Depuis des jours, elle s’attendait à ce genre de visite, mais eut un choc en découvrant la silhouette trapue du commissaire Lefort. À contre-jour, il lui parut impressionnant.
— Je suis de passage à Aix, et j’ai pensé vous rendre une petite visite. Rien de grave, rassurez-vous.
— Mais, je n’ai pas peur, plaisanta-t-elle sans conviction.
Les yeux sur le balancement de ses hanches, il la suivit jusqu’au living. Durant toute la conversation, il n’eut aucun regard circulaire, ne donna pas l’impression qu’il mourait d’envie d’aller flairer dans tous les coins. Le parfum de la jeune femme traînait dans la pièce, donnait de la sensualité à l’atmosphère.
— Je vous dérange ?
— Je me reposais. Je suis assez libre, ces temps. Je caresse de lointains projets, mais distraitement, sans trop y croire.
— Avez-vous l’intention de quitter la ville ?
— Pas pour le moment. J’avais projeté un voyage en Italie, mais j’attendrai qu’il fasse moins chaud. Mais pourquoi ?
— Simple demande. M me Barron peut encore avoir besoin de vous. Ne passera-t-elle pas sa convalescence chez vous ?
Paulette ouvrit de grands yeux.
— Mais il n’en a jamais été question.
— Dommage. J’aurais au moins su où la trouver, en cas de besoin. Dès sa sortie de l’hôpital, elle me glissera entre les doigts. J’en ai par-dessus la tête, de lui courir après. Vous connaissez donc Pesenti, le journaliste ?
— Mais, bien sûr. Nous nous sommes connus, aux studios. Il est spécialiste des questions criminelles et judiciaires.
— Cette affaire l’intéresse beaucoup. Il vient de s’envoler pour Paris.
Elle se demanda si les deux hommes enfermés dans le débarras pouvaient suivre la conversation.
— Nous avons retrouvé leur voiture, ce matin. Ils ont préféré l’abandonner plutôt que de se faire repérer avec. Devez-vous revoir M me Barron ?
— En principe, non. Mais je lui téléphonerai demain, à moins qu’elle n’ait quitté l’hôpital.
Lefort se leva, fit quelques pas vers la baie pour jeter un coup d’œil dans le parc, puis se dirigea vers le hall, s’immobilisa devant une toile représentant Cassis.
— À un de ces jours, certainement.
Paulette referma sa porte, très perplexe sur le sens de cette visite. Qu’avait-elle pu apporter au policier ? Regardant autour d’elle, ses yeux cherchèrent vainement ce qui aurait pu accrocher l’attention du commissaire.
Après quoi, elle alla libérer les deux fugitifs.
Le rédacteur en chef de l’agence parisienne du journal attendait Pesenti à Orly. Raoul Sernast, un petit homme vif et chaleureux, l’entraîna vers sa petite voiture.
— On a déblayé le terrain, depuis que tu nous as prévenus, et je pense que tu seras content. Il semble que nous ayons trouvé une piste intéressante vers le dix-huitième arrondissement. Où en est la police ?
— La voiture des deux fugitifs a été retrouvée près d’Apt, mais les deux hommes ont trois jours d’avance.
Sernast conduisait rapidement sur l’autoroute du Sud, n’hésitant pas à changer constamment de file.
— Mais pourquoi t’attacher au mobile ? Il a été nettement établi, non ?
— Absolument pas. Rien ne colle. Il est possible que le gosse ait participé aux barricades de mai dernier, mais d’assez loin. Peut-être même en spectateur. La fille qu’il a vue matraquer n’existe pas. Pris dans une rafle, il s’est retrouvé à Beaujon, mais a été libéré au bout de quelques heures, alors qu’il affirme avoir été arrêté plusieurs jours.
— Un cinglé, alors ? Et Lanier, dans tout ça ? Une victime choisie au hasard par un gars intoxiqué par les événements ?
— Non. Lanier et Daniel Barron se sont certainement rencontrés à Beaujon. J’irai même plus loin : Lanier a fait relâcher le garçon, et c’est à partir de là que se noue toute l’affaire.
— Le copain de Lanier tient un bar dans le dix-huitième, et il loue également des chambres. Il se nomme Charéac, est originaire des Cévennes comme lui. Il a même fait quelques années dans la gendarmerie mobile avant d’acheter ce fonds.
— Lanier le rencontrait souvent ?
— Au moins une fois par semaine. Derrière le bistrot, il y a un jeu de boules, et Lanier aimait bien faire une partie de temps en temps.
— Il montait avec des filles ?
— On n’a pas osé poser la question. Charéac n’aime pas bavarder au sujet de son ami.
À toi de jouer, mais ça ne sera certainement pas facile. Je t’accompagne ?
Non. Attends-moi, plutôt.
Raoul Sernast le laissa porte de Saint-Ouen.
— Je cherche une place et je t’attends au bistrot à terrasse, là-bas.
Dans le bar tenu par Charéac, il n’y avait que deux hommes en train de jouer au 421 à une table. L’endroit était petit, cinq tables en tout, et sombre. Un homme grand et sec lisait le journal derrière son comptoir. Son œil averti jaugea Pesenti.
— Un café.
Il déplia les morceaux de sucre, chercha le regard du bistrot.
— Vous avez une chambre à louer ?
— Pour la nuit ?
— Jusqu’à cinq heures.
— Je ne vous ai jamais vu dans le quartier.
— Non. Mais j’ai l’adresse depuis longtemps. Je suis d’Alès. C’est ce pauvre Lanier qui m’avait parlé d’ici.
Charéac continuait d’essuyer le même verre sans le lâcher du regard. Pesenti ne désespérait pas de le convaincre. Il était toujours habillé simplement, donnait l’apparence d’un homme tranquille et sans histoires.
— J’ai toujours eu envie de venir faire une partie de boules, mais j’ai jamais eu le temps. Et puis, depuis une semaine, ma femme est chez nous.
Il baissa le ton de sa voix.
— J’ai connu une brave fille. Si ça marche, elle viendra me rejoindre ici. À condition qu’on ne la voie pas.
Charéac déposa son verre sous le comptoir. Il semblait peser le pour et le contre.
— Vous étiez avec Lanier ?
— Non. Je suis dans une entreprise de nettoyage. Mais Lanier m’avait aidé à trouver un appartement. Escafier, il ne vous a pas parlé de moi ?
— Non. Jamais.
— Peut-être qu’il n’avait pas tellement le temps de causer, lorsqu’il venait ? insinua Pesenti avec un clin d’œil.
— Pour ça !… Jusqu’à cinq heures ? Bon, d’accord. C’est au premier, à droite, la porte du fond. Vous entrez par la rue.
Il lui glissa une clé dans la main.
— Vingt francs.
Pesenti les paya, chercha autour de lui.
— Je peux téléphoner ?
— Pas d’appareil. Je regrette.
— Je vais revenir ! lança Pesenti, secrètement ravi.
Au petit trot, il rejoignit son confrère à la terrasse du café, le mit au courant.
— Ça peut demander du temps. Je te rejoindrai à l’agence.
— Fais gaffe. On ne sait jamais.
— T’inquiète pas.
Il retourna au petit bar, ne trouva que le patron. Les joueurs de dés avaient filé.
— Ça marche. Dans une demi-heure, elle sera là. Faudra que je la guette.
— La rue est tranquille. Avec les vacances qui commencent, on ne voit pas grand-chose. De quel quartier vous êtes, à Alès ?
— Grand-Rue.
Par chance, il connaissait parfaitement la ville et put soutenir une conversation qu’il fit glisser discrètement vers Lanier. Charéac, d’abord réticent, finit par se montrer plus bavard.
— On se connaissait depuis toujours. Depuis des années, il était tranquille. Un emploi administratif, dans ce métier, c’est bon. Il a fallu les barricades pour qu’il soit de nouveau envoyé à la bagarre.
— J’ai vu sa bonne femme. Pas marrante, hein ?
Charéac devint soupçonneux.
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