Georges-Jean Arnaud - Les fossoyeurs de liberté

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Le Chili dans les jours qui suivent le coup de force des militaires alors que la Junte au pouvoir impose sa loi.
Le Commander Serge Kovask accompagne une commission sénatoriale d'enquête américaine comme enquêteur. Il connaît bien le Chili, y est déjà venu. Mais il découvre un Santiago complètement transformé, inquiétant.
Les Américains qu'il y rencontre ont tous plus ou moins trempé dans le renversement du gouvernement légal d'Allende. Certains ont même versé d'importantes sommes aux syndicats patronaux pour affaiblir l'économie locale.
D'où vient cet argent qui suit de mystérieuses filières avant de s'entasser dans les coffres de certaines personnalités ?

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Pour la première fois, le visage bon enfant de Mervin parut se défaire, et une lueur de panique palpita une seconde derrière les verres des lunettes. Il parut réfléchir, puis se redressa, prêt à la lutte :

— Très bien, allons-y. Je ne sais de quoi on m’accuse, mais il me sera facile de prouver que tout cela n’est qu’une monstrueuse erreur. Je ne vous cache pas que les suites pourraient être graves, pour tout le monde.

— Dois-je l’interpréter comme une menace à mon égard ? riposta Kovask sèchement.

Mervin se concentra, puis sourit :

— Non, Commander, pas la moindre menace.

Dix minutes plus tard, il s’installait aux côtés de Kovask dans la Peugeot. Et, tout de suite après, le masque tombait :

— Vous jouez une partie difficile Commander. Si vous croyez m’avoir par ce biais, vous faites erreur. Vous ne pouvez rien prouver contre moi, et vous le savez bien.

Kovask conduisait calmement, sans paraître se soucier des paroles de son compagnon.

— Vous tournez autour de moi depuis votre arrivée, mais vous n’avez rien trouvé. Me prenez-vous pour un enfant de chœur ? Je suppose que vous allez essayer de fouiller mes bureaux ? Je vous le dis à l’avance, peine perdue. Quand certaines personnes apprendront que vous avez usé de ce procédé envers moi, vous le regretterez.

— Donc, je ne me suis pas trompé tout à l’heure. Vous m’avez bien menacé dans l’exercice de mes fonctions. Je vous conseille un peu plus de retenue, Mervin. Vous donnez l’impression d’un rat pris au piège.

— Tout cela découle d’un abus de pouvoir, et je le prouverai. Je suis un citoyen américain libre de ses actes. Mais si on m’accuse de faire ici un travail occulte, ce n’est pas à moi qu’il faut demander des comptes.

Il ricana :

— Vous avez eu tort, Commander. Oh ! je sais que depuis des années vous luttez contre nous. Vous avez déjà eu beaucoup de chance, mais elle ne durera pas, car vous venez de vous attaquer à plus fort que vous. Jamais vous ne pourrez nous abattre.

Kovask s’immobilisa à un feu rouge, désigna la portière :

— Vous pouvez toujours descendre, et refuser de m’accompagner, mais je vous ai prévenu. Du moment que vous acceptez de me suivre, essayez de vous comporter plus dignement.

Mervin dut avoir l’impression de recevoir une gifle, car il se tassa sur son siège, regardant droit devant lui. Jusqu’au San Cristobal, il n’ouvrit plus la bouche.

Lorsqu’ils pénétrèrent dans l’antichambre, Marina se leva machinalement. Deux visiteurs attendaient leur tour, et elle désigna une autre porte.

— Le sénateur vous prie d’attendre quelques instants. Ce ne sera pas long. Il vous demande, si vous désirez déjeuner.

— Inutile, dit Mervin. C’est déjà fait.

— Le sénateur vous informe, que votre audition risquant d’être longue, il serait peut-être plus prudent de vous alimenter.

Surpris, Mervin regarda la jeune femme, puis Kovask. Ils venaient de pénétrer dans un tout petit salon, donnant sur le jardin de l’hôtel.

— Faites-moi apporter un jus d’orange, dans ce cas.

Kovask quitta la pièce, en compagnie de la jeune femme, qui paraissait bouleversée.

— Que se passe-t-il ? C’est bien lui, Michael Mervin ? Le sénateur a l’air d’attendre beaucoup de cette confrontation.

— Moi aussi, dit Kovask. Faites-lui apporter son jus d’orange. Je suppose que le sénateur a annulé ses autres rendez-vous ?

— Il a renvoyé les personnes attendues devant le sénateur Mac Gregor. Je ne comprends plus rien à cette histoire.

Il la suivit du regard, appréciant le gracieux mouvement de ses hanches, et la beauté de ses jambes. Holden vint raccompagner son visiteur, lui adressa un signe interrogatif, auquel Kovask répondit par une inclinaison de tête. Une des deux personnes en attente pénétra dans le bureau du président.

— Donnez-moi ce jus d’orange, dit-il à la jeune femme. Je vais le lui porter moi-même.

— Mais pourquoi ?

— Depuis qu’il a eu sa convocation en main, il ne doit plus communiquer avec qui que ce soit. Sauf moi et le sénateur Holden, évidemment.

Vexée, elle haussa les épaules, et alla s’asseoir derrière son bureau.

CHAPITRE XI

A 13 heures, le sénateur Holden se leva pour traverser la pièce en direction de la porte. Michaël Mervin poussa un soupir de soulagement, et pensa que c’était terminé pour le moment, et qu’il allait pouvoir récupérer. Mais le vieil homme lui demanda ce qu’il désirait manger.

— Pas question de faire un repas gastronomique, fit-il en souriant, mais nous pouvons obtenir de bons sandwiches. Que boirez-vous ?

Pétrifié, Mervin avala difficilement sa salive. Il avait la bouche sèche, car les questions de Holden, aussi nombreuses que variées, l’avaient obligé à parler constamment.

— Vous voulez dire que nous ne sortirons pas de cette pièce ?

— Mon cher, lui dit Holden d’une voix calme, nous n’avons fait qu’effleurer différents problèmes. Maintenant, il est important que nous entrions un peu dans le détail. Alors ? De la bière ? De l’eau minérale ?

— Ce que vous voudrez, lança l’autre, de mauvaise humeur.

— Non, vous êtes mon hôte, et je voudrais que vous vous sentiez à l’aise.

Lorsque Marina se présenta, il lui donna quelques instructions. La jeune femme essaya de voir le visage de son hôte, mais Mervin tournait le dos à la porte, paraissait courbé légèrement en avant.

— Qu’on soigne ces sandwiches. Pas de vulgaire jambon ou pâté. Je vous fais confiance… Ah ! si le Commander téléphonait, branchez directement la ligne sur mon appareil, merci.

Lentement, les pouces dans les poches de son gilet, cigare au bec, il contourna Mervin, alla jeter un coup d’œil à la fenêtre, fit mine de s’asseoir, mais parut s’intéresser au spectacle de la rue. Pourtant, la question fusa, avec une précision de procureur :

— Quelles étaient vos relations avec Juan Palacio, principal artisan de la longue grève des transporteurs ?

Mervin sursauta, comme pris en défaut :

— Mais je vous l’ai dit. Relations professionnelles.

— Ça ne suffit pas. Précisez. Quand vous rencontriez-vous, où, dans quelles circonstances ? N’oubliez pas que vous témoignez sous la foi du serment, et que tous ces renseignements seront vérifiés, tous vos dires inspectés à la loupe.

— Mais je n’ai pas les dates en tête, murmura Mervin. Il me faudrait des notes.

— Où sont-elles ?

— Dans mon bureau.

— A quelle heure reviennent vos employées ?

— Quatorze heures.

— Vous direz à votre secrétaire d’apporter tout cela.

— Je n’ai plus de secrétaire. Elle s’est suicidée, fit Mervin avec nervosité. Vous avez dû le lire dans le journal, puisque vous l’aviez convoquée.

Le sénateur se retourna violemment, et pointa son cigare vers lui.

— Comment le savez-vous ? Le journal n’en parle pas.

— Je sais que les journaux n’en parlent pas, mais je me suis renseigné auprès de la police criminelle chargée de l’enquête. Ce sont eux qui m’ont dit qu’on a retrouvé ce papier près d’elle.

— Qui « on » ? soyez précis.

— Le commissaire Gaetano.

— Un ami ?

— Une relation.

— Etait-il en place avant le putsch ?

— Oui, il l’était.

Mervin comprenait la tactique du vieillard. Chaque fois qu’un détail obscur apparaissait, il sautait dessus avec voracité, et l’obligeait à s’expliquer durant un certain temps. Tous ces petits temps finissaient par faire des heures. Au début, il avait cru que le vieil homme ne tiendrait jamais le coup, mais il était frais, en parfaite condition, n’arrêtait pas de fumer ses gros cigares. Avec un début d’angoisse, Mervin se demanda s’il pourrait supporter de longues heures de ce régime.

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