Georges-Jean Arnaud - Les fossoyeurs de liberté

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Le Chili dans les jours qui suivent le coup de force des militaires alors que la Junte au pouvoir impose sa loi.
Le Commander Serge Kovask accompagne une commission sénatoriale d'enquête américaine comme enquêteur. Il connaît bien le Chili, y est déjà venu. Mais il découvre un Santiago complètement transformé, inquiétant.
Les Américains qu'il y rencontre ont tous plus ou moins trempé dans le renversement du gouvernement légal d'Allende. Certains ont même versé d'importantes sommes aux syndicats patronaux pour affaiblir l'économie locale.
D'où vient cet argent qui suit de mystérieuses filières avant de s'entasser dans les coffres de certaines personnalités ?

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— Et ne l’a pas nié, mais prétend qu’il n’a jamais entretenu avec lui de relations professionnelles.

Il haussa ses épaules massives, regarda Kovask avec un sourire finaud.

— On les coincera quand même. Ils vont nous jeter dans les bras des types dans le même style, mais ça nous permettra de chercher ailleurs. Où en êtes-vous ?

— J’ai un agent qui s’occupe de l’ancien secrétaire d’un syndicat de commerçants qui lui, a reçu de l’argent d’un agent de la C.I.A. De ce côté-là, tout est à peu près tranquille.

En fait, il n’avait aucune nouvelle de la Mamma, et celle-ci ignorait qu’il se trouvait à Santiago.

— Il y a aussi un petit transporteur, du moins un ex-transporteur, complètement ruiné depuis la dernière grève. Un certain Jorge Varegas. Il avait un contrat avec le gouvernement, pour approvisionner les centres de ravitaillement ouvriers. Mais ce n’est ni un marxiste, ni un partisan de l’ancien gouvernement. Seulement, depuis six mois, il doit travailler comme éboueur à cause du syndicat de Palacio. Ils l’ont obligé à se mettre en grève, l’ont même molesté un soir. Ils l’ont attendu, et l’ont sérieusement frappé.

Holden s’arrêta un instant de téter son gros havane :

— Mais que peut-il pour nous ?

— Il détiendrait la preuve que le syndicat de Palacio a touché cent mille dollars de la C.I.A.

— Directement ?

— Il affirme que oui. Le syndicat aurait été payé en marks allemands, et il aurait pu relever le numéro des billets. Par la suite, l’argent a été partagé.

— Vous croyez à cette histoire ? Ce serait vraiment trop beau.

— J’ai retrouvé Varegas. Il ne parlera que s’il jouit de garanties formelles pour lui, sa femme et ses enfants. De même notre épicier secrétaire de syndicat.

— Vous savez bien les difficultés que l’on va rencontrer ? Il faudrait ramener ces gens-là aux U.S.A. Or, dans l’heure, c’est impossible. Pas question de les conduire à l’ambassade, qui fourmille d’agents secrets.

— Je crois avoir un plan, dit Kovask, mais il sera risqué.

Holden lui dédia un regard scrutateur :

— Vous êtes un collaborateur de mon ami le Commodore Garry Rice. Je sais de quoi vous êtes capable, mais je vous conseille la prudence. Ce pays est terriblement dangereux. Vous savez, j’ai connu l’Allemagne nazie, mais je me demande si ce n’est pas encore pire ici. Lorsque je me promène dans la rue, une angoisse horrible m’étreint. Tenez, dans le Barrio Alto, le quartier chic, où j’ai été reçu hier au soir… Ces gens fortunés sont épouvantables. Ils liquideraient la moitié de la population pour survivre… Et ces femmes, jolies pour la plupart, d’une haine terrible pour les humbles, les travailleurs, et les Indiens. Quand on entend des gens parler de racaille à notre époque, il y a de quoi désespérer. Vous avez retrouvé ce Varegas, disiez-vous ?

— Cette nuit. Non sans mal. Et c’était dans un poblacion. Imaginez une maison en planches et en adobes, avec un toit en tôle. Deux pièces, cinq personnes. Varegas avait deux camions. L’un était conduit par un de ses beaux-frères, qui a été tué dans les combats du mois de septembre. Avant la grève des patrons routiers, il vivait heureux. Maintenant, c’est un rotto, un demi-clochard.

— Je me méfie des gens pleins de haine, dit fermement le sénateur.

— Il est plutôt amer.

— Mais il appartenait au syndicat ?

— Il faisait partie du comité de direction. Il représentait les petits artisans camionneurs.

— Et ces cent mille dollars, il les a vus ?

— Il dit que oui. Les membres du comité se les seraient partagés. Ils étaient sept. Lui n’a rien reçu. Ils l’ont habilement éliminé à ce moment-là.

Holden ne paraissait pas satisfait.

— C’est louche, non ?

— Varegas est sur la défensive. J’en apprendrai plus ce soir certainement.

— Vous y retournez ?

— Je crois en cette piste.

Holden prit le journal qui traînait sur sa table.

— Vous avez vu cet Heinrich ? Président d’un syndicat du vêtement ? Liquidé salement. Attentat marxiste. Ils n’ont même pas de logique. Ils prétendent que la ville est calme, et d’un autre côté leurs ennemis de gauche peuvent frapper. Un commerçant sans importance. Pourquoi pas un type plus haut placé.

— Heinrich figuré sur cette liste noire de ceux qui ont touché des fonds de Langley.

— Je sais. Voilà qui va clore le bec de tous les autres.

Kovask alluma une cigarette, croisa ses longues jambes.

— Que font les autres membres de la commission ?

— Ils travaillent. Certains sont partis pour les régions minières, les centres industriels. Nous enquêtons aussi sur les Américains installés dans ce pays.

Dans sa main droite, il brandit une poignée de feuilles :

— Le double des convocations. Mais viendront-ils ? Il paraît qu’une vingtaine de nos compatriotes ont quitté la capitale ces jours derniers, et j’ignore par quels moyens. Mais je voudrais que vous vous intéressiez plus particulièrement à cet homme-ci.

Kovask se leva pour prendre une fiche. Il ne connaissait pas ce visage rond de doux intellectuel, aux yeux presque étonnés derrière des lunettes à la monture fine, aux cheveux rares et un peu fous.

— Qui est-ce, un gauchiste ?

— Pas du tout. Michael Mervin, un spécialiste des pays de l’Amérique latine. Il s’est installé au Chili voici un an, en provenance du Brésil. On l’a vu aussi en Bolivie, en Uruguay, en Argentine.

— C.I.A. ?

— Rien ne le prouve. C’est un type effacé et prudent.

— Sa raison sociale ?

— Correspondant des Chambres de commerce de l’Amérique du Nord.

— C’est vague.

— Oui, mais il fournit de la documentation régulière, paraît-il, à certaines villes du Canada, des U.S.A. et du Mexique. Curieusement, il était toléré par le gouvernement Allende, allez savoir pourquoi. Emportez cette fiche, et étudiez-là.

— Cela suffira, dit Kovask. J’ai noté l’essentiel, dont son adresse.

— Le personnage serait le chef d’un réseau parallèle, créé par Langley.

Le Commander fronça ses sourcils :

— Vous êtes bien renseigné, sénateur.

— Et comment ! Après tout, nous avons nous aussi notre service de renseignement à Washington. Vous ne pouvez savoir la masse d’informations que nous recevons, et je dois louer un ordinateur plusieurs jours chaque mois pour les traiter.

— Votre secrétaire doit avoir beaucoup de travail.

— Marina ?

Holden eut un air assez polisson :

— Elle n’est chez moi que depuis peu. Mais j’ai un pool bien rodé, dans la capitale. Vous vous occupez de ce Mervin ?

— Promis.

Il serra la main du sénateur, et passa dans la salle d’attente. Un homme attendait, Américain du Nord rien qu’à son aspect. Il paraissait très nerveux, et se précipita vers le sénateur :

— Je ne comprends pas à quoi rime cette convocation.

— Un instant, et je vous l’explique, dit placidement Holden en refermant la porte.

Marina et Kovask échangèrent un regard amusé.

— Il m’accablait de questions, se montrait même désagréable. Je crois, qu’on va en recevoir des dizaines comme lui. Ça promet.

— Une chance pour vous de recevoir une invitation à dîner.

— Oh ! ce genre de type ne me plaît pas tellement. J’aime bien choisir.

— Dommage que je sois occupé si tard aujourd’hui. M’auriez-vous choisi ?

Elle sourit gentiment :

— Pourquoi pas ? Mais avec ce couvre-feu, ce n’est guère facile.

— On doit pouvoir y remédier, dit-il.

Marina lui dédia un regard soupçonneux :

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