— Je t’écoute.
— L’un est parti de la messagerie de la cible, l’autre est une réponse. Le destinataire a un compte sur Hotmail, un pseudo à tous les coups, HJKL@hotmail.com. C’est une adresse créée il y a peu de temps, en début d’année. J’ai tracé l’adresse IP, l’ISP est Vodafone. D’après la géolocalisation, la ville de connexion est Karlsruhe. La cible doit se trouver dans les environs. J’ai quelques entrées aux bons endroits, je peux aller plus loin, si tu veux.
— Que disent ces mails ?
— Ils parlent de toi, je préfère que tu les lises toi-même.
— OK, envoie.
— Je viens de les envoyer, tu les as reçus il y a quelques minutes.
— Je vais voir ça.
Il se lève.
— Pour l’adresse Hotmail, je vais plus loin ?
— Je regarde d’abord les mails et je t’avise.
— Merci de ta confiance, Stanislas.
Il sort et referme la porte sans bruit.
J’ouvre ma messagerie et recherche le mail de John.
Il m’a copié l’intégralité des deux messages en question. Le premier émane de Susfeld et est adressé à HJKL@hotmail.com. Il a été expédié le jeudi 26 juillet 2012, à 9 h 53, le lendemain de ma visite à son cabinet.
Shalom,
Ça fait un moment. J’ai bien reçu le fichier que tu m’as envoyé il y a quelques semaines. Je suis désolé, mais je n’ai pas encore eu le temps de le traiter. Je te donnerai une réponse au plus tard dans le mois.
Tu as sans doute vu que la presse m’a interrogé sur Csatary, ils n’ont vraiment pas grand-chose à se mettre sous la dent.
J’ai reçu la visite d’un certain Stanislas Kervyn hier soir. Il était accompagné par une traductrice, Laura Bellini. Il a écrit récemment un bouquin sur la Tuerie du Caire. Il continue une enquête personnelle sur la mort de son père, Robert Kervyn, qui était sur la piste de Rudolf Volker, l’un des assistants de von Leers.
Il prétend que tu aurais rencontré son père à Caprino Veronese, en 1954, peu avant qu’il soit tué au Caire. Il est intelligent et rusé, agressif aussi. Je lui ai donné quelques miettes.
Dis-moi si tu souhaites que je fasse quelque chose.
Porte-toi bien,
Amitiés,
K.
Je relis plusieurs fois le message. Il me faut un moment pour réaliser qu’il parle de moi. Je crispe les poings. Je me sens démasqué et manipulé.
D’une part, je maudis son hypocrisie, de l’autre, je suis satisfait d’avoir pressenti qu’ils se connaissaient.
La réponse qui lui est adressée est plus courte, plus dérangeante encore. Elle a été expédiée le dimanche 29 juillet 2012, à 21 h 14, le jour où j’ai baisé Magali contre sa porte d’entrée.
Shalom,
J’attends tes suggestions sur les fichiers, ça ne presse pas, mais ton avis m’intéresse. J’espère te voir au plus tard à New York, à l’occasion de Pourim.
J’ai pris mes renseignements sur ce Kervyn, et la traductrice (inoffensive). Je vois qui c’est. Laissons-le venir. Si nécessaire, je m’occuperai de lui.
Merci de m’avoir prévenu.
Amitiés,
N.
Je frappe du poing sur la table.
Laissons-le venir ?
Si nécessaire, je m’occuperai de lui ?
Au bas mot, il doit avoir quatre-vingts berges.
Qu’est-ce qu’il croit, ce vieillard ?
Il veut s’occuper de moi ? Je lui réserve une surprise.
Je compose le numéro de John.
— Oui, Stanislas ?
— Trouve-moi l’adresse physique de ce type.
— OK. Je vais essayer. J’espère que mon contact n’est pas en vacances.
— S’il est en vacances, demande-lui de raccourcir ses vacances, mais tu me trouves l’adresse de ce type vite fait, ou je supprime le distributeur de bouffe.
— Compte sur moi.
J’ouvre mon navigateur Internet.
Il y a plusieurs manières de pirater un compte Hotmail, la plus efficace est une attaque par envoi de connexions multiples.
Je télécharge le logiciel en question, en vente libre, à un prix dérisoire. J’ai eu l’occasion de l’utiliser plusieurs fois, lors de ma précédente enquête. Des centaines d’envois de connexions forcées bombardent le serveur à toute vitesse pour passer au travers de l’authentification et récupérer le mot de passe du compte. Reste à le décrypter au moyen du même logiciel.
Dix minutes plus tard, je me connecte sur le compte de HJKL@hotmail.com. La boîte de réception est vide. Aucun dossier n’a été créé. La corbeille est également vide.
Les éléments envoyés ne comportent qu’un seul message, celui qu’il a envoyé à Karl Susfeld dimanche passé, dans lequel le gâteux propose de me laisser venir et de s’occuper de moi.
Soit ce compte n’est utilisé que par à-coups, soit il est vidangé régulièrement.
Je penche pour la seconde option.
Il a supprimé le mail qu’il a reçu de Susfeld. En revanche, il a gardé la réponse qu’il lui a envoyée.
Oubli ou acte délibéré ?
Dans les deux cas, le fait qu’il ait conservé ce seul message est pour le moins étrange.
60
Plusieurs mètres de hauteur
Le 7 janvier 1952, en milieu d’après-midi, Nathan et sa famille se rendirent à l’aéroport de La Guardia pour prendre le vol transatlantique d’Air France qui reliait les États-Unis à l’Europe sans escale.
Le père de Nathan les accompagna pendant le transfert en taxi et les escorta au guichet d’enregistrement des bagages pour profiter de leur présence jusqu’à la dernière minute. Les adieux furent douloureux, même si un retour à court terme fut envisagé.
Après un vol d’une quinzaine d’heures, quelque peu chahuté à cause des conditions météorologiques, ils arrivèrent à Paris d’où ils prirent un vol vers l’Allemagne.
Ils atterrirent à l’aéroport de Stuttgart le 8 janvier, à onze heures du matin.
Haïka était la seule à avoir trouvé le sommeil durant le voyage et manifesta sa joie de découvrir qu’il avait neigé. Ils sortirent de l’aérogare et se dirigèrent d’un pas prudent vers le parking où Nathan avait garé sa DKW.
Les derniers jours passés à New York avaient été tendus et l’ambiance qui régnait dans le couple s’était encore détériorée. Leurs échanges se limitaient aux aspects pratiques, et l’attitude rebelle d’Éva pesait de plus en plus sur le moral de Nathan.
Lors de son retour de la prétendue tournée pour la boulangerie, Éva avait remarqué que sa veste était maculée de taches de sang. Elle s’était contentée de relever le fait sans lui poser de question ni lui adresser de reproches, mais son silence avait été éloquent.
À l’heure de leur départ, l’annonce du meurtre de Georg Bachmayer avait commencé à se répandre dans la communauté. Éva l’avait longuement dévisagé avant de tourner les talons. En réponse au regard interrogateur de son père, Nathan s’était contenté de garder le silence.
Il leur fallut une demi-heure pour localiser l’emplacement de la DKW. Le parking de l’aéroport était à ciel ouvert, le froid était mordant et les voitures étaient couvertes de neige. Ils durent retirer celle qui s’était accumulée sur les plaques minéralogiques pour parvenir à identifier leur véhicule.
Nathan maugréa.
— On l’a trouvée, c’est déjà ça, maintenant, j’espère qu’elle va démarrer.
Il posa les valises à ses pieds, ouvrit la portière et fit basculer le dossier du siège conducteur pour permettre à Éva et Haïka de s’installer sur la banquette arrière.
Il s’assit à l’avant, lança le moteur et poussa le chauffage au maximum. Il ressortit ensuite pour ôter la neige qui encombrait le pare-brise et les vitres.
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