Georges-Jean Arnaud - Les fossoyeurs de liberté

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Le Chili dans les jours qui suivent le coup de force des militaires alors que la Junte au pouvoir impose sa loi.
Le Commander Serge Kovask accompagne une commission sénatoriale d'enquête américaine comme enquêteur. Il connaît bien le Chili, y est déjà venu. Mais il découvre un Santiago complètement transformé, inquiétant.
Les Américains qu'il y rencontre ont tous plus ou moins trempé dans le renversement du gouvernement légal d'Allende. Certains ont même versé d'importantes sommes aux syndicats patronaux pour affaiblir l'économie locale.
D'où vient cet argent qui suit de mystérieuses filières avant de s'entasser dans les coffres de certaines personnalités ?

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— J’ai rencontré Inès par hasard… Nous avons sympathisé.

— Elle vous fournissait des renseignements sur son mari ? Ainsi, vous pouviez mieux l’avoir à l’œil ? Car Palacio était vraiment la colonne vertébrale de votre action. La grève des transporteurs, il fallait la provoquer, la faire durer le plus longtemps possible, dans un pays tout en longueur, mal équipé en voies ferrées. Je sais que c’est un procédé écœurant, mais peut-être serai-je obligé d’utiliser cette information.

— Vous condamnez Inès à mort. Palacio est un violent, un sournois, qui ne lui pardonnera jamais…

— Je peux m’adresser à elle, dit suavement Holden, lui demander de me fournir des preuves contre vous. Entre un mari puissant, dangereux, riche, et un amant menacé d’inculpation, qui choisira-t-elle ?

— Vous n’êtes qu’un fouille-merde, cria Mervin, un vieux con sadique et obsédé ! Mais méfiez-vous, sénateur, ne me poussez pas à bout. Il pourrait vous arriver un malheur…

La porte s’entrouvrit, et Marina passa sa tête effrayée dans l’ouverture.

D’un geste furieux, le sénateur la renvoya. Il tapa du poing sur la table :

— En voilà assez, Mervin. Ces menaces sont indignes de vous. De même que vos injures.

— Vous n’avez pas le droit de tripoter dans ma vie privée, répliqua l’autre.

— Je ferai ce qu’il me plaira. Inès Palacio peut aider la justice. Que croyez-vous qu’il va se passer, Mervin ? Regardez ce tas de lettres anonymes. Les gens savent que vous êtes ici, et que je vous interroge. Du coup, ils se sentent soulagés, et envoient des lettres anonymes.

Mervin haussa les épaules.

— Oui, je sais. Des lettres anonymes demeurent sans valeur. Mais chacune apporte une petite indication, au milieu de bien des exagérations, et plus le temps passera, plus les gens deviendront audacieux. Je ne désespère donc pas d’avoir bientôt d’autres preuves accablantes contre vous.

— Pour le moment, vous n’avez rien, dit Mervin d’une voix tremblante, car le raisonnement du sénateur l’inquiétait.

Tout son empire pouvait se défaire en quelques jours, et ils seraient nombreux à lui tirer dessus.

— Voulez-vous prendre quelque chose ? demanda Holden, pour que le calme revienne complètement.

— Non, pas pour l’instant.

— Je ne vous cache pas que je vais faire pression sur la Banque Allemande, pour qu’elle me communique tous les bordereaux concernant votre compte. Ils ne pourront me les refuser. Ils vont avoir besoin d’argent, et je peux leur fermer le robinet. Je préfère mettre les choses au point franchement. Vous savez que cette conversation est enregistrée sur plusieurs magnétophones. Je n’en retrancherai rien. Ni mes petites ruses parfois sordides, ni vos insultes.

— Cette banque ne peut trahir son secret professionnel.

— Elle le fera, soyez-en certain. Craignez-vous quelque chose ?

— Simplement au point de vue fiscal, se hâta de dire Mervin. Mais vous connaissez le montant de mes débits et crédits à cette banque. Deux millions de dollars. Croyez-vous que ce soit suffisant, pour saboter, comme vous m’en accusez, l’économie d’un pays comme le Chili ?

— Ne me prenez pas pour un naïf, répondit le sénateur. Outre l’argent, il y a tout le reste, les contrats que vous pouviez faire obtenir, les renseignements que vous pouviez fournir, pour réaliser de bonnes affaires, des coups de bourse, des spéculations. En fait, je vous accuse d’avoir gangrené une foule de gens par des moyens différents, les obligeant à se sentir vos débiteurs.

Mervin eut un sourire amusé, pour la première fois depuis la veille.

— Dites qu’à moi tout seul, j’ai renversé Allende. Il fallait quand même autre chose que de l’argent et quelques prébendes. Notamment des armes, et des hommes décidés.

Le sénateur comprit à temps que c’était un piège auquel il aurait pu se laisser prendre. Mervin reprenait l’offensive, et essayait de savoir s’il en savait beaucoup plus.

— D’autres ont dû s’en charger, se contenta-t-il de dire, et ceux-là, je finirai par les trouver. Au cours de la semaine prochaine, très certainement.

Il constata que Mervin paraissait soulagé. Fouillant dans ses papiers, il en sortit une fiche :

— Tous les mois, vous faites un voyage à Washington. Voilà qui est tout de même curieux. Vous travaillez pour des villes comme San Francisco, Vancouver, Anchorage, Seattle, Los Angeles, toutes situées sur la côte Ouest, pour éviter le canal de Panama, et vous ne vous y rendez que très rarement. Vous leur préférez Washington ? On s’y ennuie beaucoup, si vous voulez mon avis personnel.

— Je rencontrais des gens intéressants dans la capitale.

— Des appuis ?

— Si vous voulez.

— Des élus ? Des fonctionnaires, des membres du gouvernement ?

— Parfois oui, mais toujours pour des affaires saines et légales.

— Pouvez-vous me donner des noms ?

— Non, je refuse. Je ne tiens pas à ce que vous ennuyiez des gens qui m’ont rendu service.

— Je note votre refus, dit le sénateur, mais rien que cela m’autorise à vous faire inculper officiellement. Demain, des agents du F.B.I. peuvent être ici pour vous prendre en charge.

— Tant pis, dit Mervin têtu. Ces gens-là n’ont pas commis de délits.

— Alliez-vous à Langley quelquefois ?

— Qu’y serais-je allé faire ?

— Oui ou non ?

— Non.

— Vous mentez, dit Holden. Cette nuit, j’ai téléphoné à Washington, et j’ai eu la preuve du contraire.

Mervin soupira :

— Vous savez bien, que tôt ou tard, un Américain vivant à l’étranger, est contacté par la C.I.A. ? Parfois, simplement pour un détail, pour expliquer les raisons de son voyage.

— On peut refuser de comparaître, à moins que la demande ne passe par un magistrat.

— Eh bien ! disons que je suis un bon citoyen, et que je n’ai pas jugé utile d’exiger la voie légale !

— Tiens donc, s’irrita faussement Holden. Vous faites des manières pour comparaître devant moi, et vous n’avez rien à refuser à la C.I.A. ?

— Je n’ai pas fait de difficultés, puisque je suis ici.

— Je peux vous repasser la bande enregistrée hier matin. Vous protestiez assez vivement.

— La C.I.A. ne m’a jamais retenu aussi longtemps.

— Vous savez que vous êtes libre de partir, mais vous savez également que je peux vous faire expulser. Parlez-moi de ces rencontres avec des gens de la C.I.A. Donnez-moi des noms ?

— Je ne m’en souviens plus, et, chaque fois, je rencontrais quelqu’un de différent.

— Un spécialiste de l’Amérique du Sud ?

— Je suppose.

— N’en êtes-vous pas un vous-même ? A quelle époque avez-vous fait un stage au Southern Command ?

— C’est faux. Je n’ai jamais fait de stage là-bas.

— Attention, vous témoignez sous serment. Ne l’oubliez pas.

Mervin prit son mouchoir, et s’essuya le visage.

— A propos, dit Holden, vous donnerez une liste des affaires dont vous avez besoin à ma secrétaire. Linge de rechange, rasoir, etc.

— Mais vous m’avez promis que demain…

— Vous ne serez pas autorisé à quitter votre chambre.

— Ne me poussez pas à bout, sénateur. Je peux refuser de répondre, et entreprendre une grève de la faim.

— D’accord. Un avion sanitaire de la Navy vous prendra en charge. Vous serez bien soigné.

Mais je vous le déconseille. Je suis un acharné, et jamais je n’abandonne une tâche que mes collègues sénateurs m’on confiée par un vote de confiance. Ne l’oubliez jamais. Nous allons faire une pause, pour prendre quelque chose. Alors, pas de café ?

— Je préfère une eau minérale.

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