— C’est toi qui as envoyé la clé USB à Nicolas Bellanger ?
— Non.
— Qui alors ?
— J’en sais rien.
Sharko lui attrapa la nuque, approcha son nez à deux centimètres de la surface de l’eau. Dambre respirait par à-coups, il faisait son dur, mais Sharko était certain qu’il était sur le point de pisser dans son froc.
— J’en sais rien, je te dis. Sur le Net, le commanditaire m’a contacté sous le pseudonyme de l’Homme en noir. Il a commandé le virus, je l’ai fabriqué puis lui ai renvoyé le fichier avec les instructions.
L’Homme en noir… Sharko ressentit un frisson. Ils avaient enfin trouvé une piste concrète, peut-être un moyen de l’approcher.
— Tu l’as déjà rencontré ? Tu sais qui il est ?
— Jamais. On n’a communiqué que par messages électroniques qui circulent cryptés sur le réseau, ou par messagerie instantanée.
Sharko pensa à ce que lui avait expliqué l’expert en informatique. Le Darknet… L’anonymat des utilisateurs… Il ragea, la piste ne pouvait pas s’arrêter là.
— Comment il en est arrivé à choisir ton nom dans la liste des hackers du Darknet ? Par hasard ? Il te connaissait ?
— Je sais pas. Il s’est mis en contact avec moi. C’est tout.
Sharko se dit que, Darknet ou pas, les ingénieurs réussiraient à faire parler l’ordinateur de Dambre, à retrouver des messages, des traces qui les aideraient peut-être. Pour l’instant, il devait aller à l’essentiel, avant que les renforts débarquent.
— Ce virus informatique devait tout détruire ?
— Vous désorganiser complètement, oui. Semer la panique dans vos services pendant quelques jours.
Franck dut inspirer pour se calmer. Il n’avait qu’une seule envie : lui plonger de nouveau la tête sous l’eau.
— Parle-moi de l’autre virus. Le vrai, celui de la grippe.
L’arcade de Dambre avait encore gonflé. Son œil gauche commençait à se fermer, le sang investissait le blanc de l’autre œil.
— Quand je lui ai livré le virus informatique, l’Homme en noir m’a fait une autre proposition. Un truc de dingue. Et il m’a proposé une fortune.
Sharko agita la main, l’incitant à poursuivre.
— Répandre un virus de la grippe dans le Palais de justice. Le coupler au virus informatique que j’avais fabriqué.
Il fixa Sharko. Ce type était un vrai animal à sang froid. Un dur.
— J’ai toujours eu la conviction que les virus informatiques ou biologiques finiraient par détruire la quasi-totalité de l’espèce humaine. Que seuls quelques-uns y survivraient. Les résistants, les immunisés, ceux qui s’y seraient préparés… L’Homme en noir a senti ça quand il est entré en contact avec moi. On en a parlé, on était dans le même trip, tous les deux. Les plus faibles crèvent, les plus résistants survivent.
Sharko se rappela le message sur la lettre de peau : Ce monde doit être purgé, nettoyé. La race parfaite… La survie des plus forts qui se servent des plus faibles… Ce genre de théories eugénistes dont l’Homme en noir semblait friand.
Le flic se redressa. Il avait un mal de chien aux cuisses, au dos. Il jeta un œil par la fenêtre qui donnait sur la piste cyclable. Le silence, les ténèbres.
— Il t’a fourni le virus ?
— Il était d’une extrême prudence, et moi aussi. On ne voulait pas se rencontrer. Pas de contact physique, pas d’adresse. Il ne devait avoir aucun moyen de remonter à moi, c’est ma ligne de conduite… Et de son côté, il voulait exactement la même chose. L’anonymat le plus complet.
— D’où vient ce virus ? Il te l’a dit ?
— Non. J’en sais rien.
— Comment tu l’as récupéré ?
— Je lui ai filé des coordonnées GPS très précises, en forêt de Saint-Germain, avec la description d’un arbre en particulier. Lui, il avait le choix de la date pour déposer le colis. Comme ça, on ne pouvait pas se trahir l’un l’autre… Quand il a caché le virus là-bas, il m’a envoyé un message sur Internet, et je suis allé le récupérer. Un petit tube à essais emballé, avec un bouchon plein d’un liquide translucide. Des milliards de virus de la grippe. Ça fait tellement drôle d’avoir ça entre les mains… Quel pouvoir…
Sharko imaginait bien le sentiment de puissance que ce petit merdeux avait dû ressentir à ce moment-là. Quelques centilitres pour sept milliards d’êtres humains. Des pays qui seraient progressivement touchés…
— Et le lendemain, tu l’as versé dans les bacs du restaurant. Tu contaminais mes collègues, mes amis…
Sharko s’était mis à aller et venir. Dambre grimaçait chaque fois que les pieds du flic écrasaient du verre juste devant lui.
— Tu dis que tu ne l’as jamais vu. Mais tu as bien une petite idée de qui il est ? D’où il habite ? Vous avez discuté. Tu as quelque chose à me mettre sous la dent avant que je m’énerve encore, hein ?
Dambre garda les lèvres serrées, immobile. Il fixait le sol. Sharko s’abaissa au niveau de son champ de vision.
— On finira par le savoir, tout est une question de temps… Et, plus le temps passe, plus ton cas va empirer. On va te charger à mort si tu ne coopères pas. Par contre, si tu nous aides à remonter le réseau, ça jouera en ta faveur. Parle-moi maintenant.
— Vous ne ferez rien pour moi.
— Je peux faire beaucoup, au contraire.
Jacky Dambre réfléchit, puis plongea son regard noir dans celui de Sharko.
— Non, je ne sais pas qui il est, je suis incapable de le localiser. Mais je sais qu’il ira au bout de ses convictions. Qu’il purgera la race, d’une façon ou d’une autre. Il vous hait, vous et les autres.
— Ça ne m’avance pas à grand-chose, tes conneries.
Dambre soupira et ajouta :
— Il est quelle heure ?
— Bientôt 21 heures.
— Il doit me recontacter dans une heure pour une autre mission.
Phong s’était déjà mis au lit quand Amandine rentra, ce soir-là.
Il n’était que 21 h 30, mais une grosse fatigue s’était emparée de son organisme. Ça lui arrivait de plus en plus souvent. Lorsque la jeune femme rejoignit son lit, elle lut une profonde tristesse sur le visage de son mari. Elle plaqua sa paume à plat sur la vitre. Phong fit de même. Il ne sentit que la froideur du Plexiglas. Amandine vérifia que l’amplificateur était bien allumé.
— Tu sais, j’ai pensé à Séverine toute la journée. À cet homme qui l’a abordée dans un bar avec son plan en tête. Et il y a une question que je n’arrête pas de me poser : comment est-ce qu’il savait qu’elle bossait au CNR ? Séverine, c’était certainement pas le genre à le crier sur tous les toits. Elle…
Phong la regardait droit dans les yeux. Il l’interrompit.
— On pourrait essayer de faire un enfant…
La phrase avait retenti comme un coup de canon. Amandine resta sans voix, secouée par cette brusque annonce.
— … On pourrait faire l’amour sans préservatif. Rien ne nous empêche d’avoir un bébé, ma maladie n’est pas contagieuse, et les dernières recherches tendent à prouver qu’elle n’est pas héréditaire. J’ai 43 ans, je ne sais pas combien d’années il me reste à vivre.
— Ne dis pas ça !
— Il faut voir la vérité en face, arrêter de se mettre des œillères. Regarde-nous, Amandine. Regarde ça…
Il frappa plusieurs fois du poing contre le Plexiglas.
— Combien de temps on va pouvoir continuer à vivre de cette façon ? À nous cacher l’un de l’autre, comme deux rats dans un labyrinthe ?
— On n’est pas des rats dans un labyrinthe. Tu te trompes.
— Qu’est-ce qu’on est, alors ? Je n’en peux plus de fuir ces fichus microbes. De te fuir, toi… Tu m’as coupé l’accès à Internet. Même ici, je ne suis plus libre.
Читать дальше