La femme, Beth, n'avait rien entendu, preuve en était sa respiration lente et sereine. Dévoilant juste ce qu'il fallait de désir, elle exhibait une jambe par-dessus les draps. Bordés de pensées impies, langue pendante et bave aux lèvres, les bouchers à la main droite ensanglantée se rangèrent de chaque côté de son lit.
— Tu ne fais rien, tu regardes juste, chuchota Lionel. Elle est pour moi, et pour moi tout seul… Je l'ai bien méritée…
Romuald, le visage divisé par un sourire quasiment vertical, acquiesça. Il se recula et courut s'installer sur une chaise en rotin qui se situait au bout de la chambre. Bras croisés, jambes ballantes, il était paré pour assister au spectacle. Lionel en était conscient : lui, ridicule chauve à la mine ravagée le jour, n'aurait jamais eu si opportune occasion de s'offrir pareille beauté. Elle était magnifique. Finesse et fragilité coulaient le long de sa colonne cambrée dans un courant tiède, pour se glisser le long de ses reins. Il n'osa pas la toucher. La regarder, la lécher de ses pensées lui suffisaient. Une fois sa braguette débrayée, il se procura à distance du plaisir à la simple vue de ce visage d'ange. Mais ses pulsions, ou plutôt celles de son animal, ne furent pas du même avis. Il fallait qu'elle lui appartînt. Ses instincts lui ordonnèrent de communier avec elle, pour qu'il la fécondât de toute sa sauvagerie. Il ne tenait plus, une chaleur étouffante, irrespirable, lui emplissait les sens et le rendait volcanique. Elle était là devant lui, s'offrait, s'épanouissait, déversant son pollen sur les draps. Il pouvait en faire ce qu'il en voulait, Sam le lui avait dit. Délicatement, tel le ferait un mari attentionné pour la nuit de noces, il se coucha à côté d'elle. Tellement brillants, ses yeux lubriques projetaient presque un halo difforme autour du lit. Elle se réveilla.
— Qu'est-ce…
Il lui allongea un coup en pleine figure, juste pour la calmer un peu. Il voulait simplement que l'instant fût magique, il n'en demandait pas plus. Romuald ne disait rien, il se tenait juste le gourdin entre les mains et l'astiquait à la manière d'un légionnaire qui cire ses pompes. Arborant un sourire de clavier d'accordéon, il se mettait en équilibre sur les deux pieds arrière de sa chaise. Son tube à semence, rose puis rouge vif, exposait ses deux joues de bébé, puis ouvrait périodiquement la bouche, affamé.
— Mais… non !! A… arrêtez !! Waaaarren !!!
— Il n'est pas là, madame. Il ne pourra pas vous sauver, il n'aurait jamais dû nous dénoncer ! C'est de sa faute ! Ne nous en voulez pas ! Nous ne faisons que notre boulot. Votre mari est un sale fouille-merde, il doit payer ! Disons que vous comblerez la dette ! Dites-nous où il se trouve !
Il tenait sa main, crochet de boucherie, autour de la gorge de la jolie poupée. Une seule pression et son fragile cou de flamant rose aurait sauté comme un bouchon de champagne.
— Et… et mes fils ? Vous… vous allez les laisser ? Je… je vous en supplie, ne leur faites pas de maaaal !
— Trop tard, madame. Les ordres sont les ordres. Ils n'ont pas souffert, ne vous en faites pas ! Juste ce qu'il fallait, sans artifices. Du bon boulot, faites-nous confiance ! Nous, on est des professionnels, on fait notre travail bien ou pas du tout !
À quoi pensent les gens qui vont mourir ? Seuls eux le savent. Rassemblant toutes ses forces, elle lui frappa dans la poitrine. Ses poings, délicates boules de coco, ne faisaient que rebondir et excitaient l'infâme profanateur de plus belle. Si seulement elle avait su que les violeurs se nourrissent de la résistance que leur oppose leur victime, elle n'aurait pas bougé, et peut-être aurait-elle eu droit à une mort propre…
— Salaud ! Salaud ! Salaud ! Noooon !! Pourquooooooi ? Pourquoi nous, pourquoi mes enfants, nos enfants ?
— À cause de votre mari, pardi !! Il nous a balancés, pour la Guyane !! Ce petit salopard !! Il n'aurait pas pu fermer sa gueule ?
Prêt à gifler, il leva la main, mais se contrôla au dernier moment : la « prima nocte » l'attendait bras ouverts. Il se déshabilla. D'abord sa chemise, bouton par bouton, mollement, puis son pantalon. Sa ceinture claqua sur le sol. Plus il prenait son temps, plus intense était le sentiment de puissance. Il était sur elle, écrasant son bas-ventre de ses lourds flancs, et tout ce qu'elle pouvait faire était de le frapper au thorax. Il lui allongea une claque qui lui cassa la mâchoire et lui fit apparaître un bleu instantané aux bords mal définis sur la moitié de la joue. Dur comme un morceau de chêne, le bâton de Romuald s'imprégnait d'une sève visqueuse et collante, alors que le murmure des allers et retours de sa main, précis et réguliers, rampait le long des murs.
— Il n'aurait pas dû nous chercher ! Il ne connaît pas notre puissance… Il se prend pour qui, hein ?
Une deuxième claque, plus violente, lui cassa trois dents.
Marbrée d'auréoles violacées sur le visage, elle n'arrivait plus à prononcer le moindre mot. Seuls des flashes lui traversaient l'esprit. Des images agréables, belles. Le cocker qui lui léchait le bout des doigts, jappant joyeusement de son air certain. À la mer, il n'y avait même pas un mois, quand Tim était revenu en pleurs parce qu'il avait bu une tasse. Elle avait ri comme un clown et Warren l'avait imitée, de la glace sur tout le visage tellement il pouffait. Et là, quand elle était quinze ans plus jeune, lorsque Warren lui avait passé cette bague autour du doigt. Oui, elle s'en souvenait bien, elle la sentait, là, autour de son annulaire. Elle esquissa un sourire intérieur, qui la réchauffa et l'anesthésia, tandis que le bûcheron la pénétrait, piolet à la main. Elle se voyait, enfant, quand sa mère lui tressait une longue queue-de-cheval, puis qu'elle lui passait délicatement un joli élastique rouge autour des cheveux, en lui disant : « c'est bon, tu peux aller jouer maintenant, mais ne rentre pas trop tard ! » Elle se rappelait son père qui ne disait rien, assis au coin du feu, léchant des yeux son journal plié en quatre. Il se balançait sur le rocking-chair, et ce grincement, rustique et débordant de souvenirs, elle l'adorait. Déjà à l'époque, elle faisait tourner la tête des garçons, et ce qu'ils s'amusaient bien, tous réunis !
Le monstre, sur elle, lui arrachait les parties génitales au moyen de va-et-vient semblables à des perforations de perceuse sur un mur de béton. Elle souffrait, mais surtout intérieurement.
Warren, où es-tu, alors que j'ai besoin de toi comme jamais ? Tim, Tom, mes fils !! Nooon !!
Pendant que celui qui était sur elle accomplissait son acte odieux, le spectateur éjaculait de bonheur, dans un long râle animal. Calculatrice et métronome, la machine au crâne luisant la rabotait de l'intérieur, provoquant des ruisseaux de sang qui s'étalaient en cercles parfaits sur les draps propres qu'elle avait mis ce matin-là. Le regard creux et évasif de Beth laissait transparaître une souffrance plus morale que physique, et même si son cœur battait encore, elle était déjà morte. Il pouvait limer, poinçonner, percer, elle n'attendait qu'une chose : qu'il l'achevât. Mais ça ne venait pas, il continuait, impuissant, et le flot de bonheur ne jaillissait pas. Il rugissait comme un lion en cage, avant que sa baïonnette devînt molle, plus molle qu'une langue de bœuf ! Non, lui, le roi des violeurs, le servant de ces dames, serait incapable d'accomplir l'acte final ! Vert de rage, salivant pour écumer aussitôt, il se retira.
— Impuissant, impuissant, t'es qu'une merde !! lui lança-t-elle au visage en riant. Une sale petite merde !!
Ce lamentable échec, dévoré des yeux par Romuald, le mit hors de lui. Il leva les deux poings, et juste avant qu'ils ne s'abattissent sur le visage de crème de la jeune femme, elle pensa : Mes fils, mon mari, je vous aime. Et je vous aimerai toujours. Warren, je serai toujours là, pas loin. Et surtout, ne nous oublie jamais…
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