Du pied, il expulsa la porte et fit irruption dans le cabanon. Hana était assise à même le sol, recroquevillée par la douleur. C’est à peine si elle lui adressa un regard : ses mains ensanglantées cherchaient à brancher les fils du détonateur, celui qui ferait sauter le site. Mais elles tremblaient trop. Osborne arracha les fils de ses mains pathétiques et souleva sa tunique : la blessure était moche à voir mais elle pouvait encore s’en sortir.
— Tu peux avancer ? dit-il.
— Oui.
Dehors les coups de feu redoublaient. Osborne empocha le détonateur, prit Hana dans ses bras et la tint debout. La jeune femme grimaçait, les yeux injectés, mais elle avait toujours la même odeur, les mêmes yeux de jade qui lui brisaient le cœur. Elle voulut dire quelque chose mais c’est lui qui l’en empêcha :
— Défile l’enrouleur : je te couvre.
Le visage de la Maorie s’illumina un court instant : il l’aidait. Enfin.
Osborne rechargea ses deux .38, un œil anxieux passé par l’embrasure de la porte. Les rafales continuaient de siffler au-dehors. Hana gémit en faisant un premier pas vers la sortie. Plaqué contre la porte, Osborne lui fit signe d’avancer.
— Le gosse attend sur la plage, dit-il en la tenant contre lui. La voie est libre : maintenant file !
Hana serra les dents et le rouleau de fil électrique qui reliait le détonateur au terrain miné et, sans penser aux balles perdues qui pleuvaient dehors, dégringola vers la plage.
Les unités spéciales livraient une véritable bataille rangée avec les hommes de Nepia qui, regroupés à l’orée de la forêt, tenaient le choc : au pied de la colline, le cercle d’initiés achevait sa cérémonie sanguinaire.
Sourde aux déchirements de son abdomen, Hana clopinait vers la mer, déroulant le précieux fil. Osborne couvrait ses arrières mais, pliant sous le feu de l’ennemi, les Maoris refluaient vers les fondations. Une rafale fit voler le sable à leurs trousses. Hana trébucha, se releva avec peine. Dans un état second, Osborne abattit un homme d’une balle dans le dos, un autre alors qu’il rechargeait son fusil à pompe à l’angle d’un cabanon. Deux balles dans la tête. Il en tuerait d’autres. Il les tuerait tous. La mer écumait un peu plus loin, dans le noir même la lune s’était voilée, Hana psalmodiait de douleur devant lui, ses pieds peinaient sur le sable meuble mais elle ne lâchait pas l’enrouleur.
Mark attendait près du rivage ; dans l’eau, ils avaient peut-être une chance d’échapper au souffle qui allait emporter le site… Osborne rattrapa Hana, crut déceler une présence derrière la bétonnière, se ravisa, fonça droit devant. Encore vingt mètres et ils atteindraient les flots. Soudain une rafale siffla sur l’air de la plage.
Ils tombèrent ensemble.
Osborne roula sur le sable, fit volte-face dans le même mouvement et vida ses deux chargeurs au jugé. Une silhouette s’écroula à l’ombre des baraquements. La douleur jaillit alors, fulgurante. Il enfouit sa main sous sa veste, la ressortit poisseuse.
Étendue à quelques pas de là, Hana bougeait encore. Il rampa jusqu’à elle, une brûlure au fond du ventre. Hana aussi était touchée, aux jambes. Elle grimaçait mais l’artère fémorale était sauve.
— Tu peux te lever ? dit-il.
— Non.
Dans la chute, le détonateur lui avait échappé et reposait un peu plus loin, hors de portée.
Osborne braqua alors son arme en direction de la mer. Venue du rivage, une silhouette maladroite ahanait sur le sable : Mark.
Il les avait vus tomber et arrivait maintenant, ruisselant de peur. Le gamin voulut parler mais Osborne se dressa et le plaqua durement contre le sol : une clameur venait de retentir au pied de la colline. Mark s’effondra sur le sable. À la lueur des torches, une tête fraîchement décapitée trônait au bout d’une lance : celle de son père.
Osborne pesta entre ses dents : la mer n’était qu’à une vingtaine de mètres mais ils ne pourraient jamais l’atteindre. Couchée à ses côtés, Hana tentait de retenir le sang qui coulait de son ventre. Ses pupilles luisaient de douleur mais sa main cherchait désespérément à atteindre l’enrouleur…
— Toujours maorie, hein ?
— Toujours vivante…
Plus pour longtemps : les doigts poisseux, Osborne brancha les fils au détonateur.
Plus haut, les forces de police avaient investi le chantier ; on se tirait dessus entre les baraquements, presque à bout portant, les hommes de Nepia tombaient un à un mais, vu leur défense acharnée, ils se battraient jusqu’au bout. Le branchement était prêt, la charge énorme. Osborne hésita. L’explosion allait souffler les cabanons, le chantier, le site tout entier… Peut-être une chance sur cent d’en réchapper.
Pressé contre lui, le corps d’Hana était brûlant.
— Vas-y, souffla-t-elle.
Le gamin voulut relever la tête mais Osborne le maintint face contre terre.
— J’en ai marre ! balbutia Mark, la bouche pleine de sable.
— Moi aussi, rumina Osborne.
Les yeux d’Hana brillaient sous la lune, mais plus pour lui : il appuya sur le détonateur.
FRANCINE TOLRON, Nouvelle-Zélande : du duel au duo ? Presses universitaires du Mirail.
G. G. LE CAM, Mythe et stratégie identitaire chez les Maoris de Nouvelle-Zélande , L’Harmattan.
« Nouvelle-Zélande, laboratoire du néo-libéralisme », Monde diplomatique , mai 1997.
S. CROSSMAN ET J.-P. BAROU, Enquête sur les savoirs indigènes, Calmann-Lévy.
JEAN DE MAILLARD, Un monde sans loi , Stock.
H. G. ROBLEY, Moko .
WIRA GARDINER, Haka, a Living Tradition .
D. M. STAFFORD, Tangata whenua .
JEAN JO SCEMLA, Le voyage en Polynésie , Laffont, « Bouquins ».
KERI HULME, The Bone People , Flammarion.
Ce livre a bénéficié de la bourse Stendhal décernée par le ministère des Affaires Étrangères. Je tiens aussi à remercier l’Alliance française d’Auckland et Pita Shapples, pour son wero au marae de West Coast Road… Remerciements appuyés à mes courageux lecteurs, notamment Olivier Mau et Jean-Jacques Reboux, riches d’encouragements et de conseils avisés, ainsi que Sophie Couronne pour l’ultime caillasse d’un édifice jusqu’alors bien chancelant.
Voir Haka , Gallimard, « Folio policier », n o 286.
« Boire et conduire : et encore un pour la route ! »
Arbre de Nouvelle-Zélande.
« Bonjour. »
« Tu parles maori ? »
« Oh ! je le parle un peu. »
« C’est bien. Assieds-toi. »
« Comment ça va ? »
« Très bien. »
« L’estomac qui se retourne comme une chaussette, hein ? »
Exclamation exprimant la consternation ou le désespoir.
Premier ministre travailliste au pouvoir dans les années quatre-vingt.
Vaste lieu de rassemblement servant aussi de forum.
Aristocrate.
Chants et danses de guerre.
Maison traditionnelle.
Clubs de bois.
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