveillance policière.
Quand les médecins estimeront que son état le permettra, il sera transféré à la prison de Saint-Gilles. Elle se trouve à deux pas de celle de Forest et dispose d’un centre médico-chirurgical.
Je n’ai pas mis les pieds à Saint-Pierre depuis plus de dix ans. La dernière fois, j’y suis venu pour chercher Estelle et la ramener à la maison.
Lors d’une visite de routine, son dentiste lui avait conseillé de se faire enlever les quatre dents de sagesse. À trente ans passés, elle a cru qu’il se moquait d’elle. Il lui a expliqué que ces molaires capricieuses sont susceptibles de se manifester chez les octogénaires et lui a détaillé les risques qu’elle encourait si elle s’obstinait à vouloir les garder.
Elle a accepté.
Malgré la douleur qui la tenaillait, elle a trouvé la force de plaisanter. Je la revois dans le divan, prostrée, des compresses froides autour du visage, me vantant les articles du téléachat : le balai à vapeur, la ceinture abdominale à électrostimulation, le nettoyant pour pierres tombales.
Au détour du couloir, je croise le frère d’Akim. Il m’a reconnu, mais fait mine d’inspecter le sol.
Je l’apostrophe au passage.
— Bonsoir, Youssef, comment va votre frère ?
Il s’arrête et relève la tête à contrecœur.
— Il va mal. Il a failli mourir. Il ne parle pas.
— Vous avez prévenu Rachida ?
— Rachida, je sais pas où elle est.
— Et votre père, il sait ?
Il détourne les yeux.
Je ne tirerai rien de ce côté.
— Vous êtes allé plusieurs fois à la prison, Akim vous a parlé ? Vous savez qui le menaçait et pourquoi il a été agressé ?
Il secoue la tête.
— C’est vous qui parlez avec lui, pas moi. Vous saviez qu’il était menacé, il vous l’a dit, vous n’avez rien fait pour le protéger.
— Ce n’est pas comme ça que ça se passe, Youssef. J’ai sondé la juge d’instruction à propos d’une demande de transfert. Elle l’a refusée.
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