— Je n’ai pas de scanner.
— Tu habites dans un pays civilisé, tu devrais pouvoir en trouver un pas très loin de chez toi.
— On est dimanche, Stanislas.
— Les scanners fonctionnent aussi le dimanche.
— Écoute, Stanislas, j’ai beaucoup de choses à faire et je n’ai pas de temps. Je vais voir si je peux t’aider, mais je ne te garantis pas que ce sera aujourd’hui fait.
— Fais ce que tu peux, j’attends ces photos.
— D’accord.
Il raccroche.
Je viens de lui gâcher sa journée.
Je me fais un café, le troisième.
Je m’empare de la tasse, l’entoure de mes mains, m’affale dans le divan. Mon chat vient se frotter contre mes chevilles. Je jette un coup d’œil circulaire sur le vide qui m’entoure.
Durant les premiers mois, je n’ai touché à rien. J’ai cru qu’elle allait rentrer d’un moment à l’autre et s’excuser pour le retard.
Je me souciais peu de Sébastien. Je ne savais plus quelle place il avait dans ma vie. Il avait six ans. Le matin, je le déposais à l’école. Je le reprenais le soir, nous mangions dans un resto et il allait se coucher. Le week-end, je le mettais devant la télé et je lui demandais de me foutre la paix. Les mamans de ses copains s’en sont mêlées. Il a été invité à gauche et à droite.
Je descends au garage.
Je prends la fiche que je viens de créer, elle porte le numéro 355, Nathan Katz, le tueur de nazis.
Les pièces du puzzle se mettent peu à peu en place.
Katz s’est occupé de Wilhelm Göecke à Caprino Veronese. Pour une raison inconnue, il a rencontré mon père à la sortie du village, la veille de l’exécution. Selon Giuseppe, le villageois, ils se sont d’abord engueulés, puis ils se sont serré la main. Katz est ensuite remonté dans sa bagnole et est reparti avec ses deux sbires. Mon père a alors regardé le papier que Katz lui avait donné et a noté quelque chose.
J’en déduis que mon père n’a rien à voir dans le meurtre de Göecke. Il est allé là-bas dans le seul but de parler à Nathan Katz. À première vue, c’était leur première rencontre.
Comment a-t-il réussi à entrer en contact avec lui ?
Selon Susfeld, c’est une organisation clandestine. Personne ne sait qui ils sont ni où les trouver.
Je prends la fiche de mon père et trace une flèche qui le conduit vers Nathan Katz.
Que lui voulait-il ?
Des informations sur Rudolf Volker, probablement.
Pourquoi ?
Je n’en sais rien.
Qu’a-t-il lu lorsque les trois autres sont partis ?
Je présume que c’était la carte postale du village sur laquelle Katz avait noté 22963. Il s’agissait vraisemblablement d’un numéro de téléphone. Mon père a rajouté NAT K avec son stylo, ce qui explique les encres différentes.
Lors de mon enquête précédente, j’ai appris que les indicatifs téléphoniques internationaux ont été introduits vers 1958. Avant cette date, les communications se faisaient manuellement, via une opératrice. S’il y a cinq chiffres, cela signifie que ce numéro était probablement en service dans une ville importante.
Mon père a rencontré Katz en avril. Deux mois plus tard, il s’est rendu à Berlin.
Pourquoi ?
Pour y revoir Nathan Katz et discuter avec lui dans un cadre plus serein. En avril, Katz avait un meurtre à perpétrer, a fortiori autre chose à faire.
Je remonte au salon. Le chat miaule devant sa gamelle vide. Après la douche, j’irai prendre mon petit déjeuner au Sablon.
Un an plus tard, j’ai commandé un conteneur. J’ai tout viré. Les meubles, les photos, les objets, la vaisselle, tout ce qui me faisait de près ou de loin penser à elle. J’ai lacéré ses vêtements au cutter avant de les balancer à la poubelle.
Sébastien n’a pas compris.
Ce jour-là, il a commencé à me détester. Mon frère est rentré d’Afrique pour me raisonner, il est retourné chez sa connasse avec un œil au beurre noir.
Je compose le numéro de portable de Laura.
Elle répond d’un ton enjoué.
— Laura Bellini, bonjour.
— Stanislas Kervyn.
— J’ai reconnu le timbre chaud et velouté de votre voix. Vous êtes matinal.
— J’ai un service à vous demander.
— Vous savez que nous sommes dimanche ?
— Je sais, c’est une question urgente.
— Si c’est pour me demander si ça me dirait de baiser avec vous, vous perdez votre temps.
— Il ne s’agit pas de ça.
— Je sais, monsieur Kervyn, je disais ça pour plaisanter. Vous devriez vous lâcher de temps en temps. Vos amis ne vous disent jamais que vous n’êtes pas drôle ?
Je laisse la question en suspens.
Les amis que j’avais étaient ses amis.
Au début, ils ont pris de mes nouvelles, par politesse. Après un moment, je leur ai dit que je n’avais rien à foutre de leur compassion hypocrite. À part la femme de ménage, plus personne n’a mis les pieds dans cette maison depuis.
Elle relance le dialogue.
— Je vous écoute. Vous voulez vos lettres et vos affaires de retour ? Je vais les faire déposer à votre bureau dès que j’aurai reçu le paiement de ma facture.
— Avant ça, j’aimerais que vous repreniez la carte postale de Caprino Veronese. Au verso, il est noté NAT K et un numéro, 22963.
— Nathan Katz et son numéro de téléphone, je suppose.
— Sans doute.
— Et ?
— Ce numéro était en activité en 1954, vraisemblablement à Berlin. J’aimerais savoir qui était l’abonné.
Elle se met à rire.
— Je ne veux pas paraître défaitiste, mais il y a peu de chances pour que la personne me réponde.
— J’aimerais que vous preniez contact avec les télécoms allemandes pour essayer d’en savoir plus. Vous me donnez une réponse au plus tôt ?
Elle se rembrunit.
— Je croyais que ma mission était terminée.
— Considérez qu’il s’agit d’une contribution exceptionnelle.
— Qui réclame une rétribution exceptionnelle.
— Ne soyez pas vénale.
Je raccroche.
Si Nathan Katz est encore en vie, ce que semblait insinuer Susfeld, il pourrait me donner la réponse aux questions qui restent en suspens.
Il pourrait me dire ce que voulait mon père et pourquoi il s’intéressait à Rudolf Volker. Il sait peut-être qui l’a assassiné et pourquoi. D’autre part, si Karl Susfeld sait que le Chat officie encore aujourd’hui, c’est qu’il en sait plus sur eux qu’il ne le laisse entendre.
Et si Karl Susfeld connaît de près ou de loin Nathan Katz, je sais comment accéder aux informations qui me permettront de le débusquer pour en finir une fois pour toutes avec cette histoire.
Elle se déhanche, fait pétiller ses yeux.
— Tu veux un café ?
— Bonne idée.
Elle s’appelle Magali, sans e , elle a insisté. Elle était seule à la table d’hôte, à la boulangerie du Sablon. Elle prenait son petit déjeuner en consultant son iPad. Je l’avais déjà croisée auparavant, accompagnée d’une copine dans son genre.
Je me suis assis en face d’elle. J’ai ouvert un magazine en cherchant à capter son regard de temps à autre. La silhouette élancée, les seins volumineux, de longs cheveux bruns, elle se tenait bien droite sur sa chaise, avec l’air pincé de la femme qui sait de quoi elle parle.
Mon manège ne lui a pas échappé. Après un moment, elle m’a abordé, le doigt pointé sur ma gazette.
— Vous aimez le sport ?
— Pas du tout.
— Vous avez suivi la cérémonie d’ouverture, avant-hier ?
— Non.
— C’était magnifique, je l’ai enregistrée.
Du menton, j’ai indiqué le magazine.
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