Pour débuter, il me fallait donc mettre la patte sur un drogué et le prendre « entre quat’yeux » !
En remontant, j’arriverais peut-être jusqu’au bon Dieu ! Seulement, il était dix plombes du mat et pas un type se bourrant le pif ne pouvait être levé à pareille heure ; il fallait être gentil et ne pas confondre les drogués avec les laveurs de trottoirs que je voyais évoluer devant moi.
Le quartier me plaisant, j’ai laissé ma tire où elle était et je suis allé musarder au Luxembourg. Il y avait déjà des amoureux qui se bouffaient le groin sous les arbres jaunis et des mômes en rupture de classe lançaient des contre-torpilleurs en papier sur le bassin. Ce qu’il faisait doux et tendre ! Ce que la vie était pure à renifler !
J’ai arpenté tout le jardin, m’arrêtant devant les courts de tennis où des jeunes vierges à gueule de girl-scouts faisaient des balles ; devant les jeux de boules où de vieux mirontons essayaient de dompter leurs sciatiques !
Et midi est arrivé bêtement… Ça a crevé sur Paris comme mille bourgeons éclatant douze fois de suite !
J’ai bouffé dans un restaurant… Ensuite ciné… Un beau film un peu pleurard mais de bon ton… Puis re-ciné, re-gueuleton dans un restaurant chinois…
J’ai décidé de me payer les Folies-Bergère… Je n’y étais jamais allé. Ça faisait un peu péquenod-qui-débarque, mais j’avais envie de reluquer de la jolie fesse et de battre des paupières dans de la lumière…
En attendant l’heure du spectacle, rue Richer, j’ai bu le café dans un bar… Il y avait des petites danseuses de la maison qui discutaillaient le morcif en attendant l’heure d’aller se filer une plume dans le train… L’une d’elles a demandé ce que devenait Gilberte… Une autre a répondu qu’elle était malade et qu’elle avait dû suspendre son numéro au « Cacatoès ». Pourquoi ai-je mentalement enregistré cette bribe de conversation ? Je l’ignore. Y a des moments où votre subconscient marne tout seul, comme un grand… Toujours est-il qu’après le spectacle ça m’est revenu dans le bocal, cette histoire de Gilberte qui n’allait pas au « Cacatoès »…
J’ai demandé à un aboyeur s’il connaissait une taule de ce nom dans les parages et il m’a dit que ça se trouvait dans une petite voie perpendiculaire aux Folies. Entre la rue Richer et les boulevards…
J’ai remercié et j’y suis allé aussi sec, d’un pas bien assuré…
Il s’agissait d’une boîte décorée dans le style Oubangui-Chari. Elle n’était pas très grande, mais il y avait beaucoup de trèpe. La clientèle se composait surtout des petites danseuses des Folies et des Messieurs qui venaient les attendre à la sortie.
Je me suis collé dans un petit coin, en tête à tête avec une boutanche de rouille. Au piano, un noir sévissait tandis qu’un autre se prenait pour Armstrong en fissurant le pavillon d’une trompette à force de souffler dedans !
Bonne ambiance… J’ai attendu un instant… Il y a eu une attraction plutôt minable : un couple de danseurs soi-disant péruviens, mais qui n’avaient jamais dû voir un autre ciel que celui de Belleville. Leur numéro n’intéressait personne, même pas le traditionnel couple de provinciaux qui s’étaient fourvoyés dans cette galère, attirés par trois mètres de néon vert.
Lorsque ma bouteille a été vide, je me suis senti tout à fait bien… Ça me changeait de la grand route, des manèges, et des seins débordants de la grosse Jane…
J’ai appelé le garçon, lui ai allongé un billet de dix raides et me suis levé dès qu’il m’a eu rendu la momifie… J’ai mis le cap droit sur les coulisses, à savoir la sortie de service…
Je suis tombé sur le danseur péruvien qui venait de se déguiser en mandarin chinois pour exécuter un numéro de jongleur d’assiettes !
— Vous cherchez quelqu’un ? m’a-t-il demandé…
C’était un grand type au nez crochu. S’il comptait se faire passer pour un fils du soleil avec un blair pareil, moi je pouvais annoncer que j’étais le duc de Windsor !
— Je cherche Gilberte…
Il a cru que j’étais un initié et il s’est radouci.
— Elle est malade en ce moment !
— Pas possible ?
— Si !
— Ça fait longtemps ?
— Deux jours… Une angine, je crois…
— C’est empoisonnant, j’avais… une… une commission pour elle !
— Laissez-la à ma femme… Elle est dans la loge au bout du couloir…
— Merci…
L’établissement ne comportait qu’un seul réduit pompeusement baptisé « loge » où les « vedettes » du spectacle allaient se poiler. La gonzesse m’a crié d’entrer et je l’ai découverte, presque nue devant une glace et se massant les roberts avec volupté.
Elle m’a considéré, sans le moindre effarouchement. Pour elle je n’étais ni plus ni moins qu’un homme et elle n’avait pas peur des hommes.
— Qu’est-ce que vous voulez ?
— Je cherche après Gilberte ; on me dit qu’elle est malade ?
— Paraît…
— J’avais quelque chose pour elle, c’est empoisonnant…
— Laissez-le-moi, je vais aller la voir demain…
J’ai pris l’air du gars embêté qui danse d’un pied sur l’autre sans parvenir à se décider.
— Non, ai-je fait… C’est spécial…
Du coup la curiosité a empourpré le visage de la danseuse. Elle était pas mal baraquée du tout. Je renouchais sa poitrine : on pouvait consommer sur place, c’était pas la peine de faire un pacson.
Elle a compris que je m’en ressentais pour elle et elle est devenue câline.
— Vous vous méfiez de moi ?
— Mais non…
J’ai répondu mollement, juste pour la faire frémir de curiosité. Après tout, ce que je faisais était idiot. Comme rendement, ça s’avérait vachement aléatoire. On ne pouvait garantir le résultat. Pour parvenir à Carmoni, je faisais vraiment le grand tour !
— Ecoutez, ai-je lâché tout de go, c’est… une sorte de tabac à priser, vous voyez ce que je veux dire ?
Elle en a bavé :
— Sans blague ! Gilberte se bourre le pif ?
— Je ne sais pas si c’est pour elle, moi je fais simplement la commission. A dire vrai, ça ne m’emballe pas des masses, ces combines-là !
Maintenant qu’elle était au parfum du secret, la gambilleuse me moulait comme une vieille chaussette. Elle a rengainé son nichon vadrouilleur dans son monte-charge en soie noire.
Fallait pas que je la laisse refroidir, autrement j’allais l’avoir dans le sac, bien profond !
— Dites, je suis embêté de trimbaler ça… D’autre part, j’ai douillé et je veux rentrer dans mes débours… Vous ne connaîtriez pas quelqu’un, dans le secteur, à qui ça ferait plaisir ?
Vous le voyez, on abordait la passe dangereuse. Si elle se méfiait, je faisais ceinture ! J’ai pris mon air le plus ballot, le plus doux, le plus ce-que-vous-voudrez !
Elle a passé une robe scintillante par-dessus sa tête, puis elle a réapparu, un peu rouge…
— Voyez Nana…
— Qui est Nana ?
— La petite du vestiaire…
— Vous ne pouvez pas me présenter ? Je paie un coup de champ pour vot’peine…
Elle a fait une grimace atroce.
— Sans façon ! Ici on biberonne déjà trop pour le compte de la Direction…
Fallait faire quelque chose, et d’urgence.
J’ai sorti un billet de dix raides et l’ai posé sur la coiffeuse.
— Une danseuse, ça doit avoir besoin de bas ! Permettez-moi de vous en offrir quelques paires.
Je savais vivre… Elle s’est épanouie…
— Un instant, je vous mène vers Nana !
Pendant qu’elle achevait de s’attifer, je vous réponds que la paluche me démangeait sérieusement. Ça devait venir de l’odeur flottant dans la loge. Une senteur bizarre composée de parfums multiples et d’odeurs d’aisselles. Je me suis retenu de lui faire du gringue. Il n’aurait plus manqué qu’elle me téléphone une beigne !
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