Georges-Jean Arnaud - Les fossoyeurs de liberté

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Le Chili dans les jours qui suivent le coup de force des militaires alors que la Junte au pouvoir impose sa loi.
Le Commander Serge Kovask accompagne une commission sénatoriale d'enquête américaine comme enquêteur. Il connaît bien le Chili, y est déjà venu. Mais il découvre un Santiago complètement transformé, inquiétant.
Les Américains qu'il y rencontre ont tous plus ou moins trempé dans le renversement du gouvernement légal d'Allende. Certains ont même versé d'importantes sommes aux syndicats patronaux pour affaiblir l'économie locale.
D'où vient cet argent qui suit de mystérieuses filières avant de s'entasser dans les coffres de certaines personnalités ?

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A midi, le sénateur fit servir un véritable repas, au lieu des sandwiches de la veille, et Mervin mangea d’assez bon appétit. Holden se contenta d’un steak, et d’un verre de bordeaux. Lorsqu’ils reprirent, Mervin se sentit lourd et ensommeillé. Les questions de Holden l’irritaient, et à plusieurs reprises, il se coupa dans ses réponses. Chaque fois le sénateur le lui faisait remarquer, ce qui accroissait son trouble. Il finit par admettre de ce fait qu’il avait également séjourné dans d’autres villes de l’Amérique du Sud.

— Rio de Janeiro, durant deux ans. La Paz également, Montevideo. Des pays qui ont connu de grosses difficultés, qui vivent sous des régimes non démocratiques. Voilà qui est curieux. Pourquoi l’Uruguay surtout, où le niveau de vie ne cesse de se détériorer chaque jour ? Vous deviez faire de très mauvaises affaires là-bas.

— C’est pourquoi je n’y suis resté que six mois.

— Pour vous installer ici, où un gouvernement démocratique, mais de gauche, ne pouvait guère encourager votre travail ?

— Vous n’ignorez quand même pas que le fait pour des cargos de ne pas franchir le Canal représente un gain considérable pour les affréteurs, et non seulement en argent, mais en temps gagné.

— Je l’admets, mais vos affaires n’ont guère été brillantes durant cette période. Vous avez dû faire beaucoup de promesses, pour la période qui suivrait la fin du régime Allende ?

— C’est vrai. Mais mon travail ne porte ses fruits qu’à long terme. C’est peut-être difficile, mais c’est comme la publicité de bouche à oreille. On reconnaît que c’est quand même la plus rentable, et la plus sûre.

— Avez-vous des amis ? De véritables amis ?

— Je crois que oui.

— Ici, dans cette ville ?

— Bien sûr. Mais si je vous donne des noms, vous allez les importuner.

— Pas s’ils sont Chiliens.

Mervin secoua la tête :

— Non, inutile.

— Vos relations avec l’ambassade ?

— Excellentes.

— Avec le nouveau conseiller économique Alan Decker ?

Cette question, Mervin aurait pu s’étonner qu’il ne la lui pose pas, et en tirer des conclusions pessimistes. Mais en la posant, il s’efforçait de paraître indifférent.

— Oui. Nous sympathisons.

— Je dois le rencontrer aujourd’hui d’ailleurs, dit le sénateur. Mais, je ne crois pas que vous soyez passé par l’ambassade, pour parvenir à vos fins. Qui connaissez-vous encore à l’ambassade ?

— A peu près tout le monde, mais de façon superficielle. Je suis obligé d’assister à toutes les réceptions évidemment, mais ce n’est pas dans ce milieu que je choisis mes amis.

Vers 17 heures, Marina lui téléphona que Alan Decker venait d’arriver.

— Un instant. Faites-le patienter.

Il posa encore une question à Mervin, puis passa dans l’antichambre, prit un air jovial, et avança la main tendue vers le conseiller économique. Decker avait un visage taillé à la hache, une corpulence de joueur de baseball, le regard intelligent, mais méfiant. Il parut déconcerté par l’accueil du sénateur à la réputation de vieux dur à cuire.

— Cher ami, désolé de vous déranger, j’ai un service à vous demander… Mais, auparavant, je veux vous faire voir quelqu’un que vous connaissez bien.

Les deux hommes se serrèrent la main avec réserve. Mervin paraissait inquiet, tandis que Decker essayait de paraître à l’aise.

— Comment allez-vous, Michaël ? Je ne croyais pas vous rencontrer ici.

— Je suis en train de lui poser quelques questions, fit Holden avec l’air de s’excuser. Mais, Decker, si je vous ai fait venir, c’est pour vous demander pourquoi vous louez cette propriété, Las Madrés, qui appartient à l’ambassade, et jouit d’un droit d’extraterritorialité.

La foudre tombant dans la pièce n’aurait pas provoqué autant de stupeur.

— Mais, dit Decker la voix traînante, je mets le domaine en culture, et je profite de la résidence pour me reposer. L’air est excellent là-bas. Très pur.

— Parfait, dit le sénateur en se frottant les mains. Voyez-vous, je cherche un endroit pour passer la journée de demain. Pour mes collègues et moi-même. Nous avons besoin d’un endroit calme et serein, à la campagne, et j’ai pensé que nous pourrions passer la journée là-bas.

— A Las Madrés ? demanda Decker abasourdi.

— Voilà… Nous ne vous dérangerons pas trop ?

— Mais pas du tout… Je vais m’occuper dès aujourd’hui de votre accueil.

— Comprenez-moi, Decker… Nous avons besoin de réfléchir un peu, après une semaine de travail, et de nous retrouver à l’abri des oreilles étrangères.

Le conseiller s’inclina civilement :

— Je crois que vous serez très bien là-bas.

Lui et Mervin évitaient de se regarder, mais Holden aurait été curieux de leur prendre le pouls en cet instant précis.

— Surtout, ne vous compliquez pas la vie. Prévoyez un repas très simple. Des grillades, par exemple. S’il fait beau, ce sera merveilleux.

Nous sommes tous d’un âge certain, et avons besoin de nous requinquer. Je peux vous faire confiance ?

— Bien sûr, monsieur le sénateur.

— Eh bien ! à demain ! Nous arriverons vers les 10 heures certainement…

— Je serai heureux de vous accueillir à la porte du domaine.

Holden le raccompagna jusqu’à la porte, très cordial, très enjoué. Decker ne paraissait rien y comprendre et Mervin, lorsque le vieil homme revint, essaya de lire sur le gros visage poupin les intentions secrètes de cet homme ahurissant.

Lorsque Decker sortit de l’hôtel, il se précipita vers sa voiture, démarra sans se rendre compte qu’il était suivi par la Peugeot de Kovask. Ce dernier le vit ensuite pénétrer dans l’ambassade, y rester une demi-heure.

La Chrysler de Decker réapparut ensuite avec trois autres personnes à bord. Kovask craignant de se faire remarquer, n’osa l’approcher de trop près, mais lorsque le véhicule roula en direction du nord, il fut certain que Decker regagnait en toute hâte sa propriété de Las Madrés. Pourtant, il le suivit jusqu’au bout, eut un regard insistant pour la colline où se planquait la Mamma depuis la veille, sous un abri de fortune, emmitouflée dans des couvertures chaudes.

Pendant ce temps, Holden suspendait son interrogatoire pour réunir les sénateurs, et leur annoncer brutalement qu’ils étaient tous conviés à une sortie nocturne pour le soir même.

— Je vous demande le plus grand secret, dit-il. Mais si mes renseignements sont bons, je vous promets une très belle surprise pour cette nuit. Ne mettez personne dans la confidence, ni vos secrétaires, ni vos collaborateurs. Vous êtes personnellement responsables du mutisme total sur cette promenade inattendue.

Tous se regardaient avec effarement, mais, connaissant les idées parfois fantasques de leur président, ils jugèrent inutile de poser la moindre question.

CHAPITRE XIII

Vers 22 heures, la garde fut doublée à l’entrée du domaine. Depuis longtemps, tout de suite après la tombée du jour, Kovask et la Mamma étaient descendus de la colline, pour se rapprocher au maximum de Las Madrés. Depuis que Decker était arrivé, il régnait une grande animation dans la propriété, mais jusqu’à présent, aucun véhicule n’en avait franchi le seuil.

— Il faudra neutraliser les gars qui montent la garde, expliquait Kovask à voix basse. De façon que le car puisse pénétrer dans l’allée, et aille jusqu’aux bâtiments là où se font les préparatifs. Je suppose qu’ils vont attendre le creux de la nuit, pour acheminer les armes.

— Et les prisonniers !

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