— Je peux vous accompagner ? J’aimerais bien les voir…
— Tu les as déjà vus quand tu t’es réfugiée dans mon écurie.
— Je ne m’en souviens plus.
Elle le fixait sans relâche.
— Tu prépares un coup tordu, c’est ça ? balança-t-il. Tu penses pouvoir te barrer ?
— Non, j’ai juste envie de prendre l’air. J’en ai assez d’être enfermée dans cette chambre !
— Fallait pas venir m’emmerder chez moi. Et puis, ne te plains pas, tu devrais être morte à l’heure qu’il est !
— Je préférerais être morte qu’enfermée.
Il approcha son visage du sien, lui adressa un sourire terrible.
— Ne me tente pas…
— Allez-y, Gabriel, tuez-moi ! le défia-t-elle en se mettant debout.
Elle écarta les bras, ferma les yeux.
— Alors ? Vous attendez quoi ?
Elle rouvrit les yeux, le bravant du regard. Adossé au bar de la cuisine, il souriait.
— Tu veux que je te raconte ?
— Me raconter quoi ?
— Depuis que tu es ici à te prélasser dans ma chambre, j’ai buté deux personnes. La première, c’était une femme. Je lui ai planté une lame dans le foie et ensuite, je lui ai tranché la gorge.
Gabriel saisit un couteau, s’approcha de la jeune femme qui tentait de garder son calme. Il positionna la lame sur son cou, le froid de l’acier la glaça jusqu’aux os.
— Je lui ai ouvert la gorge d’un bout à l’autre et elle s’est vidée de son sang à mes pieds, chuchota-t-il.
— Pourquoi vous me dites tout ça ? bredouilla son invitée.
— Tu voulais parler , non ?… Le second, c’était un type… Lui, je l’ai attaché sur son plumard et je lui ai serré un collier en cuir autour du cou. C’était du cuir mouillé. Et tu sais ce que fait le cuir en séchant ?
Elle déglutit bruyamment.
— Il se rétracte, dit Gabriel. C’est une mort lente et terriblement douloureuse… Ça lui a pris des heures pour crever. Il me suppliait du regard, parce que je l’avais bâillonné. Il me suppliait, mais je l’ai laissé souffrir sans bouger le petit doigt…
Elle fit un pas en arrière, soudain beaucoup moins fière.
— Il pouvait de moins en moins respirer jusqu’à ce qu’il s’étouffe. Son visage est devenu mauve, il a gonflé. Ses yeux se sont révulsés, il s’est pissé dessus. Et puis il est mort. Tu veux que je te raconte les précédents ?
— Non…
— Qu’est-ce qui se passe ? Tu n’as plus envie de parler ?
Il avait toujours le couteau à la main, elle fit discrètement un nouveau pas en arrière.
— La précédente victime était un homme.
— Arrêtez ! murmura la jeune femme.
— Lui, il habitait un endroit isolé, un peu comme ici, tu vois ? Alors, j’ai pu le laisser crier et appeler à l’aide.
— Arrêtez…
— Et ça m’a plu de l’écouter appeler au secours pendant de longues minutes, sans que personne ne l’entende… Tu veux savoir comment je l’ai tué ?
— Non… Arrêtez…
— Il jouait au golf. Ça te donne un indice… Allez, fais-moi plaisir, jeune fille, devine comment je l’ai buté !
— Arrêtez, putain !
— À coups de club de golf, bien sûr ! D’abord les genoux, pour qu’il ne puisse plus m’échapper. Pour qu’il rampe devant moi… Et ensuite, sa tête. Jusqu’à ce qu’elle explose. Tu sais, il faut faire preuve d’imagination pour ce genre de boulot ! Jamais la même arme, jamais le même mode opératoire, histoire de brouiller les pistes et d’énerver la justice !
Les omoplates de la jeune femme touchèrent le mur. Elle ne pouvait plus reculer pour s’éloigner du monstre qui lui faisait face.
— Je veux aller dans ma chambre, murmura-t-elle.
Satisfait, il esquissa un sourire.
— À la bonne heure ! Mais je te rappelle que ce n’est pas ta chambre. Parce que ici, c’est chez moi, tu te souviens ?
— Je ne risque pas de l’oublier…
— Parfait.
Elle se glissa bien vite entre le mur et l’assassin et se hâta de rejoindre sa cellule de luxe. Il la regarda encore un instant avant de verrouiller la porte. Elle s’assit sur le lit et attrapa la couverture pour se réchauffer. Un froid mortel s’était emparé d’elle.
La Bible racontait n’importe quoi.
Gabriel avait bel et bien rejoint Lucifer.
Deux semaines que je vis chez Greg. Ou plutôt que je survis.
Sans cesse, je me répète les paroles d’Izri. Il veut que je sois forte .
Mais des forces, je n’en ai plus.
Je vivais pour lui, je souriais pour lui, je respirais pour lui.
J’aurais pu mourir pour lui.
Je vais mourir sans lui.
Ce matin, comme tous les matins, je m’occupe de l’intérieur de Greg. Je lui ai dit qu’il pouvait congédier sa femme de ménage, que je prenais sa place. Je lui dois bien ça en échange de son hospitalité.
Greg ne travaille pas beaucoup. Il gère la boîte de nuit, mais de loin. Parfois, cependant, il y passe ses soirées. Il dirige aussi une entreprise de transport qui appartient à Manu et Iz. Là aussi, il délègue et je crois qu’il ne doit pas être trop fatigué le soir.
Greg est quelqu’un de très ordonné, pour ne pas dire maniaque. Chaque chose a sa place, ici.
Sauf que moi, je ne trouve pas la mienne.
Je vis avec un homme dont j’ignore quasiment tout et dont les manières me déplaisent. Aucune classe, aucune élégance. Zéro culture. Il me rappelle un peu Charandon. Mais Izri l’a choisi pour veiller sur moi, alors je fais comme si je l’appréciais. Et j’espère qu’avec le temps, ça viendra.
Si Izri l’aime, il n’y a pas de raison que je ne fasse pas pareil.
Sur les ordres d’Izri, relayés par l’avocat, Greg s’est occupé de notre maison. Avec quelques-uns de ses gars, ils ont mis toutes nos affaires dans des cartons qu’ils ont entreposés dans des garages de l’entreprise de transport. J’aurais voulu superviser ce déménagement car j’avais très envie de retourner là où nous vivions. Mais Greg me l’a interdit, au prétexte que la police surveillait peut-être les lieux et qu’il valait mieux que je reste dans l’ombre.
Il m’a assuré qu’il me conduirait bientôt aux entrepôts pour que je puisse récupérer ce qui me tenait à cœur.
Greg rentre déjeuner après avoir travaillé une matinée. Je lui ai préparé le repas et nous le prenons ensemble dans la cuisine. Il me pose des questions sur moi, sur Iz, sur notre histoire. Je lui réponds, plus par politesse que par envie. Et je me rends compte que mon homme lui a déjà raconté pas mal de choses sur mon passé. Il sait que j’étais exploitée par Mejda, que je suis orpheline.
En début d’après-midi, quelqu’un sonne à l’interphone et nous avons la visite de M eTarmoni. Je lui sers un café dans le salon et m’installe en face de lui.
— Tama, j’ai vu Izri ce matin.
— Comment va-t-il ?
— Il tient le choc. C’est lui qui m’a demandé de venir vous voir…
Je souris tristement. Izri pense à moi comme je pense à lui, ça redonne un peu de vigueur à mon cœur fatigué.
— Le juge continue l’instruction, mais il ne détient aucune preuve formelle et matérielle de l’implication d’Izri dans l’assassinat de Santiago.
Je me souviens que ce Santiago est le fameux concurrent qui a tiré sur lui et qu’on a retrouvé dans le terrain vague.
— Ils ont des preuves contre Manu, mais pas contre Izri, poursuit l’avocat. Juste un faisceau de présomptions…
— Ça veut dire quoi ?
— Ça veut dire qu’Izri a une chance de s’en sortir lors du procès. D’autant que Manu n’a évidemment rien dit. Il a gardé le silence…
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