Lorsque l’opération fut terminée, il ouvrit la malle arrière pour y ranger les valises.
Au moment où il refermait le coffre, Haïka profita d’un moment d’inattention de sa mère pour se faufiler hors de la voiture. Éva tenta de la rattraper, mais son mouvement fut gêné par le dossier du siège.
Elle appela Nathan à l’aide.
— Nathan, vite, Haïka s’est échappée !
Nathan fit le tour de la voiture et aperçut Haïka qui trottinait entre les voitures en direction de la sortie du parking.
Il se rua à sa poursuite.
En quelques secondes, la fillette avait parcouru une dizaine de mètres et se rapprochait de la zone de roulage.
Les hurlements d’Éva, prisonnière à l’arrière du véhicule, devinrent hystériques.
Tout en courant, Nathan se mit à crier.
— Haïka, arrête-toi immédiatement !
En quelques enjambées, il fut sur elle. Il l’agrippa des deux mains au moment où elle s’apprêtait à traverser la voie. Le cerveau enfiévré, le cœur battant, il la prit dans ses bras et la serra contre sa poitrine.
Il était sur le point de faire demi-tour lorsqu’un souffle brûlant lui balaya le dos.
Une violente explosion secoua le parking, faisant voler en éclats les vitres des voitures et projetant des débris métalliques en tous sens.
Nathan s’écroula sur le sol. Le vacarme assourdissant de la déflagration lui creva les tympans. À aucun moment, il ne lâcha sa fille. Il la tint serrée contre lui pour la protéger des éclats qui fusaient.
Il ressentit une douleur fulgurante dans le haut de la jambe tandis qu’un liquide chaud s’écoulait sur son visage. Il tenta de ramper pour se mettre à l’abri et échapper à la pluie de projectiles. L’une des portières de la DKW vint s’écraser à quelques centimètres d’eux.
Avant de perdre connaissance, il posa une main sur les yeux de sa fille et fit un effort désespéré pour tourner la tête en direction de sa voiture.
À l’emplacement où elle se trouvait, il ne restait qu’une carcasse ravagée par des flammes qui s’élevaient à plusieurs mètres de hauteur.
61
Je vais bientôt mourir
Je prends ma tasse de café et m’affale dans le divan.
Mon chat vient se frotter contre mes chevilles. Il est à peine huit heures et la chaleur est accablante. La météo a annoncé la journée la plus chaude de l’année.
Par habitude, mon regard est attiré par la photo de Sébastien affichée au mur, la seule que j’ai conservée. Il est sur son tricycle. Il rit de bon cœur. Il a deux ans. Il a perdu sa mère quand il avait six ans. Son père l’a abandonné quand il en avait dix.
Je me suis lancé dans mon enquête sans me préoccuper de lui. J’ai engagé une nounou pour le conduire à l’école le matin, aller le rechercher le soir, s’occuper de ses devoirs et préparer le repas.
Lorsque je planifiais un voyage, je trouvais de bonnes âmes pour l’héberger.
Nos contacts se sont espacés, nos échanges se sont raréfiés. Nous nous croisions sans plus nous voir. Une tension mêlée d’indifférence s’est installée entre nous.
Mon frère a été alerté. Il est rentré d’Afrique pour me proposer de s’occuper de Sébastien jusqu’à ce que j’aille mieux . Il travaillait au Sénégal à ce moment-là. Dakar était une ville sûre, Sébastien pourrait suivre ses études au lycée Jean-Mermoz. Sa femme ne pouvait pas avoir d’enfant et se disait prête à lui consacrer du temps.
Ce dernier argument a failli faire pencher la balance dans le sens contraire.
Ma belle-sœur est une bécasse maniérée dont la préoccupation majeure est l’éclat de sa coiffure, le choix de sa tenue vestimentaire et son tour de taille. Pour rien au monde, je ne la baiserais.
Mon frère l’a rencontrée quand il était à l’université. Selon moi, elle a été sa première et sa seule conquête. Je la soupçonne par ailleurs de s’être inventé une stérilité pour éviter de déformer sa plastique.
J’ai accepté la proposition, sachant que cette décision affaiblirait le reste de lien qui m’unissait à Sébastien.
La sonnerie de mon téléphone me signale l’arrivée d’un texto. Je sors de mes pensées.
Coucou
Quel distrait tu fais !
Comment pourrais-tu m’appeler, tu n’as pas mon numéro.
Cette fois, tu l’as.
J’ai envie de recommencer.
Appelle-moi.
Bisous.
Magali
Je l’efface aussitôt. Les femmes sont étranges. Traitées avec respect, elles adoptent une attitude condescendante, font des caprices, deviennent hautaines et exigeantes. Plus je les déshonore, plus elles se soumettent. Elles finissent par devenir mon jouet, ma marionnette. Beaucoup s’en rendent compte. Plutôt que de se rebeller, elles se complaisent dans ce rôle.
J’ai continué à voir Sébastien, par intermittence, lors des vacances d’été. Nous passions une semaine au Club Med, chacun de son côté. Nous nous voyions aussi en fin d’année, lorsque mon frère rentrait pour les fêtes. Mois après mois, nous sommes devenus des étrangers.
Le jour de ses dix-huit ans, je lui ai envoyé un message.
Il a répondu dans l’heure.
Je sais que tu as poussé ma mère au suicide. Tu ne t’es jamais occupé de moi. Tu n’es plus mon père. Je ne veux plus te voir.
Il était majeur et m’offrait son premier bras d’honneur. Je n’ai pas insisté, cette mise au point m’arrangeait.
Je relève mes mails.
Celui que j’attendais est arrivé.
Bonjour Stanislas,
J’ai réussi à obtenir le renseignement.
L’adresse IP en question mène dans le centre de Karlsruhe, en Allemagne.
En principe, le traçage sur Google Maps est fiable à quelques mètres près. Par chance, il semble qu’il n’y ait pas d’autres réseaux dans l’immeuble.
53, Scheffelstrasse
J’espère que cette information te sera utile. N’hésite pas à faire appel à moi.
John
J’ouvre Google Maps et introduis l’adresse. Je passe en mode satellite et effectue un zoom.
Le 53 Scheffelstrasse est un immeuble rectangulaire de cinq ou six étages, vraisemblablement un espace de bureaux. Il fait une quarantaine de mètres de long sur une douzaine de large. Aux dires de John, il n’y aurait qu’un seul réseau dans l’immeuble, ce qui paraît improbable. Sauf s’il s’agit d’un atelier ou d’un entrepôt.
Karlsruhe est à quelque cinq cents kilomètres. Je pourrais y être en quatre heures.
La réponse que N a envoyée à Susfeld a été expédiée un dimanche, en soirée, ce qui indique qu’il habite probablement dans l’immeuble.
Je n’ai pas besoin de Bellini, il maîtrise le français, la langue écrite en tout cas.
L’affaire est jouable.
Je me fais un second café.
J’ai fait quelques tentatives de réconciliation, toutes sont restées sans réponses.
En 2007, Sébastien est rentré en Belgique. Il a trouvé du travail dans une grande banque. Il y a deux ans, il s’est mis en ménage avec une fille de son âge, Julie, belle, intelligente, baisable, en conflit avec moi dès notre première rencontre.
Ils habitent à moins d’une demi-heure de chez moi.
En fin d’année, mon frère nous invite au restaurant, le 25 décembre.
Sa femme, qui croit au Père Noël, pense que la solennité du moment va changer notre état d’esprit. Elle imagine que nous allons nous lever et nous perdre dans les bras l’un de l’autre.
En règle générale, nous mangeons et échangeons quelques banalités en prenant soin d’éviter que nos regards ne se croisent.
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