Qu’est-ce qui se cachait derrière la porte ?
Elle prit cette direction, toujours trempée et grelottante. Ses yeux tombèrent sur un énorme cadenas à clé, censé empêcher l’ouverture de la porte métallique.
Sauf que le cadenas était resté ouvert, avec la clé dans la serrure.
Ils ne pouvaient pas avoir oublié de refermer.
Amandine fut prise d’une bouffée d’angoisse : ils allaient revenir. Elle jeta un œil à la carte envoyée par son traceur GPS.
Le point rouge était immobile, rue des Frigos. Hervé Crémieux était toujours dans le coin. Elle se maudit et, au moment exact où elle comprit qu’elle était piégée, la batterie de son téléphone lâcha.
Puis ce fut l’obscurité : une main venait d’éteindre le néon.
Réagissant à l’instinct, Amandine s’empara du cadenas, poussa le battant et s’enferma à l’intérieur. Elle rabaissait à peine le verrou de la porte que des poings s’abattaient sur le métal.
Ils se mirent à tambouriner. Amandine hurla, les mains sur le crâne. Les coups redoublèrent. Affolée, la jeune femme peinait à respirer et ses jambes se dérobaient. Elle allait mourir.
Non. Elle était dedans, et eux dehors. Le métal les séparait. Réfléchir, réfléchir vite. Elle se laissa glisser contre la paroi et serra son téléphone portable.
— J’appelle la police ! Je sais qui vous êtes, Hervé Crémieux !
Le brouhaha sur le métal cessa. Amandine essaya d’allumer son téléphone, espérant un ultime sursaut de la batterie, en vain. Elle porta néanmoins l’appareil à son oreille, déglutit et se mit à parler d’une voix saccadée où les mots se chevauchaient.
— Ils… Ils veulent me tuer ! Venez m’aider. Je… Je suis enfermée dans un bâtiment de la rue des Frigos. J’ai descendu un escalier en spirale, je suis proche d’un ancien quai de déchargement, je crois. L’un d’eux s’appelle Hervé Crémieux, il… il habite Fontenay-sous-Bois. Venez vite !
Elle écarta son téléphone de son oreille, retenant son souffle. Elle avait lancé le message d’un bloc, comme ça, sans réfléchir. Comme s’il y avait quelqu’un à l’autre bout de la ligne.
Il y eut un ultime fracas contre la porte.
Puis plus rien.
Ça avait fonctionné.
Après deux minutes, Amandine n’avait toujours pas retrouvé un rythme respiratoire normal. Elle était piégée elle ne savait où, dans le noir, et la police ne viendrait pas puisqu’elle avait feint cet appel. Personne ne viendrait.
Progressivement, au fur et à mesure qu’elle se calmait, les sons de la pièce où elle était enfermée lui parvinrent. Elle entendait des froissements de paille, d’infimes raclements contre de l’acier. L’air était moite. Puis il y avait cette odeur, aussi. Quelque chose de bestial, d’organique. Amandine voulut sortir un masque de sa poche, mais son paquet était trempé. Elle se contenta d’enfiler une paire de gants en latex.
Elle entendit un bourdonnement de moteur. Comme celui d’un réfrigérateur ou d’un congélateur. Qui disait appareil électrique disait électricité. La jeune femme se rappela les gros câbles qui partaient de la boîte de dérivation. Il y avait peut-être de la lumière. Elle se releva, avec l’impression que ses jambes étaient anesthésiées. Elle dut se retenir à la poignée de porte pour se hisser. Ses doigts tâtèrent le mur jusqu’à trouver un bouton pressoir.
Déclic.
Rien ne se passa. Dans le même temps, les ronflements d’appareils cessèrent.
Ils venaient de couper l’électricité. Ça signifiait qu’ils étaient encore là, de l’autre côté de la porte. Ils la retenaient prisonnière et ne la lâcheraient pas. Et s’ils n’avaient pas cru à son appel téléphonique ? Et s’ils avaient deviné qu’elle bluffait ? Et s’il n’y avait pas de réseau à une telle profondeur et qu’ils le savaient ?
Soudain, des bruits violents. Ils cognaient désormais avec autre chose que leurs poings. Des barres métalliques, des objets lourds.
— Fichez le camp !
La porte vibrait, le fracas métallique était insoutenable. Il fallait qu’elle avance, qu’elle s’éloigne de cette maudite porte, qu’elle trouve une autre issue. Elle suait, la chaleur la prenait à la gorge, l’humidité l’empêchait de respirer correctement.
Comme dans une jungle…
Elle s’aventura dans le noir, apeurée, courbée comme si le ciel allait lui tomber sur la tête. Les crissements de paille étaient tout autour d’elle. Devant, à droite, à gauche, au-dessus. Et toujours cette puanteur animale. Ses doigts palpèrent sur le côté, frôlèrent de fins barreaux métalliques. Tout à coup, Amandine ressentit une douleur vive au bout du pouce droit. Elle retira sa main en poussant un cri, ôta son gant et porta son doigt à sa bouche. Du sang.
On l’avait mordue profondément.
Les rats… Les rats sont là, tout autour de toi.
Elle imagina des centaines de bestioles immondes agglutinées autour d’elle, prêtes à lui tomber dessus, à la dévorer. Dans la panique, elle sortit son gel antibactérien de sa poche et, à l’aveugle, s’en versa sur le pouce. Elle frotta avec acharnement, pressant pour que le sang s’écoule, comme lorsque l’on veut chasser le venin d’une piqûre.
Les fracas s’arrêtèrent de nouveau. Elle se réfugia dans un coin, sentit des parois lisses, des volumes cubiques. Un monde d’arêtes saillantes. Des aquariums ? Des vivariums ?
Elle plaqua ses mains sur ses oreilles pour que les bruits, les grattements, les froissements de paille cessent. Mais tout était incrusté dans sa tête. Si profondément qu’elle se demandait si ce n’était pas un mauvais tour de son esprit.
L’odeur cueillit Sharko par surprise.
Encore, toujours cette fichue odeur de mort.
Sauf que, cette fois, il se trouvait sur une route au beau milieu des champs, au fin fond de la Pologne, assis sur le siège passager à côté de Lucjan Kruzcek. Ils avaient roulé dans une campagne rase sur des dizaines de kilomètres, traversant de rares villes, et s’approchaient désormais de Byszkowo.
— D’où vient cette odeur infecte ?
— Vous allez vite comprendre.
Au bout de deux minutes apparut, construit au milieu de nulle part, un gigantesque complexe industriel protégé par des grillages et des barbelés. Huit longs bâtiments blancs étaient placés les uns à côté des autres. Devant chacun d’entre eux, deux énormes citernes verticales, sans doute des réserves d’eau, de nourriture ou de carburant. Quelques voitures et des camions étaient garés sur différents parkings. Le flic français se demanda ce qu’un tel complexe pouvait faire là, perdu dans la nature, enfoncé si loin dans les terres.
— Voici la BarnField, le plus grand transformateur mondial de viande de porc. C’est une entreprise américaine très puissante, présente dans une vingtaine d’États américains et dix pays à travers le monde. L’une de ses usines est implantée à quelques kilomètres de Byszkowo et des villages alentour. Plus de cent mille animaux par an sont élevés et abattus dans ces bâtiments presque entièrement automatisés, avant d’être distribués sur le marché européen ou américain.
Sharko observait les interminables édifices. Il ne voyait pas l’ombre d’un cochon, tout lui paraissait aseptisé.
— Personne ne peut pénétrer là-dedans, ils ont la norme biosécurité et leurs propres vétérinaires. Qui y travaille ? Qui contrôle ? Comment tout ceci fonctionne ? J’ai essayé d’en savoir plus, mais c’est une boîte noire hermétique. Quand vous commencez à mettre le nez là-dedans, on vous demande de rester à l’écart.
— Qui ça, on ?
Читать дальше