— Que voulez-vous ?
— Je recherche un ex-officier SS, l’ Untersturmführer Rudolf Volker.
Nathan lui répondit du tac au tac.
— Je ne connais pas cet homme et je n’en ai jamais entendu parler. Pourquoi le recherchez-vous ?
— Je vous le dirai si vous acceptez de m’aider.
L’homme avait du cran.
Nathan pointa le trou qui traversait son chapeau de part en part, à n’en pas douter la trajectoire d’une balle.
— Règlement de comptes ? Vengeance personnelle ?
— Non, ça n’a rien à voir. Je ne lui veux aucun mal.
Nathan haussa le ton.
— Vous vous moquez de moi ? Vous cherchez un ex-officier SS, vous prenez contact avec nous comme si nous étions une agence de renseignements et vous essayez de me faire croire que vous voulez simplement prendre le thé avec lui ?
Élie tenta de s’interposer, mais Nathan l’arrêta d’un geste.
L’homme ne se départit pas de son calme.
— Je ne vous demande qu’une chose, me dire où il est. Le reste, c’est mon problème. Je vous donnerai plus d’explications si vous le souhaitez. Je vous repose la question, êtes-vous prêt à m’aider, oui ou non ?
Nathan le toisa des pieds à la tête.
— Vous inversez les rôles, monsieur Kervyn. Vous pensez que nous n’avons rien d’autre à faire que de rechercher cet individu ? Vous savez combien d’hommes il y avait dans la Waffen-SS ? Plus d’un million. Vous me demandez de trouver une aiguille dans une botte de foin et vous semblez vous offusquer parce que je veux en savoir plus et que je ne vous donne pas mon accord sur-le-champ.
L’homme soupira.
— Je vous prie de m’excuser. Cette affaire me fait perdre la tête.
Nathan adoucit le ton.
— Qu’est-ce que vous avez sur lui ?
— Quelques indices, quelques dates, des lieux, le nom de certaines personnes. Avec ce que j’ai, vous devriez pouvoir le localiser, s’il n’est pas mort.
Nathan installa un silence.
Élie n’en menait pas large. David s’était mis en retrait, prêt à intervenir.
Nathan l’interpella.
— David, va me chercher un papier et un stylo.
L’Italien retourna à la voiture et revint muni d’une carte postale et d’un stylo.
Nathan s’en empara, griffonna quelques chiffres et la tendit à l’homme.
— Appelez-moi à ce numéro dans une dizaine de jours. Je verrai ce que je peux faire, mais je ne vous promets rien.
L’homme lui serra la main et murmura, visiblement ému :
— Merci.
Mercredi.
Un mail de Nathan Katz me parvient en fin d’après-midi, alors que je ne l’attendais plus.
Il ne contient que quelques mots.
Vous trouverez les réponses à vos questions au 23, Hauptstrasse, à Messdorf, un village situé près d’Osterburg, dans l’est de l’Allemagne.
Aucune indication complémentaire.
Le Web ne m’en apprend pas beaucoup plus. Messdorf est un bled perdu qui compte sept cent vingt habitants au dernier recensement. Pas de restaurant, pas d’hôtel. Une gare en rase campagne, à deux kilomètres.
La photo satellite de Google Maps affiche un minuscule patelin constitué de quelques fermes et de maisons entourées de bois et de vastes champs.
La ville la plus proche est Wolfsburg, à quatre-vingts kilomètres. Hambourg est à cent quatre-vingts kilomètres. Berlin, à deux cents, de l’autre côté.
J’appelle Laura Bellini.
Je tombe sur sa messagerie. Je lui demande de me rappeler dès qu’elle entend mon message.
Elle me rappelle quinze minutes plus tard.
— Bonjour, monsieur Kervyn, je ne vous oublie pas, rassurez-vous, mais l’efficacité allemande est une légende. Je me bats avec des fonctionnaires bilieux qui m’envoient d’un côté à l’autre. Sans compter les gens censés m’aider qui sont en congé.
— De quoi parlez-vous ?
Elle marque un blanc.
— Du numéro de téléphone, monsieur Kervyn. Du numéro de téléphone que vous m’avez donné l’autre jour et pour lequel vous m’avez demandé de contacter les télécoms en Allemagne.
Je ne m’en souvenais plus.
— Ce n’est plus nécessaire.
Elle monte dans les tours.
— C’est gentil de me prévenir. J’espère que vous n’allez pas contester mes heures de travail. À ce propos, je vous signale que je n’ai pas encore reçu le règlement du solde de ma facture.
— Trente jours, fin de mois, c’est écrit noir sur blanc dans nos conditions générales.
— Que vous ne m’avez pas fait parvenir.
— Je m’occupe de votre facture demain, vous serez payée à la fin de la semaine. Vous avez ma parole. Mais ce n’est pas pour ça que je vous appelais.
— Vous m’appeliez à quel sujet ?
— J’ai besoin de vous.
— La traduction du mode d’emploi d’un appareil dont vous n’aurez plus besoin quand j’aurai terminé ?
— J’aimerais que vous m’accompagniez en Allemagne, c’est important. Nous partons demain matin, tôt, c’est à plus de six cents kilomètres d’ici.
— Et ?
— Et quoi ?
— Vous avez oublié de claquer dans vos doigts.
L’intervention que Nathan réalisa à Caprino Veronese le 23 avril 1954 ne se déroula pas de la manière prévue. Wilhelm Göecke était ivre lorsqu’ils le capturèrent et ils durent attendre le milieu de la nuit pour l’interroger.
Il avoua sans détour sa culpabilité, exprima ses regrets et protesta qu’il n’avait fait qu’obéir aux ordres du Führer.
Lorsqu’il prit conscience que ses aveux ne changeraient en rien les résolutions de ses ravisseurs, il leur lança quelques insultes et déclara que s’il pouvait réécrire l’Histoire, il la réécrirait de la même façon. Leur échange se poursuivit durant une heure, sans succès.
Göecke se débattit lorsque Nathan lui passa la corde autour du cou. Il lança un énergique « Heil Hitler ! » avant de rendre son dernier souffle.
David Sarfatti retourna travailler au cimetière le lendemain. Le plan prévoyait qu’il poursuive sa fonction jusqu’en juin pour éviter que sa disparition n’attire l’attention des autorités et de la police.
Le corps de Wilhelm Göecke fut retrouvé le 27 avril. La police ne trouva aucun indice probant sur les lieux.
Le lundi 3 mai 1954, alors qu’il était de retour à Berlin, Nathan reçut l’appel de Robert Kervyn.
Il l’accueillit froidement.
— J’ai fait un premier examen, nous n’avons rien sur Rudolf Volker. Je suis désolé. À première vue, il ne s’est pas distingué pendant la guerre ni en mal, encore moins en bien.
Kervyn conserva son calme.
— Je comprends. Je vous remercie du temps que vous avez investi. Je peux vous donner quelques informations supplémentaires. Je n’ai pas grand-chose sur lui, mais certaines données sont précises et devraient vous aider.
Nathan soupira.
— Allez-y, je note.
— Rudolf Volker est né en 1914, à Bismark, un petit village qui se trouve en Allemagne de l’Est, à deux cents kilomètres de Berlin. Ses parents exploitaient une ferme. Il avait un frère, Werner, qui avait cinq ans de moins que lui. Rudolf a assisté à un discours d’Hitler en décembre 1930, à Berlin. Il a été subjugué par le personnage. Il a rejoint les Jeunesses hitlériennes en 1933. En 1937, il s’est engagé dans la Waffen-SS .
Nathan fit un rapide calcul.
— À vingt-trois ans, l’âge minimal.
— En 1939, il est entré à la Junkerschule à Bad Tölz.
Nathan embraya sur le sujet.
— L’école des officiers SS. Accessible après deux ans de service dans les rangs. D’après les critères de sélection, je peux vous dire que votre Volker mesurait au moins 1,78 mètre et qu’il ne portait pas de lunettes.
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