— Alors ma belle, l’endroit te convient ?
— Ta gueule !
— Doucement, chérie.
Elle se retourna et le vit, accroché aux barreaux, un sourire indécent sur les lèvres.
— Désolé ! J’ai pas pensé aux cacahuètes !
Elle posa ses mains à côté des siennes.
— Viens pas si près, murmura-t-il. Ça pourrait me donner des idées…
— Des idées ? Quel genre d’idées ?
— Tu le sais très bien…
— Ben suffit pas d’avoir les idées, mon gros. Faut aussi avoir les moyens de les réaliser…
— Tu me cherches ?
— Pas la peine, t’es déjà là. T’es toujours là, de toute façon… Et puis, j’ai besoin de rien. Alors tu entreras même pas dans cette cellule tellement t’as peur de moi… Tu sais que si tu ouvres cette grille, t’en prends plein la gueule…
— Ah ouais ? Et toi, tu te prends quarante jours de plus !
— Et alors ? J’ai perpète devant moi, je te le rappelle… Là ou ailleurs… Je pourrais même te tuer… Ça changerait quoi ? Je me prendrais un siècle de taule ? Et après ?
— Tu m’aimes trop pour me tuer ma douce ! lança-t-il en riant. Tu as trop besoin de moi… Si je crève, tu crèves aussi ! Le manque, c’est terrible, hein Marianne ?
— Va te faire foutre…
— Allez, je te laisse t’installer ! Je repasserai plus tard… Je vais me prendre un bon petit café… Je te souhaite une agréable journée !
Elle cracha au travers des barreaux mais rata sa cible qui partit en se tortillant à la Delbec. Marianne considéra avec tristesse sa cellule. Une petite table, un siège et un lit, le tout en béton. Mobilier design, dernier cri. Avec un matelas de laine jeté en travers de la paillasse. Une vieille couverture à la saleté repoussante tombée sur le sol, des chiottes en inox. Pas de télé — de toute façon, elle n’avait jamais pu s’en payer une — pas de fenêtre non plus. Juste un minuscule soupirail tellement sale que le jour peinait à entrer. Un spot ancré dans le plafond, sous une grille. Mais le pire, c’était l’odeur. Il fallait plusieurs jours pour s’y faire. Surtout dans cette cellule particulièrement vétuste. Un exquis mélange d’effluves, pisse, excréments, moisissure et vomi. La totale.
Tu vas pas chialer Marianne ! Tu vas pas leur donner ce plaisir !
Elle fuma quatre cigarettes d’affilée, histoire de masquer les autres odeurs par celle du tabac. Puis elle enfila son pull et voulut s’allonger sur le matelas. Un cafard obèse y promenait ses antennes. Elle le transforma en une immonde bouillie qu’elle balança dans les toilettes. Elle prit le roman emprunté à la bibliothèque la veille. Des Souris et des Hommes d’un certain John Steinbeck. J’aurais dû commander un livre plus épais. Va pas faire long feu celui-là… J’espère au moins qu’il sera bien… Tu vas t’habituer à l’odeur, Marianne. C’est pas la première fois que t’atterris ici. Concentre-toi sur le bouquin. Et le 14 h 20 ne va pas tarder… D’ici, elle ne l’entendrait presque pas mais le devinerait avec un peu d’imagination. La pire des punitions.
Elle ne perd rien pour attendre, cette salope de Marquise. Un jour, je détruirai sa jolie petite gueule d’aryenne. Je lui ferai cracher toutes ses dents. Et je m’en ferai un collier.
Pourquoi je les ai tués ?
*
Marianne ouvrit un œil et tomba sur le visage d’un vieil homme penché au-dessus du lit. Elle sursauta, voulut se lever mais resta clouée sur le matelas. Poignets et chevilles entravés.
— Qu’est-ce que vous me voulez ?! s’écria-t-elle en tentant de se détacher.
Il approcha encore un peu plus sa figure de la sienne. Il avait l’air si gentil. D’ailleurs, il lui souriait. Elle découvrit avec horreur qu’il n’avait plus de dents. Plus aucune. Il essayait de parler, mais seuls des sons ridicules sortaient de sa bouche. Des sons et du sang. Puis il serra ses mains ridées sur son cou. Elle étouffait, lentement. Il souriait toujours, trou noir et béant. Son visage se modifiait peu à peu, se décomposant littéralement sous les yeux terrifiés de Marianne.
— Tu vas venir avec moi ! ordonna-t-il doucement. Tu vas voir comme l’enfer est plaisant…
Elle ne pouvait même plus appeler au secours. Plus un atome d’oxygène dans les poumons. Trop tard.
Elle poussa un cri et s’assit sur la paillasse. Première nuit au mitard. Toujours la plus dure. Elle passa sa main sur sa gorge intacte. Pas de papy en vue. Personne. Solitude absolue, silence complet. Seuls les cauchemars, les cafards et les punaises de lit lui tiendraient compagnie. Il lui fallait de l’aide.
Un fixe d’héroïne plus tard, elle se rallongea doucement sur le matelas éreinté, après avoir minutieusement effacé les traces du forfait, planqué son attirail de défonce. Il lui fallait sa dose tous les deux ou trois jours. J’suis pas vraiment accro. Sinon, je me piquerais matin et soir. Si je voulais, je pourrais m’en passer.
Un cafard rôdait sur le mur, juste à côté d’elle.
— Salut, mon pote… Toi aussi, t’as pris perpète ? Qu’est-ce t’as fait pour ça ?
Il n’eut pas la politesse de répondre. Elle n’en était qu’au début du voyage. Encore quelques minutes et il se mettrait à parler.
— Moi, j’ai descendu un flic à bout portant…
L’insecte s’immobilisa près de son visage, remua des antennes. À l’écoute, comme un psy au-dessus du divan.
— J’ai buté un flic, tu te rends compte ? Et j’en ai blessé un autre, une nana en plus… Paraît que maintenant, elle se déplace en fauteuil… Mais c’est pas le pire ! Si j’avais fait que ça, j’aurais pas pris autant… C’est à cause du vieux… J’ai pas tapé bien fort pourtant… Si, je t’assure !
Le cafard tenta d’aller voir ailleurs mais Marianne le plaqua contre le mur. Il s’agitait dans le creux de sa main. Ses antennes ou ses pattes chatouillaient sa peau.
— T’es comme les autres, tu me crois pas ! Je lui ai juste pété quelques dents… Et la mâchoire aussi… Bon, c’est vrai que je lui ai filé un coup dans l’estomac… Mais je pensais pas lui avoir explosé les tripes ! C’est pas ma faute, j’sens pas ma force… comme Lenny… Y sent pas sa force, lui non plus… T’as pas lu Des Souris et des hommes ? T’as tort, ce livre est génial ! Je l’ai presque fini… Et pis s’tu veux pas me croire, c’est tant pis pour toi… J’en ai marre qu’on me croie pas !
Elle serra son poing et entendit un drôle de craquement. Comme si elle émiettait un biscuit sec.
— À qui tu parles, de Gréville ?
Elle se redressa d’un bond, la cellule vacilla. En écarquillant les yeux, elle distingua une ombre derrière la grille, au milieu d’une brume étrange. Quelqu’un faisait-il un feu de camp dans le couloir ? Mais nul besoin de clarté pour savoir qui lui rendait visite. La voix avait suffi. Suave, gorgée de haine. La Marquise venait jouir du spectacle.
— Alors, tu parles toute seule ? Décidément, t’es de plus en plus cinglée, ma pauvre !
Marianne resta figée. Surtout, ne pas s’énerver pendant le voyage où chaque émotion est démultipliée… La Marquise alluma la lumière, Marianne ferma les paupières sous les agressions du spot. L’interrupteur était dehors, inaccessible pour le détenu. Impossible d’arrêter le supplice.
— Qu’est-ce que tu as ? T’oses même pas m’affronter du regard ?
Ne pas répondre. Surtout, ne pas répondre à la provocation…
— Alors ? T’as perdu ta langue ou quoi ? s’amusa Solange. T’as les pétoches ?!
Marianne sentit ses jambes se raidir, se força à ouvrir les yeux et les dirigea comme deux sabres laser en direction de l’ennemi. La drogue les rendait plus pénétrants que jamais. Plus noirs que jamais. Puis elle se leva lentement, tenant sur ses jambes presque par miracle.
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