Un visage connu. Un repère, enfin. Un espoir.
— Quentin !
L’allégresse me donne des forces inespérées. Je me jette dans ses bras, même si je le connais à peine. Soudain, il devient mon seul ami, ma lumière, le centre du monde.
Je l’étreins, m’accroche à lui comme à une bouée alors que j’étais en train de me noyer.
Je sanglote contre son épaule, il passe une main dans mes cheveux.
— Quentin, si tu savais comme je suis heureuse de te voir…
Il ne parle toujours pas, essuie juste les larmes qui coulent sur mes joues. Mais il me sourit. Et ça me fait du bien. Tellement de bien…
Je pose à nouveau ma tête à la naissance de son cou.
— Tu vas me sortir de là, n’est-ce pas ? Dis-moi que tu vas me sortir de là, je t’en prie !
Jamais je n’ai mis autant d’espoir dans une simple phrase.
Je respire fort, m’enivrant de son parfum.
Boisé. Légèrement musqué.
C’est alors que ma gorge se noue, que mes tripes se tordent.
Au début, je ne comprends pas pourquoi. Pourquoi cette fragrance fait rejaillir en moi des images, atroces.
Je reviendrai. Et je t’achèverai .
Je m’écarte de lui précipitamment, croise ses yeux dans la pauvre lumière.
Ses yeux bleu gris.
Son sourire s’élargit tandis que je bats en retraite.
— Bonsoir, mon ange… Tu m’as manqué, tu sais. Je suis content de te revoir.
Je fais trois pas en arrière, mes omoplates heurtent le mur. Ma bouche reste ouverte sur l’horreur absolue.
La fin du monde.
Enfermée dans mon cercueil.
Mais pas seule, non.
Avec l’Ombre.
Je m’effondre contre la cloison étanche, jusqu’à toucher le sol. Je ne tiens plus debout.
Il s’accroupit face à moi, effleure mon visage.
Me défendre, le repousser… je n’en ai plus la force. Putains de cachets.
— Tu as dépassé toutes mes espérances, Cloé. Tu es vraiment parfaite.
Sa main descend sur mon cou, écarte légèrement ma blouse.
Mon cœur va éclater, je le sens. Je l’espère.
— Tu es devenue une meurtrière, mon ange… Pauvre Martins, pauvre Bertrand ! Tu réalises que tu as assassiné froidement deux innocents, ma douce ?
Ma tête oscille de droite à gauche, pour dire non. Pour chasser l’évidence.
Je ne peux pas avoir massacré deux innocents… !
— Je t’assure, ils n’y étaient pour rien. Personne ne me paye, il n’y a pas de commanditaire … Il n’y a que moi ! Toi et moi. Et maintenant que tu es ici, je vais pouvoir profiter de toi. Ça va durer des mois, peut-être même bien des années… Et puis, je me lasserai de toi et j’en choisirai une autre. Alors, je te regarderai crever lentement entre ces murs.
Il crache son venin cuisant à mon visage glacé. Avec son sourire étincelant.
— Je leur dirai qui tu es ! Je leur dirai ce que tu as fait !
J’ai essayé de crier, pourtant seul un pitoyable murmure a franchi mes lèvres.
— Vas-y, mon cœur, dis-leur tout ce que tu veux. Ils ne te croiront pas. On ne croit jamais les fous, surtout les paranoïaques tels que toi… Ils penseront que tu m’as inclus dans ton délire parce que tu me connais. Ils te fileront juste des doses un peu plus fortes.
— Non !
— Si, Cloé. La parole d’une cinglée n’a aucune valeur. Ils feront semblant de te prendre au sérieux et augmenteront ton traitement… Ici, tu n’es plus rien. Rien d’autre qu’une aliénée, une dangereuse criminelle jugée irresponsable de ses actes. Une malade mentale qu’il faut isoler, enfermer, empêcher de nuire à notre belle société… Tu viens de prendre perpète, chérie. Et personne n’en a plus rien à foutre de toi. Personne, à part moi.
Je ne sais pas vraiment comment, mais je trouve soudain la force de le bousculer. Il tombe sur le côté, je me précipite jusqu’à la porte. Je m’acharne sur la poignée, j’appelle au secours avec ce qui me reste de voix, tambourine avec mes poings.
Quand je me retourne, ce salaud me considère avec son air démoniaque. Il agite doucement le trousseau de clefs devant mes yeux.
— C’est ça que tu veux, mon ange ? Viens le chercher… Allez, viens ! Tu veux me fausser compagnie ? On n’est pas bien ici, toi et moi ?
Ma nuque bascule en arrière, mon crâne percute la porte close.
Je voudrais me fracasser la tête. Pour ne plus voir son sourire. Ne plus entendre sa voix.
Pour aller dans un cercueil où il ne serait pas.
Tu viens de prendre perpète, chérie .
Les doses de calmants ont raison de moi. Mes nerfs, sectionnés, m’abandonnent. Je m’affaisse contre la porte.
Assis sur le lit, il continue à m’observer, comme s’il entrait en moi rien qu’avec ses yeux.
— Tu as changé de visage, Cloé. Pourtant, je te trouve encore plus belle qu’avant… Sans doute parce que tu as viré ce putain de masque ! Te voilà enfin débarrassée de ce sentiment de supériorité, de cette arrogance qui te défiguraient. Maintenant, tu es vraiment toi… Et vraiment à moi. Maintenant, je suis sûr que tu vas me regarder. Tu ne regarderas même que moi. Tu ne penseras qu’à moi. Je serai ton univers à moi tout seul, tu te rends compte ?
Il ricane, range les clefs au fond de sa poche. Puis il marche doucement vers moi.
Comme j’aimerais disparaître ! Comme j’aimerais ne jamais être venue au monde !
— Et tu vas perdre la raison, Cloé. Lentement, tu oublieras qui tu étais.
— Non…
— Si, mon ange. Et je sais que tu vas m’aimer, comme tu n’as jamais aimé personne. Parce que tu n’auras plus que moi.
Il me soulève du sol, m’emporte dans sa tanière.
Juste derrière le lit, en fait.
Je suis par terre, sur le carrelage froid, les yeux rivés au plafond.
Il me parle, je l’entends. Sans pouvoir lui répondre.
Je peux seulement pleurer. Encore et encore.
Tandis qu’il me déshabille lentement, comme on déshabillerait une poupée de chiffon éventrée.
— Tu es la première à me rejoindre ici, tu sais. D’habitude, elles se tuent pour m’échapper. Mais toi… toi, tu n’es pas comme les autres, tu es exceptionnelle. Toi, tu es ma plus belle réussite.
J’appelle au secours, les mots expirent à l’intérieur de ma gorge.
Tandis qu’il balade ses lèvres de malade sur mon corps à vif. Y laissant d’atroces brûlures.
— Mon chef-d’œuvre…
Je supplie mon cœur de lâcher.
Tandis que je l’entends rire.
Je supplie la mort de me prendre, mais je comprends qu’elle ne viendra pas.
Que personne ne viendra profaner mon cercueil.
Tandis qu’il profane mon corps.
— Mon plus beau carnage.
Un an et trois mois plus tard …
Tu as encore changé les verrous, mon ange ?
Pourtant, tu devrais savoir que ça ne sert à rien… Qu’aucune porte, aucune serrure ne peut m’arrêter.
Rien ni personne ne peut m’arrêter, d’ailleurs.
La preuve, je suis déjà chez toi. Alors que tu viens de partir pour le boulot. Brave petit soldat ! Je te regarde t’éloigner, dans ton uniforme qui te va à ravir. Mais que, bientôt, je t’arracherai de force.
Déjà, tu as perdu pied.
Déjà, tu ne dors plus sans tes somnifères. Tu ne penses plus qu’à moi, alors même que tu ne me connais pas.
Déjà, ta vie est devenue un enfer.
Mais ce n’est rien à côté de ce que je te réserve.
Mon cher ange, ma chère Valentine… J’espère que tu marcheras dans les traces de Cloé. Que tu iras aussi loin qu’elle.
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