— Qu’est-ce que tu veux, à la fin ? s’écria-t-il.
— Mais…
Il la secoua si fort qu’elle eut l’impression que sa colonne vertébrale allait se disloquer.
— Qu’est-ce que t’es venue foutre dans notre vie, putain ?
— Arrêtez, s’il vous plaît ! gémit-elle. Je ne voulais pas…
— Pourquoi tu ne nous laisses pas tranquilles, nom de Dieu !
Elle se mit à pleurer.
— Je voulais juste vous aider, sanglota-t-elle. Vous aviez l’air tellement mal… Je voulais vous aider, rien d’autre…
Il lâcha ses poignets et serra ses deux mains autour du cou de la jeune femme. Il la poussa contre le mur, continuant à lui broyer la gorge.
— Tu crois que tu peux la remplacer ? hurla Gabriel. Tu crois que tu peux la remplacer ?
Elle tenta de le faire lâcher prise, frappa, cogna. Mais il était insensible à la douleur.
Cette fois, il allait la tuer.
— Personne peut la remplacer ! Personne, t’entends !
Elle commença à s’étouffer, cessa de se débattre. Sa bouche ouverte cherchait désespérément de l’oxygène, ses genoux se plièrent.
Soudain, il desserra son étreinte mortelle et elle glissa le long du mur. Elle inspira une longue bouffée d’air avec un bruit affreux et il recula, effaré par son propre geste.
Avant de perdre connaissance, elle eut le temps de le voir se sauver en courant. Comme s’il venait à son tour d’apercevoir un monstre.
Quand elle s’éveilla, elle était sur le lit. Il faisait encore nuit, la lampe était allumée. Une douleur fulgurante l’empêcha de tourner la tête. Sa nuque était en pierre, en feu.
— Ne bouge pas, conseilla une voix désormais familière.
Il était calmé, visiblement. Elle aurait voulu voir son visage pour en être sûre.
Avec sa main, elle toucha sa gorge endolorie. Elle essaya de parler, mais seul un grincement sinistre s’échappa de ses lèvres sèches. Elle l’entendit s’approcher, il se pencha au-dessus d’elle.
Il y avait tant de douleur au fond de ses yeux qu’elle ressentit un embryon de pardon.
Passant une main sous l’oreiller, il souleva délicatement sa tête pour lui présenter un verre d’eau.
— Vas-y doucement.
Au bout de deux gorgées, elle abandonna.
— Ça ira mieux demain, promit-il.
Gabriel retourna dans son fauteuil et elle fixa longtemps le plafond en lambris. Chaque nœud du bois se muait en une effrayante chimère.
— Je ne voulais pas vous… espionner, parvint-elle à dire d’une voix éraillée. Les coups m’ont… réveillée et… quand je vous ai vu, si mal… j’ai eu envie de vous… consoler.
Il garda le silence un moment. Comme elle ne pouvait pas tourner la tête, elle ne vit pas les larmes revenir sur le visage de Gabriel.
— Rien ni personne ne peut me consoler, répondit-il enfin.
Elle entendit qu’il allumait une cigarette, sentit l’odeur flotter jusqu’à elle.
— Je vais rester près de toi, cette nuit.
— Merci, mais je pré… fère être seule, osa-t-elle.
— Comme tu voudras.
Il se dirigea vers la porte.
— Au fait, je m’appelle Gabriel.
Elle entendit la clef tourner dans la serrure, ferma les yeux.
— Gabriel, répéta-t-elle. L’ange qui a refusé de suivre Lucifer…
La maison de Greg est nichée dans un quartier résidentiel. Tama s’est assise sur le muret qui sert de clôture en attendant qu’il rentre.
En espérant qu’il rentre.
Elle tremble de froid, de peur et de solitude, ne cessant de penser à Izri qui doit se faire cuisiner dans une salle d’interrogatoire. Elle sait qu’il ne parlera pas, qu’il sera au moins aussi fort qu’eux. Vont-ils le frapper ? Le maltraiter ?
Elle se demande pour quel motif ils l’ont arrêté. Il y en a tellement… Est-ce pour l’assassinat du concurrent retrouvé dans le terrain vague ? Pour l’attaque du fourgon ?
Elle imagine les policiers en train de fouiller leur maison, de vider les armoires, les tiroirs, les placards. De déchirer les draps dans lesquels ils se sont aimés la nuit dernière.
En train de violer leur intimité, leur histoire, leurs secrets.
En consultant sa montre, Tama s’aperçoit qu’il est déjà près de 19 heures. Elle ignore quand Greg rentre du boulot, ignore même précisément quel boulot il fait… D’après ce qu’elle a compris, il travaille pour Izri mais gère l’une de ses affaires légales et a donc moins de risques de se faire interpeller à son tour.
Un peu avant 20 heures, la voiture de Greg apparaît. Une magnifique Audi, un modèle sport. Il se gare devant le portail, aperçoit aussitôt Tama. Il n’a pas l’air surpris de la voir.
— Je suis au courant pour Iz et Manu, dit-il simplement.
— Je… Iz m’avait dit de venir chez toi, si…
— Je sais. Entre.
Il ouvre le portail, Tama le suit. Ils longent un garage, traversent une cour où il n’y a rien. À part une table et deux chaises. Puis Tama découvre l’intérieur. Vaste et plutôt bien rangé pour celui d’un célibataire. Mais il est pauvrement meublé, chichement décoré et souffre d’une absence d’âme. Comme si personne ne vivait ici.
— Tu veux boire un truc ? propose Greg.
— De l’eau, s’il te plaît… Tu as des nouvelles d’Izri ?
— Non, soupire-t-il. J’attends un coup de fil de l’avocat. Assieds-toi.
Tama s’installe sur le bord du canapé, il lui apporte un verre d’eau gazeuse.
— Raconte, dit-il en allumant une cigarette.
— Je rentrais à la maison quand j’ai vu les flics… Ils étaient en train d’arrêter Izri !
Les larmes reviennent, Greg lui tend un kleenex.
— Il m’a crié de me sauver et j’ai couru…
— Ils t’ont poursuivie ?
— Oui… mais je les ai semés.
Il a une sorte de moue admirative.
— Bon, tu as bien fait de venir, dit-il. J’avais promis à Izri de m’occuper de toi si jamais il lui arrivait quelque chose. Alors tu resteras ici tant que ce sera nécessaire. D’accord ?
— Merci… Mais les flics, ils ne vont pas venir chez toi ?
— Ils vont certainement m’interroger, mais ils n’ont aucune raison de me serrer. Et s’ils te voient, on dira que tu es ma petite amie. Ça te va ?
Tama hoche la tête.
— Tu veux manger ? propose-t-il.
— Non, merci, je n’ai pas faim…
— Ben, moi, j’ai la dalle ! dit-il en écrasant sa cigarette.
Il la dévisage avec un sourire bancal.
— Mais je suis trop crevé pour faire à bouffer. Je commande une pizza ? À moins que tu préfères un chinois ?
— Je peux te préparer quelque chose, si tu veux…
— Volontiers, dit-il en se calant dans le fauteuil.
Greg m’a donné la chambre d’amis équipée d’une banquette clic-clac. La soirée m’a semblé interminable car lui et moi n’avions pas grand-chose à nous dire. De toute façon, je n’avais guère envie de parler…
Il a l’air affecté par l’arrestation de son meilleur ami mais, malgré mes demandes, il a refusé d’appeler l’avocat, m’expliquant qu’il fallait laisser M eTarmoni se manifester.
Tandis qu’il regarde la télé, je prépare ma chambre. J’ai toutes les peines du monde à ouvrir cette maudite banquette, pourtant il ne vient pas m’aider. Je mets les draps qu’il m’a donnés, ainsi que la petite couverture, et contemple ces murs vides et impersonnels. Seulement un cadre au mur, cliché d’une grande ville la nuit. New York, peut-être. Un de ces cadres qu’on trouve dans n’importe quel supermarché.
Je n’ai rien, ici. Je n’ai jamais eu grand-chose, mais ce soir, je me sens entièrement dépouillée. Nue, vulnérable et désorientée.
Quelques livres m’auraient peut-être rassurée.
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