Il paraissait épuisé et, gentiment, Paulette le guida jusqu’au divan de la grande pièce. Elle échangea un regard prolongé avec Hervé.
— Tu devais m’attendre jusqu’à sept heures, dit le garçon.
— On commençait à me regarder, moi aussi, dans le coin de la brasserie. J’ai préféré venir ici.
— Un whisky ? proposa Paulette… Avec beaucoup d’eau, je suppose.
— J’ai téléphoné de la poste.
— C’est plutôt loin du cours Mirabeau.
— Quand je ne t’ai pas vu, j’ai préféré filer.
— Tu vas aller prendre un bain, dit Paulette. Ton père va te laisser sa place. Tu seras beaucoup mieux ensuite.
Elle l’obligea à se lever, disparut avec lui un grand moment. Lorsqu’elle revint, Hervé fumait, un verre à la main. Il avait bu plusieurs whiskys, et l’alcool lui montait à la tête. Durant les derniers mois, il ne buvait que du vin, et en petite quantité.
— Pourquoi es-tu si dur avec lui ? C’est un pauvre gosse. Il a besoin d’être pris par la douceur.
— Tu t’en charges ?
Paulette ne soutint pas son regard, désigna les sacs des deux hommes.
— Vous avez des vêtements, là-dedans ? Ils doivent être dans un bel état ! Tu devrais me les donner. En les portant tout de suite à une laverie du coin, nous les aurons demain soir.
Elle s’en occupa, et, lorsque Daniel quitta la salle de bains dans un peignoir-éponge à fleurs, la jeune femme venait de sortir. Hervé trouva que son fils avait l’air efféminé dans cette tenue, et sa mauvaise humeur redoubla.
— C’est pas mal, ici, fit Daniel. Un bain chaud et un peu de confort, ça ne fait pas de mal.
Hervé pinça ses lèvres. Il n’aurait été que trop facile de lui répondre. Daniel s’approcha prudemment de la terrasse et resta ainsi, le dos tourné, jusqu’au retour de Paulette. Elle ramenait un filet de provisions.
— Les fringues, vous les aurez demain soir.
J’ai acheté le journal du soir à tout hasard, mais je n’ai rien vu.
Hervé le parcourut rapidement. On ne parlait pas encore d’eux. Ils venaient de se mettre à table lorsque le téléphone sonna.
— Ah ! c’est toi ?… Oui… Ah ! bon… Merci.
Elle revint s’asseoir, s’adressa à Hervé.
— C’était Jean, de l’A.F.P. Ton journaliste a parlé. Il paraît que ça grouille de flics, en Haute-Provence. On vous signale en des tas d’endroits.
Ils se couchèrent tôt. Hervé disposait d’une des chambres, Paulette de l’autre. Daniel occupait le divan du living. Au milieu de la nuit, Barron se leva, entrouvrit sa porte. Des chuchotements lui parvenaient de la grande pièce. Il referma, alla se recoucher, ne trouva pas le sommeil avant l’aube. Il put entendre de l’eau couler dans la salle de bains mitoyenne, puis Paulette rentrer dans sa propre chambre.
Le lendemain, un gros titre barrait en partie la première page du journal. Tandis que Paulette servait le café, Hervé lut l’article de Pesenti, buta sur une phrase qu’il dut parcourir plusieurs fois. Puis, il leva les yeux vers son fils.
En pleine nuit, un nom fulgura dans sa tête avec une telle puissance, que Céline se dressa sur son lit, le cœur battant, croyant que c’était un danger imminent qui l’avait réveillée. Le nom lui vint à la bouche, et elle le répéta à plusieurs reprises.
— Benoît… Monsieur Benoît.
À l’aide d’une torche électrique, elle fouilla dans le coffret métallique, dut parcourir plusieurs agendas avant de découvrir ce qu’elle cherchait. Hervé avait noté l’adresse et le numéro de téléphone. Le carnet ouvert sur ses genoux, elle resta plusieurs minutes immobile, complètement étourdie par le travail nocturne de son cerveau.
Lorsqu’elle se sentit mieux, elle s’habilla en silence, secoua doucement sa fille. Celle-ci ouvrit les yeux sous la lumière de la lampe, mais sans bouger.
— Nous partons maintenant. Il n’est que trois heures du matin, mais nous pourrons profiter de l’obscurité.
Sylvie obéit et, quelques minutes plus tard, la mère et la fille traversaient le camping vers la barrière nord. Le grillage n’était pas très élevé, et elles purent le franchir facilement. Un sentier conduisait à la route.
— La 404 n’est pas là, constata Sylvie à mi-voix.
Grâce à la lampe qui éclairait l’entrée du camp, on découvrait un bon tronçon de la route, et celle-ci était déserte.
— Ils ont fini par se fatiguer, dit Céline. Ils nous croient endormies pour la nuit. Tu pourras marcher jusqu’au port ?
— Ce n’est pas très loin.
Pourtant, le jour les surprit en route, et, sur le port, des pêcheurs matinaux, des plaisanciers prêts à larguer les amarres créaient un début d’animation.
— S’ils avaient découvert la Renault 8, dit soudain Sylvie, et qu’ils se contentent de la surveiller, elle ?
Céline venait d’y penser, et c’est avec prudence qu’elles s’en approchèrent. Une fois sur la route, Sylvie resta longuement à genoux sur son siège, le dos tourné au pare-brise, surveillant les voitures qui les suivaient.
— Je ne vois rien. Sur cette ligne droite, on voit à des kilomètres, et il n’y a pas un chat.
Elle s’installa plus confortablement.
— Nous serons à Draguignan vers sept heures.
— Qui allons-nous voir ?
— Un certain M. Benoît.
— Il connaît papa ?
— Pas exactement, mais peut-être qu’il pourra nous dire où il se trouve.
Au Cannet-des-Maures, elle s’arrêta pour faire déjeuner Sylvie, se contentant d’une tasse de café. L’anxiété lui nouait la gorge. C’était trop simple pour réussir ainsi d’un seul coup.
Lorsqu’elle prit la route de Draguignan, aux Arcs, elle immobilisa la voiture pendant une dizaine de minutes. Celles qui les dépassèrent étaient toutes immatriculées dans la région et leurs occupants ne paraissaient pas suspects. Après quoi, elle roula vers Draguignan.
— Nous allons téléphoner à ce monsieur, plutôt que d’aller lui rendre visite.
Elle le fit d’un café, à l’entrée de la préfecture du Var. Une voix de femme lui répondit :
— M. Benoît ? Mon mari est en voyage pour plusieurs jours.
Aussi calme que possible, la jeune femme lui demanda s’il était vrai qu’ils étaient propriétaires d’un village abandonné, quelque part en Haute-Provence. En même temps que le nom de Benoît, lui était revenu le projet de son mari, un feuilleton sur la renaissance d’un village désert.
— Un village, c’est un bien grand mot. Un hameau qui se composait de plusieurs fermes construites sur la même propriété. La maison des maîtres se trouvait au village de Valensole, vous comprenez ?
— Et le nom de ce hameau ?
— Je dois vous prévenir qu’il est loué pour un an actuellement, et que le locataire l’achètera peut-être. Mais, enfin, si vous voulez vous entendre avec lui…
— Bien sûr, madame.
— Il s’agit de M… Attendez un moment. Je dois avoir le nom quelque part.
Le temps s’écoula. Plaquant l’écouteur de ses deux mains contre l’oreille, Sylvie levait les yeux vers le visage de sa mère, essayant de l’encourager d’un sourire.
— Voilà… M. Louis Ferrand.
— Et le nom du hameau ?
— Labiou. C’est au-dessus de Valensole. Entre ce village et Gréoux-les-Bains, mais à quelques kilomètres de Valensole, sur la gauche, il y a un petit chemin qui grimpe dans les collines. C’est tout au bout. Un coin perdu. Je préfère vous prévenir, il n’y a pas une seule maison debout. Rien que des ruines. Le dernier habitant est parti il y a dix ans. Un ancien ouvrier agricole qui faisait encore un peu de lavande et possédait des ruches. Le peu d’eau que produit le puits lui suffisait, vous comprenez, mais, devenu trop vieux, il est entré à l’hospice. Voilà, madame.
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