Kovask songeait qu’il n’avait plus qu’à reprendre l’avion pour Londres et démarrer à zéro, une fois dans la capitale britannique. Il ne pouvait attendre qu’Alberti accepte de parler. Il pouvait tenir quarante-huit heures. Kovask avait déjà eu affaire à ce genre d’homme et il était capable de donner du fil à retordre à l’équipe du capitaine de vaisseau Ucello.
— Regardez, dit de Megli en lui tendant une enveloppe adressée poste restante et oblitérée à Londres.
— Il a pu la recevoir aujourd’hui. Elle se trouvait dans la corbeille à papier. Pas moyen de mettre la main sur la lettre évidemment, mais cela fortifie votre théorie.
Il en aurait fallu davantage pour satisfaire Kovask.
À son arrivée à Londres, Serge Kovask s’était rendu à l’ambassade américaine et y avait rencontré l’attaché naval, le commodore Mc Laglen. Ce dernier avait fait des recherches dans le fichier de l’ambassade et avait été le premier surpris d’y trouver quelques notes au sujet de la Technical and Scientific Academy.
— Vous avez eu le nez fin, lieutenant. Lisez ceci.
La fameuse école par correspondance avait l’intention d’établir un siège à New York et avait eu, à ce sujet, des contacts avec l’ambassade.
— Ils ont maintenant une équipe sur place, dit Mc Laglen en faisant courir son doigt sur la dernière ligne. C’est donc qu’ils ont surmonté toutes les difficultés.
Kovask restait encore sous le coup de la révélation. Il était venu à l’ambassade avec simplement l’intention de se faire introduire auprès du directeur général de la T.A.S.A.
— Vous comprenez que, dans ces conditions, ils n’ont rien à nous refuser, poursuivait le Commodore. Que leur voulez-vous à ces gens ? Vous êtes en mission spéciale, hein ?
En quelques mots et sans lui dévoiler grand-chose, Kovask le contenta.
— Bigre ! Je vous recommande la prudence. Savez-vous qui est le directeur général de cette école ? Lord Simons. Quelqu’un de très connu à Londres. Très autoritaire.
Kovask consultait toujours la fiche.
— Il n’y a pas moyen de savoir comment les contacts ont été pris avec l’ambassade ? Je ne vois aucune référence là-dessus.
Mc Laglen sourit.
— La date suffit pour cela. Un instant s’il vous plaît.
Son absence dura cinq minutes et il revint avec un nom sur une feuille de papier.
— Thomas Hacksten, secrétaire général. Il nous a fait plusieurs visites en mars et avril. Croyez-vous que cela vous sera utile ?
— Très certainement, dit Kovask. Je vous rappellerai donc pour savoir l’heure de mon rendez-vous avec lord Simons ?
— Demain, j’espère. Il ne peut nous refuser cela, après toutes les facilités que nous lui avons apportées.
Facilités, pensait Kovask, qui permettaient à la plus formidable entreprise de subversion et d’espionnage de pénétrer sur le territoire des States. Ce projet d’installation à New York pouvait avoir été conçu dans la plus grande honnêteté, mais quelqu’un avait tout de suite vu l’intérêt qu’il présentait.
Dans le taxi, il jeta un coup d’œil sur le nom de l’homme ayant eu des contacts avec l’ambassade. Il tressaillit. Thomas Hackslen. Les initiales T.H. Les mêmes que sur le briquet trouvé dans la cave d’Alberti. Il sortit l’objet de sa poche et l’examina une nouvelle fois. Il l’avait démonté, n’avait pu en tirer le moindre renseignement.
Le rendez-vous avec lord Simons eut lieu le lendemain matin à onze heures, au premier étage de l’énorme bâtisse qui abritait tous les services de la T.A.S.A. dans Oxford Street.
Le bureau du président directeur général avait des dimensions énormes. Il foula de ses pieds un authentique Persan qui couvrait tout le parquet. Derrière une table de travail aux pieds massifs et sculptés, un homme se leva doucement.
— Vous êtes à l’heure, mister Kovask. Je vous en remercie.
Puis il se donna une claque sur sa cuisse droite avant de s’asseoir. L’Américain avait compris, avant qu’il ne lui fournisse une explication.
— Blessure de guerre. Celle de 14–18 évidemment. J’ai été amputé et je porte une jambe artificielle.
— Prenez un siège.
Il poussa vers son visiteur sa boîte de cigares dignes de contenter Churchill lui-même.
— Je vous écoute.
Depuis son réveil, Kovask avait retourné la question sur toutes ses faces, et ce n’est que dans le taxi qu’il avait pris la décision de jouer franc jeu, selon une habitude qui lui était chère et qui ne lui avait donné que de bons résultats.
— Mon histoire risque de vous paraître un peu longue et surtout incroyable. Je vous demande de ne pas me prendre pour un fantaisiste et de me croire sur parole.
— Allez-y.
Kovask commença avec Ugo Montale et termina sur l’arrestation d’Alberti, après avoir passé rapidement sur les différents détails. Lord Simons, imperturbable, l’écoutait, les yeux dans yeux, très droit dans son fauteuil de travail, les mains à plat sur son bureau. Quand l’Américain se tut, il s’écoula une bonne minute de silence feutré dans la grande pièce où ne pénétrait aucun bruit extérieur.
— Si je vous ai bien compris, dit lord Simons, un réseau parfaitement organisé se sert de mon école pour glaner des renseignements dans l’Europe entière, organiser des attentats et des sabotages ? Et maintenant que nous comptons nous installer en Amérique, nous allons exporter cette monstruosité dans votre pays ?
Le lieutenant commander inclina la tête. Il avait décelé dans la voix du président directeur général une immenses émotion. Le vieillard ouvrit un tiroir, en sortit un livre relié de peau noire.
— Ceci est l’histoire de cette école. Des extraits figurent dans nos brochures de propagande. Cette maison a été fondée par mon grand-père, il y a soixante-dix-huit ans. Au début, c’était une institution destinée à donner un enseignement sérieux aux malades, aux paralysés qui ne pouvaient fréquenter normalement une école. Mon père, quand il prit la succession, comprit l’importance qu’allait avoir l’enseignement technique et scientifique et orienta la maison dans ce sens. En Angleterre, nous sommes une institution aussi connue qu’Oxford ou Cambridge, pour vous donner un aperçu de notre standing, comme s’expriment les gens d’aujourd’hui.
Il tira doucement sur son cigare.
— Je suis disposé à faire le maximum pour extirper le démon et le faire pendre. Quels sont vos projets ?
— Tout d’abord je voudrais vous poser quelques questions. Depuis quand avez-vous des filiales à l’étranger ?
— Paris, 1948, Rome, 1950.
— Donc tout de suite après la guerre ?
— Oui. L’idée n’est d’ailleurs pas de moi. Avec le développement des affaires, j’ai constitué un bureau d’études du marché, et c’est sur le conseil de ce dernier que j’ai accepté ces filiales. Kovask n’hésita plus.
— Est-ce que Thomas Hacksten fait partie de ce bureau d’études ?
Lord Simons leva un de ses sourcils blancs. Ses cheveux l’étaient également, ce qui donnait beaucoup de pittoresque à son visage rose.
— Vous le connaissez ? C’est le chef de ce bureau d’études. Il est aussi secrétaire général de la société.
La gorge de Kovask se sécha. Il avait peur que tout aille beaucoup trop vite maintenant.
— Est-il à Londres, en ce moment ?
— Non. Le pauvre garçon, il n’est d’ailleurs pas très jeune, puisqu’il a cinquante-deux ans, me paraissait très déprimé ces derniers temps. Je lui ai ordonné de partir durant un mois. Je crois qu’il se trouve en Italie. J’ai eu une carte, voici huit jours, je crois.
Читать дальше