Lorsqu’il demandait quelque chose d’une certaine façon, on était fortement enclin à le lui accorder.
Le chauffeur est sorti de l’auto, entre Paulo et Angelo. C’était un grand type mince. Ils se sont engouffrés tous les trois dans l’immeuble.
Ensuite, Paulo est allé rentrer la voiture, tandis qu’Angelo m’amenait le chauffeur.
Ce type était jeune et bien découplé malgré son aspect plutôt frêle. Il a sursauté en voyant son patron allongé, puis il m’a considéré d’un air éberlué.
— Il s’est trouvé mal ? a-t-il demandé.
— Quelque chose dans ce genre… Tu es le chauffeur de monsieur depuis longtemps ?
— Depuis hier…
— Hein ?
J’ai cru qu’il se payait ma terrine. Mais non, il disait vrai. Un air de grande franchise était épanoui sur sa face contrariée.
— Je suis chauffeur de maître à l’Opéra. La voiture est à moi. Il m’a loué hier pour la semaine… Qu’est-ce qui va me payer, maintenant ?
Merveille est entrée à ce moment-là. Jolie à faire hurler une meute de chiens de traîneaux. Elle portait un déshabillé de soie bleu et croyez-moi, je pèse mes mots : c’était vraiment un déshabillé. On voyait d’elle, par transparence, ce que les honnêtes femmes ne montrent qu’à leur amant.
Elle a regardé le cadavre de ses yeux tranquilles, ensuite le chauffeur et enfin son regard interrogateur s’est posé sur moi.
— Qu’est-ce qui se passe, mon chéri ?
— Rien de grave… Ce vieux monsieur a eu une belle mort dans mon bureau.
Le chauffeur a commencé à comprendre qu’il était dans une maison pas comme les autres. Il me trouvait sûrement trop maître de moi, étant donné la situation.
— Faudrait prévenir Police-Secours, a-t-il balbutié.
Son regard était flou. J’ai cramponné un bouton de sa veste bleu marine et tiré un coup sec. Le bouton m’est resté dans la main.
— Mais, a fait l’homme… Qu’est-ce qui vous prend ?…
— Ta gueule !
Il a battu en retraite. J’ai dit simplement :
— Angelo !
Et Angelo est entré. Un petit mouvement du menton lui a fait sortir son revolver.
— Qu’est-ce que ça veut dire ? s’obstinait le loueur de calèche royale.
— La ferme !
— Dites donc ! Je… Je vais…
Angelo l’a péché d’une droite sèche à la pommette. Le zig a joué au mécano dévissé et s’est agrippé au bord du bureau. Merveille s’amusait comme une folle. Je me suis agenouillé près du cadavre. J’ai ouvert la main droite de Calomar et plaqué le bouton dans sa vieille paume ridée. Puis j’ai refermé ses doigts comme le couvercle d’une boîte.
Je ne sais pas si le grand type en uniforme de larbin a pigé, toujours est-il qu’il s’est mis à rouscailler vilain. Alors je lui ai balancé un coup de savate japonaise au creux de l’estom ; ensuite, il a eu droit à un coup de crosse sur la nuque, de la part d’Angelo.
Il s’est allongé pour le compte sur le tapis de haute laine. Un coup de crosse d’Angelo méritait réflexion et il allait réfléchir un bon bout de temps, je vous le promets…
Sur ces entrefaites, Paulo est arrivé. Il semblait avoir récupéré.
— La guindé est immatriculée à Paris, nous a-t-il annoncé. C’est une voiture de place. J’ai trouvé ce carton, dans le fourre-tout.
Il m’a allongé un carton sur lequel des lettres rouges annonçaient que le véhicule et son conducteur se louaient à la journée.
J’ai fait un geste satisfait. Dans le fond, ça ne déguillait pas trop mal. J’avais mon plan, que j’estimais bon. Vivement, j’ai sorti le portefeuille de la poche de Calomar. Il contenait dix mille dollars, quatre cent vingt mille francs français et dix mille francs suisses. Autrement dit une mini-fortune. Puis je lui ai ôté sa montre-bracelet en or, son épingle de cravate, sa chevalière ornée d’un brillant d’au moins cinq carats.
J’ai placé tout ça dans un tiroir de mon burlingue.
— Au boulot, ai-je dit aux deux copains… Vous allez me trimballer le cadavre dans un coin perdu à la cambrousse. Vous le foutrez dans un taillis. Après quoi, vous irez larguer l’auto à proximité de la gare de Lyon, vu ?
— D’accord…
— Maintenant Angelo va descendre cette cloche à la cave…
Du pied, j’ai poussé le bras du chauffeur.
— J’ai remarqué une vieille baignoire de zinc en bas.
« Tu le foutras dedans et tu lui mettras une olive dans le plafond. Lorsque vous serez revenus de la première expédition, vous vous procurerez quelques sacs de ciment. Vous coulerez le ciment sur le corps, dans la baignoire. Demain ça ne fera plus qu’un bloc. Vous chargerez la baignoire dans la camionnette et vous irez jeter le tout à la Seine, ou à la Marne, je ne suis pas sectaire, l’essentiel est que le coin soit profond… Vu ?
— D’accord, patron !
Ça m’a fait plaisir qu’on me donne du « patron » à un tel moment. Ça prouvait que j’étais bien le champion… J’avais les brèmes en pognes et je les jouais magistralement.
— Surtout, motus, vous autres, hein ? Sans quoi il y aurait du vilain…
La recommandation était superflue. On voyait sur leurs petites gueules qu’ils ne comptaient pas publier leurs Mémoires dans Paris-Match.
Deux jours se sont écoulés sans que je n’entende plus parler de rien. Et puis un ramasseur d’escargots a trouvé la carcasse de Calomar dans un fourré, près de Saint-Nom-la-Bretèche, et ça a fait un drôle de cri dans la presse, je vous le jure.
Il y a eu des tartines à n’en plus finir, comme quoi le vieux était un des rois du mitan international et qu’il avait la mainmise sur toute la production de pavot de Chine et des Balkans. Un vrai turbin, parole !
On se perdait en conjectures… La veille, on avait trouvé la Rolls du loueur près du boulevard Diderot et on commençait à faire un vague rapprochement entre l’assassinat de Calomar et la disparition du chauffeur…
Le lendemain, il y avait le pédigrée de ce dernier à la une et les bourdilles demandaient à toute personne ayant aperçu cet homme au cours des trois derniers days de les rancarder d’urgence.
Je me suis alors dit que tout allait pour le mieux et j’ai commencé à oublier un peu ma trouille au vestiaire. Grâce à ma maîtrise, et à mon esprit d’initiative, j’allais pouvoir garder mon nez propre dans cette histoire, et c’était tout ce que je demandais…
Seulement, à la fin de la semaine, je me suis senti un peu pâlichon des genoux.
Ça s’est produit d’une drôle de façon… Franchement, je ne m’attendais pas à ça. J’étais dans mon bain mousseux et je me frottais le dos au gant de crin lorsque le bignou a carillonné dans la chambre voisine. C’était la première fois. Jamais personne ne m’avait tubé par le truchement de cette ligne privée.
Merveille est entrée dans la salle de bains, portant l’appareil blanc en traînant derrière elle une guirlande de fil.
— On te demande.
— Qui ça, « on » ?
— Un type, il n’a pas voulu dire son nom…
Je me suis essuyé la paluche à une serviette éponge épaisse comme un tapis et j’ai empoigné le combiné. A l’autre bout, il n’y avait que du silence. J’ai cru, à l’intensité de celui-ci, que la communication était coupée.
J’ai murmuré « Allô ! » à tout hasard. Alors une voix étrange est venue du néant. Une voix d’homme, froide et creuse. Une voix qui paraissait artificielle…
— Kaput ?
— Et alors ?
— Quelqu’un tient à vous voir…
— C’est vrai ?
— Et ça urge !
— Qui parle ?
— Mon nom ne vous dirait rien de bon…
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