Trois secondes plus tard, l’ombre n’était plus là.
Amandine respira un grand coup, s’essuya le visage et s’avança avec prudence. La silhouette disparaissait juste dans une autre allée, sur la droite, d’un pas pressé. Était-ce Hervé Crémieux ? Quelqu’un d’autre ? En tout cas, quelque chose d’étrange était en train de se produire, Amandine en avait la conviction. L’ancien médecin avait parcouru plus de vingt kilomètres pour venir ici, en pleine nuit. Un type déguisé avec un masque étrange errait entre ces murs, au milieu de bâtiments sinistres.
Plaquée contre une paroi, à un angle, elle jeta un œil sur le côté. L’ombre progressait encore puis s’arrêta devant une porte. Des coups résonnèrent sur le métal. L’instant d’après, la porte s’ouvrit et l’individu disparut à l’intérieur d’un imposant bâtiment à la façade traversée de fenêtres et d’escaliers disposés en quinconce qui permettaient d’accéder aux étages supérieurs et au toit.
La jeune femme se précipita et eut le temps d’apercevoir, par l’une des petites fenêtres grillagées, deux silhouettes qui s’éloignaient. L’une d’elles tenait une lampe torche. La pièce dans laquelle elles évoluaient sombra ensuite dans les ténèbres.
Amandine ne tenait plus en place. Elle se trouvait devant la porte métallique qui venait d’être ouverte. En serrant les dents, elle baissa la poignée et essaya d’ouvrir. En vain. Ils avaient sans doute fermé à clé derrière eux.
Merde !
Elle retourna à la fenêtre, plaqua son visage contre le grillage de protection, mais il n’y avait rien à voir. Impossible, également, de faire le tour du bâtiment, puisqu’elle n’avait face à elle qu’une succession de façades collées les unes aux autres. Amandine se recula un peu, estima la hauteur, se décida à grimper à une échelle qui la mena sur une coursive métallique distribuant l’étage supérieur. Là encore, de petites fenêtres. Mais le grillage était branlant, décollé du mur. En forçant un peu, Amandine libéra l’accès à une fenêtre. Elle savait qu’en donnant un coup, elle pourrait briser le verre et entrer facilement. Mais cela ferait bien trop de bruit et les alerterait.
Elle réfléchit et trouva une solution intermédiaire. Elle allait attendre qu’ils quittent les lieux pour entrer et essayer de comprendre ce que deux individus pouvaient bien ficher là-dedans en pleine nuit. Oui, c’était une bonne solution, et puis, au moins, elle ne se retrouverait pas nez à nez avec eux. Elle monta jusqu’au deuxième étage, afin d’être certaine qu’avec le noir et la pluie elle ne pourrait pas être vue d’en bas lorsqu’ils sortiraient.
Alors, elle s’assit, recroquevillée sur elle-même, tremblotant, et attendit sous cette eau glaciale qui lui vrillait la peau et les os. Le liquide coulait entre les treillis d’acier, ruisselait, s’accumulait pour exploser en grosses gouttes sur son crâne nu.
Une chose était certaine : dans quelques heures, elle préviendrait la police, c’était décidé. Il était temps qu’ils se mettent à fouiner dans la vie de Crémieux. Il devenait évident que ce type n’était pas net.
Elle soufflait entre ses mains, se balançait d’avant en arrière. Le temps lui parut interminable. Au bout d’une heure, la porte s’ouvrit enfin. Amandine cessa de respirer. À cinq mètres sous elle, deux silhouettes s’étaient immobilisées. L’une d’elles referma la porte à clé, l’autre tenait un gros sac dans la main droite. Les deux s’éloignèrent côte à côte et disparurent à l’angle. La jeune femme attendit quelques minutes, puis brisa la vitre en tapant du poing sur le grillage.
Le verre éclata et chuta au sol dans un vacarme assourdissant.
Elle entra. Noir absolu, impossible de voir où elle mettait les pieds. Amandine réfléchit, et actionna le mode « lampe torche » de son téléphone portable. Pratique mais, si elle l’utilisait en continu, il lui restait deux minutes d’autonomie. Peut-être qu’en allumant et éteignant par à-coups, la batterie tiendrait un peu plus longtemps.
Le temps était compté.
Elle s’enfonça dans l’obscurité.
Des murs, des couloirs, des pièces abandonnées, vides, poussiéreuses.
Et un faisceau lumineux craché par le flash de son téléphone, qui creusait les ténèbres.
Amandine avait l’impression d’être un petit bathyscaphe qui s’enfonçait dans les abysses de l’océan. À chaque pas, l’obscurité se refermait derrière elle, comme pour l’emprisonner, l’empêcher de faire demi-tour et l’attirer toujours un peu plus profondément. Elle ne savait où ni quoi chercher précisément, mais lorsqu’elle se trouva dans une pièce circulaire et qu’elle vit un escalier torsadé plonger sous ses pieds, elle sut qu’elle était sur la bonne voie. Elle eut alors le sentiment de se trouver dans un phare ou à l’intérieur d’un silo à grains. Le béton, les courbes, les matières métalliques, ce tourbillon qui donnait le vertige… Elle éclaira le bas, mais sa lampe n’était pas suffisamment puissante pour que se dessine l’ensemble des escaliers.
Elle était gelée, ses mains étaient bleues, ses membres tremblaient. Lampe éteinte, allumée, éteinte, elle se mit à descendre, tandis que son esprit imaginait les pires scénarios. Était-ce dans ce lieu lugubre qu’était née l’idée de répandre le virus ? Était-ce entre ces murs que Crémieux avait mis sous éprouvette le microbe avant de l’introduire au Palais de justice ? Qui était l’autre individu, celui au masque ? Un complice ?
Quelques mètres plus bas, elle passa devant une lourde porte en bois fermée à clé. C’était assurément là que les deux silhouettes avaient disparu alors qu’elle les observait secrètement par la vitre, depuis l’extérieur. Elle vit des gouttes d’eau sur les marches.
Eux aussi étaient descendus.
Elle progressait dans leur antre secret. Elle sentit la peur monter en elle et accéléra le pas. Son téléphone se mit à biper… Trois fois. Niveau de batterie rouge clignotant. Un message lui recommandait d’éteindre le téléphone ou de brancher le chargeur. Amandine fut prise de panique : réussirait-elle à remonter dans l’obscurité la plus totale ?
À quelques mètres sous elle, l’escalier se terminait enfin. Elle décida de poursuivre sa descente et pénétra dans une large salle voûtée, où traînaient encore de vieux sacs vides en toile, des palettes de bois, des bâches en plastique roulées et du matériel obsolète. Elle devait être sous terre, pas loin d’une ancienne gare, estima-t-elle lorsqu’elle devina la forme d’un quai.
Elle remarqua un interrupteur, au loin. L’actionna. Un néon crépita, une lumière crue jaillit. Amandine avait presque envie de crier de joie.
Elle eut soudain l’impression d’entendre un bruit lointain, derrière elle. Comme un objet métallique butant contre de l’acier. Elle pensa à l’escalier en spirale, elle était certaine que le bruit venait de là. Son cœur battait aussi vite qu’après avoir couru un cent mètres. La peur, le stress, la sensation du danger… tout se mélangeait.
Après quelques secondes d’immobilité et de silence absolus, elle se convainquit qu’il n’y avait personne.
Elle regarda de nouveau devant elle. L’installation électrique était récente, il y avait un disjoncteur, et un câble avait été tiré de l’interrupteur jusqu’au néon, neuf lui aussi. D’autres fils électriques partaient en direction d’une porte métallique qu’Amandine repéra, à quelques mètres du fameux quai dont les issues avaient été bétonnées. C’était là que les gros câbles électriques disparaissaient.
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