À aucun moment, il ne leur avait été mentionné qu’il leur était interdit de fréquenter d’autres membres du Chat, mais ils ne voulaient pas que Aaron l’apprenne par une voie détournée.
Dès le lendemain, Nathan prit son courage à deux mains et composa le numéro de téléphone d’urgence.
— Aaron, c’est Nathan.
— Je t’ai reconnu, que se passe-t-il ?
— Je dois t’annoncer quelque chose.
— Je t’écoute.
— Cela n’a rien à voir avec le travail. Éva et moi avons une liaison. Nous nous voyons toutes les semaines, nous nous aimons et nous envisageons de faire notre vie ensemble.
Aaron soupira.
— Je sais tout ça, Nathan, pour qui nous prends-tu ?
Nathan en resta bouche bée.
— Tu le savais ?
— Nous en reparlerons plus tard. Je t’avais dit de ne faire ce numéro qu’en cas d’urgence.
— Bien, Aaron, excuse-moi.
Avant de raccrocher, Aaron prit le ton de la confidence.
— Tu fais du bon boulot, Nathan, et Éva également, nous le voyons. Vous passerez bientôt à l’action.
À la mi-juillet, Nathan reçut son premier ordre de mission sur le terrain.
Selon les renseignements, la ville de Baden-Baden, distante d’une cinquantaine de kilomètres, était un véritable nid de Rats. La ville avait volontairement été épargnée par les bombardements alliés et il faisait bon y vivre. Ses palaces et ses établissements thermaux étaient courus par une riche clientèle européenne et américaine.
Certains ex-nazis y vivaient sous le couvert d’une nouvelle identité, d’autres ne s’étaient pas encombrés de telles précautions et s’exhibaient au grand jour, tel Aribert Heim, surnommé le Docteur Mort par les prisonniers de Mauthausen, qui officiait à visage découvert dans son cabinet de gynécologie, au centre de la ville.
Aaron avait promis à Nathan que le Chat se chargerait de lui dans les mois qui suivraient.
En attendant, Nathan était chargé de prendre en filature un homme soupçonné d’être Georg Sommerer, le SS-Obersturm-bannführer qui avait dirigé la section III au camp d’Auschwitz.
L’homme travaillait comme portier dans un hôtel luxueux sous le nom de Gustav Sommer. Un rescapé qui avait fait un bref séjour dans le palace était persuadé de l’avoir reconnu.
Le 17 juillet, Nathan arriva à Baden-Baden et s’installa dans une chambre de bonne louée pour lui à proximité du palace en question.
La mission de Nathan s’étala sur trois semaines.
D’après les documents qu’il avait présentés à l’hôtel lors de son engagement, Gustav Sommer était né à Walldorf en 1909. Il vivait seul au dernier étage d’un immeuble de six étages situé sur la Ludwig Wilhelm Platz, en face de l’église. Il travaillait six jours sur sept et faisait de longues journées.
Dès le lendemain de son arrivée, Nathan se mit sur ses pas. L’homme était trapu, large d’épaules et arborait une dent en or sur le devant. Durant la journée, Nathan l’observait depuis le parc situé en face de l’hôtel. Sommer souriait, ouvrait la porte avec déférence, faisait des courbettes, s’empressait de porter les valises des clients et aidait les femmes accompagnées d’enfants.
Il prenait une pause d’une heure à quinze heures et faisait des courses dans le quartier. Une bouteille de schnaps faisait partie de ses achats quotidiens. Il quittait l’hôtel vers vingt et une heures trente et rentrait chez lui.
Le mardi et le samedi soir, il retrouvait trois hommes de son âge dans un bar sur Augusta Platz. Ils jouaient aux cartes jusqu’à minuit, heure à laquelle les cafés étaient tenus de fermer.
Le mercredi était son jour de congé. Il sortait de chez lui vers dix heures, se promenait dans les parcs de la ville, prenait son déjeuner dans un restaurant italien, allait au cinéma et retournait à son domicile vers dix-neuf heures pour n’en ressortir que le lendemain matin.
Ce programme réglé comme du papier à musique se répéta durant les trois semaines. Gustav Sommer était ancré dans ses habitudes.
Nathan nota avec précision les horaires, les trajets et les activités de Sommer et fit parvenir le tout à Aaron.
Il leur restait à s’assurer que l’homme était bien Georg Sommerer. Hormis la dent en or, il ressemblait trait pour trait au SS. Les photos que Nathan avait en sa possession le démontraient, mais cela ne suffisait pas pour signer son arrêt de mort.
À plusieurs reprises, Nathan avait tenté de vérifier s’il portait la Kainsmal , la lettre tatouée que les SS portaient sur la face intérieure de leur biceps gauche pour indiquer leur groupe sanguin.
L’absence de ce tatouage ne signifiait pas pour autant que Sommer n’était pas l’homme qu’il recherchait. De nombreux SS se l’étaient fait enlever à la fin de la guerre et, contrairement à la rumeur, la Kainsmal n’avait pas été généralisée. Bon nombre de SS n’arboraient pas le signe de Caïn.
Au début de la quatrième semaine, Aaron lui fit parvenir un message.
Jeudi, entre 16 et 17, visite de l’appartement. Moshe viendra t’épauler. Rendez-vous chez toi à 15.
Moshe débarqua chez Nathan à l’heure fixée.
Ils furent heureux de se retrouver. Malgré cela, ils ne prirent pas le temps de discuter et entrèrent dans le vif du sujet. Dès son arrivée à Berlin, Moshe avait intégré une équipe de cambrioleurs et avait été formé aux différentes techniques d’effraction.
— Aucune serrure ne me résiste, j’entre où je veux en moins d’une minute. Le mois prochain, je m’attaque aux coffres-forts.
— On va voir ça, cher ami.
Ils avaient une heure pour pénétrer dans l’appartement de Sommer, trouver les preuves qu’il était à Auschwitz en 1944 et quitter les lieux sans laisser de trace.
Ils se rendirent à la Ludwig Wilhelm Platz par des chemins séparés et se retrouvèrent au bas de l’immeuble. Il ne fallut que dix secondes à Moshe pour ouvrir la porte d’entrée, à peine quelques-unes de plus pour fracturer celle de l’appartement.
Moshe freina l’empressement de Nathan qui se ruait dans le couloir.
— Attends, Nathan. Avant d’entrer dans une pièce, photographie l’emplacement de chaque meuble, de chaque tableau, de chaque objet, même les plus petits, tout doit être remis en place, au millimètre près. Si cet homme est Sommerer, il y a de fortes chances qu’il y ait des pièges dans l’appartement, des indices lui permettant de voir s’il a reçu de la visite. J’ai vérifié la porte, il n’y a ni cheveu ni allumette, mais ça ne veut pas dire qu’il ne se méfie pas.
— D’accord.
— Et fais attention où tu marches, c’est un vieux parquet et les locataires du dessous sont peut-être présents.
Ils entreprirent une fouille rapide du logement. Plus d’une fois, Nathan ressentit une montée d’adrénaline lorsqu’il entendait des pas dans l’escalier ou quand l’ascenseur se mettait en marche.
À force de tâtonnements, ils finirent par trouver une cache derrière l’un des meubles. Elle contenait une carte d’officier SS, un Lüger, une longue dague et des photos de Sommer inspectant un rang de prisonniers à Auschwitz.
Ils se serrèrent la main. Ils avaient la confirmation qu’ils étaient venus chercher.
Gustav Sommer était bien Georg Sommerer.
Le surlendemain, Nathan fit le chemin de retour vers Karlsruhe où un message d’Aaron l’attendait. Il le félicitait pour le travail accompli, l’informait que le Chat montait une opération contre Sommerer et qu’il serait amené à y participer, en tant que témoin dans un premier temps.
Quelques jours plus tard, il reçut un nouveau message. La capture et l’exécution de Georg Sommerer auraient lieu le dernier jour du mois de septembre.
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