— Tu me montes un traquenard hein ? C’est le vieux lord qui t’a demandé de m’interviewer ?
— Tu es fou ?
Il continua la comédie.
— Pas tellement. Lord Simons ne paraît pas m’accorder toute sa confiance. Et il a très bien pu te payer, pour voir ce que j’avais dans le ventre.
Moira se coula contre lui, le repoussa contre le lit, cherchant le contact le plus intime.
— Idiot, va, idiot chéri !
Elle l’embrassa longuement, allongée sur lui.
— Tu veux que je continue ?
— Si ce n’est pas un piège, oui. J’espère que je ne vais pas y perdre ma situation.
— Si, au lieu de trois cents dollars, tu en touchais mille, dès le premier mois de ton installation à New York, puis quinze cents ?
La jeune femme le sentit tressaillir. Elle sourit.
— C’est une somme n’est-ce pas ?
— Qui faut-il tuer pour les avoir ?
Elle fit semblant de rire et d’apprécier son humour, mais il devinait une certaine impatience. Elle avait certainement hâte de lui arracher son accord. Peut-être à cause du micro qui enregistrait leur conversation. Il ne devait pas y en avoir sur la terrasse.
— Tu surveilleras les dossiers des élèves, tu relèveras le nom de ceux qui seraient susceptibles de te communiquer par la suite des renseignements professionnels.
— C’est de l’espionnage, ça ?
Son sourire l’abandonna et elle se releva.
— Il s’agit de documentation économique. Tous les pays de l’Europe ou du nouveau monde payent très cher pour connaître, par exemple, un nouveau mode de soudure ou la résistance des métaux dans des conditions données.
— Tu revends ces renseignements à qui ? Aux Russes ?
Elle haussa les épaules.
— Tu me crois folle ? Aux industriels, aux grosses sociétés.
— Et si tu te fais pincer ?
— Lord Simons me fichera dehors, mais je conserverai la liste des élèves en question.
Sans aucune gêne pour sa nudité, elle alla chercher un paquet de cigarettes.
— D’ailleurs, je ne travaille pas seule. Ce serait impossible. Si tu le veux je te ferai connaître mon ami et il te remettra une petite avance. Quatre cents livres peut-être.
Kovask enfila son short.
— C’est très intéressant, dit-il. Peux-tu m’indiquer exactement de quoi il s’agit ? Ça doit donner beaucoup de travail.
— Non, si tu t’organises… Mais, nous continuerons à table. Ça ne te tait rien de manger dans la salle de séjour ? Sur la terrasse, on cuit littéralement.
— Rien du tout, dit-il en souriant.
Il pensait au micro caché derrière le tableau.
Dans l’après-midi, Moira le quitta pour se rendre au village.
— Je vais faire quelques courses. J’aime autant qu’on ne te voie pas avec moi, dit-elle. Les gens ont tellement mauvaise langue, dans ce petit bourg.
Il profita de son absence pour chercher le magnétophone et le découvrit dans un placard de la dernière chambre. C’était un modèle spécial enregistrant dans les deux sens, avec changement automatique de pistes, permettant un enregistrement de longue durée. Comme il ne tournait pas, Kovask chercha le mode de commutation, en pensant qu’elle devait se faire au moyen des fils des micros. Il le découvrit dans la chambre de Moira. Dans l’esprit de la jeune femme, et surtout dans celui de Francis Grant, cet enregistrement était destiné à le faire chanter si, par la suite, il ruait dans les brancards, une fois installé à New York. Il révélerait son accord complet avec le couple.
Après cette découverte il alla s’installer sur la terrasse.
L’après-midi était bien avancé. Sur la petite plage une vingtaine de personnes se prélassaient. Deux voiliers tiraient des bordées au large. Il pensa que Moira était allée téléphoner à Francis Gant, préférant la cabine du village à l’appareil de la villa.
Jusqu’à présent, tout paraissait normal, mais il regrettait de ne posséder aucune arme. À la suite du coup de fil de la jeune femme, Grant viendrait à Abbotsburry, certainement le lendemain dimanche, pour les derniers tests. Ils étaient très habiles, présentaient la chose comme une sorte de plaisanterie pouvant également rapporter beaucoup d’argent. Combien s’étaient laissés séduire, mettant un doigt dans l’engrenage puis se trouvant au bout de quelques mois dans l’obligation d’aller plus loin, jusqu’au sabotage, au meurtre.
La M. G. Midget de Moira dévalait le chemin de Sikh et la jeune femme agita le bras de loin. Pour se rendre au village, elle avait mis un short bermudien descendant aux genoux, et Kovask qui n’avait jamais bien aimé ce genre de vêtement, très en faveur également au U.S.A., reconnut qu’il lui allait à merveille.
— J’en ai profité pour téléphoner à mon ami, dit-elle après lui avoir narré ce qu’elle avait fait. Tu es toujours d’accord pour le rencontrer ?
— Bien sûr, mais tu aurais pu l’appeler d’ici. Sans se troubler, les yeux innocents, elle répondit immédiatement :
— Il est parfois difficile d’obtenir une communication lointaine d’ici. J’ai profité de l’occasion.
— Et tu crois qu’il aura sur lui… Elle se mit à rire :
— L’argent ? Bien sûr. Ne t’inquiète pas.
— Je le connais ?
Le visage de la jeune femme se ferma.
— Tu verras bien. Ne me demande rien. Il sera là demain matin.
Moira partagea son lit, cette nuit-là, et ils venaient à peine de se lever lorsque la Jaguar métallisée de Francis Grant apparut dans le chemin.
Kovask joua la surprise.
— Mais cette voiture, c’est celle…
— De Grant. Tu as deviné.
Interloqué, il la fixa tandis qu’elle éclatait de rire.
— Mais vous aviez l’air de vous détester.
— Une simple apparence. Il faut toujours être prudent dans des maisons qui emploient un personnel aussi nombreux.
Vêtu, comme à la ville d’un complet sombre, Francis Grant escaladait les marches conduisant à la terrasse. Il avait un petit sourire au coin des lèvres.
— Bonjour, Moira, bonjour, Kovask. Alors ce week-end ?
— Epatant ! reconnut Kovask. Mais, je ne m’attendais pas à vous voir paraître ici.
Grant sortit un mouchoir et s’épongea le front. Il fit un signe discret à la jeune femme que celle-ci interpréta. Sous prétexte de se rendre à la cuisine, elle pénétra dans la villa.
— Quelle chaleur ! Je la crains énormément. Vous étiez en train de déjeuner ? Continuez, mon vieux.
Moira revenait et ; Kovask comprit qu’elle venait de commuter le magnétophone lorsque Grant se plaignit à nouveau de la chaleur.
— Cette terrasse est un véritable four solaire, ma chère.
— Voulez-vous que nous entrions dans la salle de séjour ?
— Je ne veux pas vous obliger à quitter le soleil.
Protestations amicales, déménagement rapide du plateau du déjeuner. Ils se retrouvèrent tous les trois dans la salle. Kovask pouvait voir le tableau, une reproduction de Van Gogh, pendu en face de lui. Le publiciste avala plusieurs tasses de café avec deux biscottes. Il devait surveiller son embonpoint.
Moira vous a mis au courant ?
Kovask inclina la tête.
— Vous acceptez de faire partie de notre groupe ? Vous n’ignorez pas qu’il est en marge de la T.A.S.A.
— J’accepte.
— Pour quelles raisons ?
Les questions étaient judicieuses. L’enregistrement devait être le plus accablant possible.
— Parce que j’ai besoin d’argent. Il paraît que j’en toucherai beaucoup.
Grant sortit une enveloppe de sa poche.
— Voici déjà un acompte, Kovask. Cette enveloppe contient quatre cents livres. Vous pouvez vérifier.
— Oh ! j’ai confiance.
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