Un instant plus tard, nous étions auprès de la Nana annoncée, une grande fille d’environ trente carats avec un air assez bête et des cheveux acajou coupés à l’ange.
— Tiens, a fait la danseuse, je te présente un ami à Gilberte et à moi…
(Ce qu’on est vite sacré copain quand on lâche de la fraîche !)
— … Il a quelque chose à vendre, a poursuivi la tortilleuse de croupion… Je pense que vous pourrez vous mettre d’accord. Après quoi, jugeant sa mission terminée, elle m’a laissé en tête à tête avec la donzelle…
J’ai souri gentiment, mais l’autre se moquait des hommages. A son regard, je l’avais cataloguée. C’était une gonzesse cupide… L’avarice se lisait sur elle comme dans un bouquin. Elle devait fourguer de la neige à tout va aux cavés du secteur… C’était son petit bénef…
— Qu’est-ce que vous voulez vendre ? a-t-elle questionné. Elle était un peu méfiante.
Fallait la rassurer rapidos. Seulement, elle, on pouvait pas la chambrer en chiquant au coup de foudre. Les hommages masculins, elle s’asseyait dessus. Je la soupçonnais même de goûter au gigot à l’ail.
— Voilà, ai-je dit, j’ai un petit stock de blanche qui m’a échu incidemment. C’est pas ma partie et j’aimerais le fourguer au plus vite…
— C’est de la chouette ?
— First quality… Si ça vous intéresse, je vous fais un prix pour le total…
— Vous en avez combien ?
— Cinquante grammes…
Elle a réfléchi.
— D’où vient-elle, cette neige ?
— D’un héritage, mettons… Rassurez-vous, c’est du sans histoire, si c’est ça que vous redoutez…
— Vous en voulez combien ?
— Je ne sais pas, j’ai pas idée du prix, c’est à vous de voir…
Ses yeux ont brillé. Je vous le dis, c’était une petite cupide ! Elle devait avoir un livret de Caisse d’Epargne plein à craquer et elle achetait sûrement des louis d’or qu’elle cachait sous ses matelas et recomptait le soir en rentrant chez elle. Elle m’écœurait.
— On peut voir, a-t-elle dit… Ecoutez, je quitte mon service à quatre heures, ça vous ennuie de m’attendre ?
— Du tout !
— Bon, alors devant la porte…
— Tchao !
Je me suis cassé après un regard à la pendule. Il était une plombe, j’avais un temps mort de trois heures à bigorner.
Je suis allé du côté des Boulevards et je me suis rencardé pour trouver une pharmacie de garde… Il y en avait une tout près. J’y ai acheté un rouleau de sparadrap et un petit paquet de bicarbonate… Avec ça, je pouvais voir venir.
Dans une rue sombre, j’ai largué la plus grosse partie du paquet et j’ai plié le reste. Il ne me restait plus qu’à attendre l’heure H.
J’ai suivi les artères bien éclairées jusqu’à Saint-Lazare. Les lumières brillaient au fond de mon cœur… Je pensais que la vie est douce par instant. Ça faisait des années que je traversais ces alternances de confiance et de doute… Dès que ça se tassait un peu du côté des poulardins, je reprenais goût à la planète… L’homme a l’espoir chevillé au corps…
J’ai bu quelques verres de fine dans les troquets gorgés de néon face à la gare… C’était truffé de filles fatiguées qui faisaient camarade un instant, le temps d’avaler un jus bien chaud avant de retourner au bitume. L’une d’elles, me voyant seulâbre, s’est radinée mine de rien.
— Alors, beau gosse ?
Elle était petite, grosse, avec un sourire en tranche d’orange. Son rouge à lèvres pâle ressemblait à une fleur vénéneuse piquée dans sa bouche.
— Ecrase, tu veux ?
Je devais avoir mes sales yeux, car elle n’a pas insisté et a traîné son godet plus loin sur le comptoir.
Les trois plombes ont vite passé. Je suis retourné jusqu’au Cacatoès. Nana était déjà sortie et m’attendait, l’air mauvais.
— Je croyais que vous m’aviez posé un lapinos !
— Excusez, ma tocante retarde !
Elle m’a demandé, méfiante :
— Où allons-nous ?
— Où vous voudrez, j’ai la marchandise sur moi…
— J’habite à deux pas, on sera plus tranquilles…
— D’accord…
Elle créchait rue des Martyrs, à l’entresol. Son appartement faisait doucement rococo. Il était émouvant, car il avait l’odeur du passé. C’était encaustiqué. Y avait des patins de feutre sur les parquets…, des plantes vertes dans des cache-pots, des rideaux à pompons…
— Ne faites pas de bruit, m’a supplié la fille, ma mère dort…
Je me suis renfrogné. Ça ne me bottait pas, la présence d’une personne étrangère dans l’appartement, ce que je comptais y faire allait nécessiter un certain bruit et je n’avais pas besoin de spectatrice…
— Asseyez-vous…
J’ai pris place dans un fauteuil couvert de satin passé, tandis que la fille ôtait son manteau et allait l’accrocher dans le vestibule…
J’ai hésité, me demandant s’il était prudent de risquer le coup dans d’aussi mauvaises conditions. Seulement, l’idée de partir à travers les rues, sans avoir obtenu le moindre résultat, m’a tellement attristé que j’ai décidé d’y aller gaiement dans la brouillie.
Elle revenait justement.
— Montrez ! m’a-t-elle dit en tendant la main avec autorité.
J’ai sorti le paquet de bicarbonate. Elle a froncé les sourcils.
— C’est une astuce, ai-je assuré. Les autres bradent du bicarbonate dans des sachets de neige ; moi, je vends de la neige dans des paquets de bicarbonate, chacun sa manière…
Ça l’a fait marrer. Pourtant, son premier geste, lorsqu’elle a eu le paquet, a été de tremper son doigt dedans et de goûter la poudre blanche. Elle a illico froncé les sourcils. Ça tournait au vinaigre. Je n’ai pas perdu de temps. Dans ces cas-là, ce qui m’a toujours sauvé la mise, c’est mon esprit de décision et ma promptitude d’exécution.
Je lui ai porté un coup terrifie sur la glotte. C’est radical et je vous le recommande. Ne perdez jamais votre temps à chercher d’autres points vulnérables. Rien de tel que ce parpaing dans le diapason pour rendre quelqu’un fabuleusement docile.
Elle s’est effondrée en produisant un gargouillis désespéré. Elle manquait plutôt d’oxygène…
Je l’ai cramponnée au vol et l’ai assise dans un fauteuil. Je lui ai mis une chiquenaude sur la nuque, histoire de faire le pendant. Elle a perdu conscience. La ligoter bien classiquement avec les cordelettes du rideau a été un jeu d’enfant…
Lorsqu’elle s’est trouvée dûment entravée, j’ai songé à la brave maman. Fallait la soigner, elle aussi, autrement elle risquait de hurler à la garde et d’ameuter le quartier…
J’ai cherché sa chambre. Elle avait dû entendre du bruit car elle a demandé soudain :
— C’est toi, Nana ? Tu es avec quelqu’un ?
Ça m’a permis de me repérer. J’ai délourdé et je me suis déguisé en plongeur. En deux enjambées, j’ai été sur le lit de la vieille. Elle beuglait déjà. Un coup de poing sur le pif l’a calmée… Le raisiné s’est mis à pisser de son tarin. Sur les draps blancs ça faisait tout de suite de l’effet ! C’était une pauvre vieille à bouillotte, ça m’a fait de la peine. Voilà que je m’attendrissais sur les grand-mères à cette heure.
— Vous affolez pas, la mère, je ne vous veux pas de mal… Seulement, faudra rester sage…
Je l’ai bâillonnée avec mon sparadrap. Puis je lui ai fait le coup du saucisson de Lyon…
Maintenant, la cambuse m’appartenait, je n’avais plus qu’à entreprendre Nana à la bonne franquette.
Je suis retourné la chercher… Elle gémissait dans son inconscience. Je l’ai traînée jusqu’à la cuisine… J’avais ma petite idée. Je me gaffais que ce genre de gaillarde serait duraille à avoir à l’intimidation…
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