— Vous qui avez l’habitude de ces choses, Clay, il dirait quoi, le juge ?
Clay se mordit les lèvres. Cette enfant terrible ne manquait pas de jugeote. Quel jeu jouait-elle ? Pourquoi l’excitait-elle de la sorte ? Pourquoi lui décochait-elle ces flèches ?
Il haussa les épaules.
— Vous feriez mieux de vous occuper de vos toilettes, de vos voitures et de vos amants, dit-il.
— Qu’est-ce que je fais en ce moment ? demanda Gloria.
Il ne comprit pas tout de suite…
— Vous êtes de bon conseil, murmura-t-elle, je m’occupe de mes amants, de mes futurs amants…
Elle rapprocha son siège, glissa sa main fine sous le bras du policier et approcha sa bouche de son oreille.
Le souffle tiède de la jeune fille sur son visage causa à Clay un émoi contre lequel il n’eut ni la force ni même la volonté de s’insurger.
— Ça ne vous dit rien, d’être l’amant d’une belle gosse, inspecteur ? Une riche héritière, ça ne vous flatte pas ?
— Petite putain, balbutia Clay, vaincu.
— Allons, allons, voulez-vous bien ne pas parler de la sorte. Si je disais un mot de ça à papa, il vous traînerait à son tour devant un tribunal pour injures… injures à fille à papa, c’est beaucoup plus grave qu’injures à magistrat, vous savez, Clay !
L'inspecteur ne put s'empêcher de rire.
Il l’avait dit : c’était une fille curieuse, un drôle de petit lot !
Il passa sa main sur l’épaule de sa compagne et l’embrassa.
Un baiser de Gloria Masure, c’était quelque chose.
Il sentait qu’il devenait dingue d’elle. En somme, c’était grâce à elle, s’il était riche. Sans elle, il n’aurait pas eu besoin de voler un mort, il n’aurait même jamais eu l’idée de le faire.
— Ça vous chanterait de venir faire un tour chez moi ? dit-il. Je vous le dis tout de suite, je n’ai pas d’estampes japonaises, mais j’ai toujours rêvé de chiffonner une robe blanche…
Gloria valait le voyage au septième ciel.
L'heure qu'il venait de vivre suffisait à justifier l’existence d’un individu ; c’est du moins ce que se disait le policier en regardant sa partenaire se rhabiller…
Elle avait des jambes longues et bien faites, des seins lourds et fermes, des hanches voluptueuses. Un corps absolument sensationnel.
Elle acheva de passer sa combinaison de soie blanche.
— Allons-y, dit-elle simplement.
Elle sourit à Clay.
— Ma robe est froissée, remarqua-t-elle en la ramassant par terre où la frénésie de Clay l’avait jetée.
Il rit.
— Un flic, c’est aussi un soudard, mon petit, murmura-t-il.
— Je ne m’en plains pas, ajouta-t-elle en lui coulant un regard velouté.
Elle précisa :
— Tu es un amant merveilleux, John. Tu vaux toutes les robes de la création…
— Un drink ?
— Non, plus soif… Du reste, je n’ai plus envie de rien, sauf d’une chose : me coucher pour rêver à ce qui s’est passé, et pour récupérer.
Flatté, Clay se leva et vint tout contre elle. Il passa les bras sous les aisselles de la jeune fille et l’embrassa dans le cou tout en lui caressant la poitrine.
— Les meilleures choses ont une fin, dit-elle en se dégageant lentement.
Elle acheva de se vêtir, coiffa son large chapeau.
— Au revoir, inspecteur de mon cœur, dit-elle.
— Hé ! l’arrêta Clay. On se quitte sans prendre rendez-vous ?
— Pas besoin de prendre rendez-vous, dit-elle, je rentre chez moi et je n’en bouge plus avant que tu viennes m’y chercher… Masure ! C'est facile à dénicher, dans l’annuaire…
Elle partit.
John retourna s’étendre sur son lit. Il avait dans tout le corps une sensation d’apaisement voisine du vide.
Ayant consulté sa montre, il vit qu’il avait deux bonnes heures devant lui pour récupérer un brin. Il remonta la sonnerie de son réveil et s’endormit comme une brute.
* * *
Une aigre sonnerie le réveilla.
Il crut tout d’abord qu’il s’agissait de celle de son réveil ; mais un regard sur ce dernier lui apprit qu’il n’en était rien : l’heure fixée pour se relever n’avait pas encore sonné, il s’en fallait d’une quarantaine de minutes.
La sonnerie se répéta, plus longue, plus appuyée. C'était celle de la porte d’entrée. En grommelant, il passa sa robe de chambre et enfila ses mules.
De la main il mit un peu d’ordre dans sa chevelure, puis, en bâillant, alla ouvrir.
Un homme se tenait sur le palier. Un homme qu’il connaissait mais sans pouvoir préciser d’où…
Au bout de quelques secondes, la mémoire lui revint. Le visiteur n’était autre que l’Italien de la nuit, celui qui devait témoigner dans l’affaire Malisson.
Clay fronça le sourcil.
— Qu’est-ce qui vous prend ? grommela-t-il. Je ne vous ai pas convoqué chez moi, mais au commissariat… En voilà, des façons ! Et puis, d’abord, comment savez-vous mon adresse ?
L'Italien semblait moins humble que précédemment. Au contraire, il faisait montre d’un curieux aplomb qui lui donnait quelque chose d’inquiétant.
— Jé eu votré adresse par lé commissariat, fit-il. Jé voulais vous parlate seul…
— Seul ? s’étonna Clay.
— Seul, répéta docilement l’Italien.
Il eut un regard qui signifiait : « Qu’attendez-vous pour me faire entrer ? ».
Le policier hésita et le fit entrer. Tous deux prirent place dans le petit studio.
Clay, qui en toutes circonstances faisait preuve d’une parfaite aisance et savait en imposer à ses interlocuteurs, pour la première fois se trouvait comme gêné.
Que signifiait la présence chez lui de cet étranger ? Jusqu’ici, son domicile était une retraite secrète où il se terrait lorsqu’il en avait classe, du métier dangereux qu’il avait choisi.
— Je vous écoute, soupira-t-il en allumant une cigarette.
L'Italien tenait à la main sa casquette à visière de carton cuit.
— Cendrini est uné pauvre homme, murmura-t-il doucement.
— Qui est Cendrini ? interrogea Clay.
— Mais… moi, inspector !
— Ah oui !
— J’ai ouné femme malado, continua l’autre, grava maladia… Le sang ! Dio santo ! Elle né pau plous marché. Et yé on bambino, et yé ouné madre, vieille, très vielle… Et jé né parviens pas à donner à mangiare à tosté, inspector…
Il essuya une larme furtive et se mit à tourner sa casquette entre ses doigts.
Clay eut un hochement du menton.
— C'est pour me dire ça que vous êtes venu ?
— Si, signor…
— Où voulez-vous en venir, Cendrini ?
— Jé bésoin d’arzent, fit l’Italien.
— Vous n’êtes pas le seul, dit Clay, de plus en plus mal à l’aise. Je suppose que vous ne comptez pas sur moi pour vous en fournir ?
L'autre le regarda froidement.
— Si, zoustément, inspector !
Clay eut soudain mal au creux de l’estomac. Cela lui fit comme une atroce sensation de brûlure dans les entrailles ; il sentit que les battements de son cœur s’espaçaient. Les extrémités de ses oreilles devinrent froides.
— Quelle idée ! dit-il d’un ton faiblissant.
Cendrini crut le moment opportun pour abattre ses cartes.
— Ouné pétit peu de ce que contenait lé portefouillé dé Malisson mé suffirait, dit-il.
Clay ne dit pas un mot. Depuis qu’il avait ouvert la porte à l’homme, il pressentait un dénouement de ce genre.
Il dut avaler sa salive à plusieurs reprises avant de pouvoir parler.
— Vous… Que… Qu’est-ce que vous dites ! bégaya-t-il.
— Vous lé savez parfaitement, inspector, dit Cendrini. Vous avez pris lé portefouillé dans lé coffré. J’ai vou… Tout vou… Et vous l’avez mis dans vostre quémisa…
Читать дальше