Franck Thilliez - Pandemia

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« Bientôt, ce monde contaminé par la médiocrité, la misère, l’assistanat va connaître l’embrasement, puis le changement. »
« L’homme, tel que nous le connaissons, est le pire virus de la planète. Il se reproduit, détruit, épuise ses propres réserves, sans aucun respect, sans stratégie de survie. Sans nous, cette planète court à la catastrophe. Il faut des hommes purs, sélectionnés parmi les meilleurs, et il faut éliminer le reste. Les microbes sont la solution. »
Après
, une nouvelle aventure pour l’équipe de Franck Sharko et Lucie Henebelle, renforcée en coulisses par la jeune et courageuse Camille. Et l’enjeu est de taille : la préservation de l’espèce humaine.

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FRANCK THILLIEZ

Pandemia

Vous qui entrez laissez toute espérance Dante La Divine Comédie Enfin - фото 1

« Vous qui entrez, laissez toute espérance. »

Dante, La Divine Comédie

« Enfin, l’utilisation du vivant pour détruire d’autres êtres vivants porte une charge émotionnelle liée aux fondements mêmes de notre espèce […] et peut paraître une violation ou une transgression par l’homme d’un tabou de la vie. »

Patrick Berche, L’Histoire secrète des guerres biologiques

Prologue

Le premier son qu’entendit Gabriel fut le cliquetis de la chaîne menottée à sa cheville gauche.

La douleur sous son crâne était abominable. Recroquevillé sur le flanc, il fit glisser ses doigts sur la surface métallique qui lui entaillait la joue droite. Il devait s’agir d’une grille de ventilation en acier, l’un de ces trucs qui soulèvent les robes des filles lorsqu’elles marchent dessus. Gabriel aimait bien ces grilles-là, d’ordinaire.

Il devina que de l’eau circulait dessous. Où l’avait-on emmené ? Et pourquoi ? Il cuvait encore son mauvais vin, mais il se souvenait avec exactitude de cette silhouette noire, jaillie de nulle part, sous le pont. Gabriel avait pensé à un oiseau géant, avec son bec, ses griffes démesurées qui brillaient sous la lune, avant qu’il sente une douleur dans sa nuque et ferme les yeux pour se réveiller ici, dans un lieu plus noir qu’une nuit sans étoiles.

Il se redressa dans l’obscurité et une odeur très forte lui monta aux narines. De la menthe. Oui, ça sentait la menthe fraîche. Il se courba non sans difficulté vers sa cheville prisonnière et essaya de se libérer, quand une infime lueur se mit à briller derrière lui. Il devina la flamme d’une bougie, un halo de lumière aussi timide qu’une bulle de savon qui lui donnait l’impression de voir son environnement à travers un filtre sale. Il ne distinguait que des parcelles de réalité : un morceau de plafond, un quadrillage de grille, un bout de mur… Il roula ainsi des yeux jusqu’à ce qu’un bruit inquiétant l’immobilise. Ça venait de l’autre côté de la source lumineuse. Dans la diagonale opposée à celle où il se trouvait.

Gabriel voulut se relever, mais un tourbillon dans sa tête l’en empêchait. Alors il resta dans la même position, sur la défensive comme un chien prêt à bondir. Il picolait beaucoup, n’avait plus l’esprit très vif, mais il savait sentir le danger. Au fil des ans, son instinct de survie s’était développé, et Gabriel n’était pas du genre à se laisser faire.

Très vite, il comprit que l’étrange bruit était celui d’une chaîne. Une autre chaîne.

Une main pénétra dans la sphère de lumière : cinq doigts implorants, d’abord raides, qui se recroquevillèrent pour saisir l’obscurité. Gabriel ne voyait que cette main qui cherchait à atteindre la bougie, et il comprit qu’elle n’y arriverait pas. De l’autre côté devait se tenir quelqu’un qu’on avait sans doute enlevé et emprisonné, comme lui.

Avec prudence, il se traîna sur la grille en métal qui lui meurtrissait les paumes et les genoux. Il fut stoppé net par sa propre chaîne, tendue au maximum. Alors, lui aussi lança son bras droit vers la bougie, à l’instar de la main qui s’accrochait à présent à la grille, comme pour l’arracher. Mais il ne put toucher ni la bougie ni la main désormais ouverte devant lui. Gabriel eut beau forcer, tendre chaque muscle, chaque phalange, ce fut en vain.

Il n’eut pas le temps d’ouvrir la bouche, une troisième main, plus petite et plus abîmée, surgit sur sa gauche, à un mètre environ. Puis une autre, grande et maigre celle-là, et venue du dernier angle de la pièce.

Dans le prolongement des bras tendus les uns vers les autres apparurent, entre ombre et lumière, des visages.

Des visages alourdis d’une épaisse barbe, avec des traits ravinés et des yeux hagards.

Dans leur champ de vision se dessina alors la silhouette d’un dernier homme. Un individu debout, qui ne portait pas de chaîne, tout de noir vêtu, jusqu’au feutre posé sur son crâne.

[1]

Vendredi 22 novembre 2013

Amandine Guérin observait une petite colonie de bactéries à Gram négatif — quelques centaines d’unités d’ Escherichia coli — sous les lentilles d’un microscope à fort grossissement. Les organismes, colorés par le violet de gentiane, mesuraient à peine trois millionièmes de mètre et barbotaient dans leur solution nutritive. La microbiologiste se recula de la paillasse et laissa la place à son stagiaire.

— Tu vas voir, là, elles sont un peu stressées.

Elle devina que, derrière son masque respiratoire, Léo n’en menait pas large. Il approcha ses yeux bleus des oculaires. Dans cet environnement sécurisé, on manipulait des salmonelles, des staphylocoques, des listeria , que l’on sortait de congélateurs à -80 °C situés dans un coin du laboratoire : des bactéries rarement mortelles, mais à utiliser avec la plus grande précaution.

— C’est plutôt moi qui suis stressé.

— Au pire, elles te colleront une diarrhée de trois ou quatre jours. Dis-moi, quelles sont les causes de stress des bactéries ?

— Les changements de température, le froid, le chaud, les modifications de l’environnement d’un point de vue chimique… la pression, la luminosité.

— Et quelles stratégies développent-elles face au stress ?

— Elles vont consommer le moins possible d’énergie, se mettre en dormance ou se coller les unes aux autres. Certaines bactéries comme l’anthrax vont fabriquer des spores pour se protéger de l’environnement.

— Parfait. Quand…

Quelqu’un frappa avec vigueur sur l’unique paroi translucide du laboratoire sécurisé de type NSB2 [1] Niveau de sécurité biologique 2. . Amandine tourna la tête. C’était Alexandre Jacob, le chef du Groupement d’intervention microbiologique, le GIM. Elle lui fit signe d’entrer, mais il refusa. À l’évidence, il n’était pas d’humeur à enfiler une tenue. De ce fait, elle donna quelques consignes à son étudiant, abaissa son masque sur sa blouse, ôta ses gants et se lava les mains, frottant avec soin entre chaque doigt, insistant sur ses ongles coupés à ras. Elle sortit par le sas. Derrière elle, sur la porte, était accroché un panneau jaune et noir d’avertissement de danger microbiologique.

— On a une alerte sanitaire. Tu peux te mettre en route dans une demi-heure ?

— Je bossais sur mon sujet de recherche avec mon stagiaire, mais il n’y a pas de souci.

Ce jour-là, Amandine était d’astreinte microbiologique jusqu’à 17 heures. Elle devait être joignable en permanence et capable d’intervenir au plus vite n’importe où en France. Une espèce de GIGN du microbe, qui comportait quatre scientifiques chevronnés et mobiles parmi les douze employés du GIM.

— Parfait. J’ai reçu un appel de la préfecture du Nord. Tu fonces à la réserve ornithologique du Marquenterre, en Baie de Somme. Raison officielle de la fermeture du parc : problèmes de maintenance. L’IVE [2] Institut de veille épidémiologique. demande une grande discrétion. Vous prendrez la voiture de Johan, il est déjà au courant. Protocole habituel.

— Très bien. Et la véritable raison de la fermeture du parc ?

Alexandre Jacob était habilité confidentiel défense et n’était pas le plus bavard du service.

— Dans une réserve pour oiseaux, qu’est-ce qu’on trouve, à ton avis ?

[2]

Amandine signala à son stagiaire que les manipulations étaient terminées, se chargea de nettoyer et désinfecter le matériel, puis jeta sa tenue dans une corbeille à déchets infectieux. Elle ne portait pas de charlotte : ses cheveux, d’à peine quelques millimètres, dévoilaient un crâne presque chauve qui interpellait tous ceux qui la rencontraient pour la première fois. D’ordinaire, on voyait ça chez les mecs, rarement chez les belles femmes rousses. Amandine n’avait les cheveux longs que sur quelques rares photos, dont les plus récentes dataient de trois ou quatre ans.

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