Pourtant, il se glissa contre les rochers, s’efforçant de ne faire aucun bruit. Il dépassa la villa, découvrit un petit sentier qui descendait vers la mer, ralentit lorsqu’il entendit des voix. Les portes-fenêtres donnant sur la terrasse étaient largement ouvertes.
— Voilà les micros en place, dit la voix de Francis Grant. Ne vous inquiétez pas du magnéto.
— Il ne se rendra compte de rien ?
— Non. Je vais rentrer à Londres cette nuit. Tâchez de faire de la bonne besogne. Ce garçon me semble tout indiqué pour le poste de New York.
Quelques minutes plus tard, la voiture s’éloignait sur le chemin de Sikh conduisant au village. Kovask patienta encore un peu, attendit qu’une lumière s’allume dans une autre pièce, une chambre certainement, avant de s’éloigner.
Le rendez-vous avait été prémédité et Francis Grant espérait faire de lui son agent aux U.S.A. Ainsi, il ne s’était nullement trompé. Le publiciste dirigeait le réseau et, pendant quinze ans, avait réussi à duper Thomas Hacksten. Lorsque ce dernier s’était douté de quelque chose, il l’avait habilement aiguillé vers Rome où Alberti s’était débarrassé de lui.
Il revint jusqu’à la Consul, évita d’emballer le moteur et quitta la plage. Une heure plus tard, il dormait dans la chambre vieillotte de l’hôtel de Dorchester.
Le lendemain matin, lorsqu’il klaxonna devant la villa de la jeune femme, celle-ci surgit sur le terrasse en short noir et brassière à rayures.
— Hello ; bon voyage ?
Il admira ses longues jambes bronzées, attarda son regard sur la bande de chair nue où le nombril creusait une ombre agréable.
— Excellent. Je ne suis qu’affamé.
— Venez, je vous ai attendu pour le breakfast. Mais, allez quitter ces vêtements de ville. Je vais vous montrer votre chambre. La salle de bains est à côté.
— Vous possédez une villa sensationnelle, dit-il. J’ai l’impression que la T.A.S.A. ne lésine guère sur les salaires.
Elle hocha la tête d’un air peu convaincu.
— J’ai d’autres revenus, mais nous parlerons de cela plus tard.
Dans la chambre ouvrant largement sur la mer, il ne lui fallut qu’une minute pour repérer le micro à la tête du lit. On espérait donc qu’il parlerait et comme, pour ce faire, il faut être deux, il présumait de la conquête aisée de la jeune femme.
Quand il revint avec seulement un boxer short et une chemise ouverte sur son torse, Moira laissa glisser son regard sur ses pectoraux comme une caresse.
— Œufs au jambon, marmelade et café ? C’est sensationnel, dit-il en se mettant à table.
Celle-ci était étroite et comme la jeune femme était en face de lui leurs genoux se touchèrent à plusieurs reprises.
— Voulez-vous que nous fassions du bateau, avant de nous baigner ?
— Les deux, dit-il en engloutissant ses œufs. Elle admirait ostensiblement. La grande scène de séduction.
— Je vais regretter de rentrer aux U.S.A., maintenant que je vous connais, dit-il. Ce serait bon de vivre ici une bonne partie de l’année à ne rien faire.
Elle baissa les yeux comme si elle s’intéressait à la cigarette qui fumait entre ses doigts.
— Il faudrait quand même pas mal d’argent. Il soupira :
— Hélas oui ! Je ne me plains pas de la chance d’entrer dans la T.A.S.A., dit-il. J’ai eu des débuts assez durs. Par chance, mon père était un ami de lord Simons. Je vais pouvoir repartir d’un bon pied.
— Quel âge avez-vous ?
— Trente-cinq. Un peu rassis pour trouver facilement un emploi convenable.
— Combien allez-vous gagner à New York ? Il se versa une autre tasse de café.
— Au moins six cents dollars pour commencer. Par la suite, j’espère que je pourrai atteindre sept ou huit cents.
Moira souriait avec l’indulgence d’une mère écoutant son enfant faire des projets.
— Je vous fais rire ?
— Vous me paraissez assez naïf, non ? La vie est très chère à New York. Croyez-vous que vous pourrez mener la grande vie ?
Jouant le jeu, il prit un air assez confus.
— Oui, évidemment… Fréquenter des filles comme vous me sera impossible, et pour cause.
— Venez, nous allons mettre le bateau à l’eau. Oubliez tout ça, pour le moment.
Il l’embrassa un peu plus tard, alors qu’il venait de remonter le dinghy sur la remorque, et le halait vers le garage sous la terrasse. Il s’arrêta pour souffler un peu.
— D’ordinaire, dit-elle, j’appelle deux pêcheurs pour m’aider et vous, vous y arrivez seul. Vous êtes rudement costaud.
Elle s’approcha de lui pour essuyer sa transpiration avec un linge de bain. Il la prit par la taille, l’attira. Tout de suite, elle répondit à son baiser.
— Il fallait en finir là, murmura-t-elle ensuite, vous me plaisez beaucoup.
Alors qu’il se changeait dans sa chambre elle entra toujours vêtue de son deux-pièces. Sans un mot elle dégrafa le haut, lui jeta un regard en coin, se dégagea du slip avec un déhanchement habile de strip-teaseuse. Il s’approcha d’elle, l’entraîna vers le lit.
Un peu plus tard, elle lui caressait la poitrine tout en bavardant avec lui.
— Je vais souvent à New York, dit-elle. Nous nous rencontrerons plusieurs fois par an.
— J’aimerais avoir une telle maison pour te recevoir.
La jeune femme s’allongea sur le ventre, le visage dans le traversin. Il avait une vue agréable sur son dos et ses fesses.
— Tu es veuve, divorcée ?
— Non. Je ne me suis jamais mariée, dit-elle. Je n’en ai jamais eu envie. J’ai de l’argent, je peux choisir… mon partenaire, quand cela me plaît.
Il sourit.
— Très agréable en effet. Mais tout cet argent te vient de ta famille ?
Elle s’accouda, plongea ses yeux dans les siens.
— Je suis née pauvre comme Job. Kovask fronça le sourcil :
— Veux-tu dire ? … Moira s’esclaffa :
— Que vas-tu t’imaginer ? Je gagne mon argent avec mon cerveau et non avec mon corps.
— Tu devrais me donner la recette, dit-il en plaisantant.
Puis il ferma les yeux, sentant qu’elle l’observait avec attention. N’était-il pas allé trop vite en besogne ? Elle se leva et fit quelques pas dans la chambre. Jamais on n’aurait donné quarante ans à son corps, ni à son visage si une certaine dureté, due à ses activités occultes, ne l’avait marquée.
— La recette est bien simple. Je trouve les éléments dans mon métier. As-tu jamais réfléchi à ce qu’est une école par correspondance comme la T.A.S.A. ?
Kovask pensa qu’ils y étaient enfin. Maintenant plus que jamais tout devait se passer naturellement.
— Oui, bien sûr…
— Non, à ton air tu n’as pas encore compris. Des milliers de gens sont contactés, des spécialistes de toutes sortes. Tiens, regarde un des prospectus et que lis-tu : Énergie nucléaire, électronique, automation, chimie et pétrochimie, constructions métalliques, béton armé, mécanique générale et aussi mécanique auto, aviation, marine, froid…
Il se souleva sur ses coudes.
— Tu le connais par cœur.
— Dix mille, cent mille, un million d’élèves. Oui, dans le fichier, il y a plus d’un million d’élèves, et tous dépendent de la T.A.S.A. Des types intelligents, comme des imbéciles, des cupides et des honnêtes, des illuminés et des méticuleux.
S’approchant, elle se mit à genoux auprès du lit, le fixa dans les yeux.
— Voilà de quoi je tire la meilleure partie de mes revenus.
Il lui caressa la joue.
— Je ne comprends pas bien. Tu fais quelque chose en marge de la T.A.S.A.
— Bien sûr. Pourquoi pas ?
— C’est dangereux ? Elle s’esclaffa.
— Tu as peur ?
Soudain, il se redressa, le visage mauvais.
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