Un joueur lança une boule qui vint prendre la place d’une autre près du but, projetant la précédente à quelques mètres. Il y eut des acclamations, des applaudissements et l’auteur d’un tel exploit, un gros Italien en bras de chemise, se pavana un peu.
— Intéressant, non, fit l’inconnu aux cheveux si blonds qu’ils en étaient blancs. Le regard lui-même était très décoloré.
— Oui, pas mal, dit sèchement Score.
— Je ne vous ai pas rencontré un jour ? continua Kovask d’un ton tranquille. Il me semble vous reconnaître.
— Possible, dit Score en faisant quelques pas pour s’éloigner mais l’autre se cramponnait.
— J’y suis, à Santa Monica… La clinique…
En même temps il avait fait claquer ses doigts. Score tourna vivement la tête vers lui et l’examina. Un « donneur » lui aussi ? Ou un infirmier.
— Il m’arrive d’aller dans les cliniques en effet.
— Pour votre métier ?
— Pour mon métier, dit Score pour en finir.
— Monsieur Score, dit doucement Kovask, je voudrais avoir une petite conversation avec vous. C’est pourquoi j’ai été heureux que vous quittiez votre domicile. Nous n’aurions pas pu discuter ainsi devant votre femme, n’est-ce pas ?
Stewe le regarda avec une telle expression qu’il crut à l’imminence d’une bagarre.
— Du calme, mon vieux. Je ne vous veux aucun mal. Juste discuter un peu et nous nous séparerons.
— Foutez-moi la paix ! Vous voulez me faire chanter ? Vous tombez mal. Je suis prêt à courir le risque que ma femme apprenne tout. J’en ai ras le bol.
— C’est ce que vous avez dit à Petrus Lindson ce matin ?
Stewe en resta la bouche ouverte, le regard flou. Comme s’il venait de recevoir un coup.
— Venez, dit Kovask. On sera plus tranquille là-bas.
Il y avait une table avec des chaises. Score se laissa entraîner par le bras.
— Je veux que vous soyez certain d’une chose, monsieur Score. Je fais une enquête officieuse sur Petrus Lindson. Je cherche à savoir quel genre d’individu il est.
Ils s’assirent, posèrent leur chope sur la table. Stewe était encore sous le choc. L’inconnu savait beaucoup de choses sur lui. Le Noir lui avait aussi parlé d’une vieille femme ressemblant à une Métisse ? Combien étaient-ils en train de fouiner dans la vie de Petrus Lindson et dans la sienne ?
— Petrus a mauvaise réputation, continua Kovask. Lors des événements de Watts en 65 il poussait les autres à la révolte, les dirigeait vers les boutiques à piller. Il raflait l’argent puis faisait mettre le feu.
— Ils n’avaient pas besoin de meneur, répondit Score. Vous croyez que c’est une vie pour eux ?
— Non, vous avez raison. La révolte était justifiée. Mais Petrus s’en moquait bien du sort de ses compatriotes. Maintenant il est tout à la fois maquereau et maître chanteur. Il vous fait chanter n’est-ce pas ?
Stewe regarda la mousse au fond de son verre. Il n’avait pas l’intention de répondre.
— Aidez-moi, monsieur Score. Je peux vous débarrasser de lui.
— Montrez-moi votre carte de flic.
— Je n’appartiens pas à la police. Ni au F.B.I.
— Alors que cherchez-vous ? C’est illégal ce que vous faites.
— Ecoutez, Score. Une seule question, lui donnez-vous de l’argent ?
Tout de suite Score comprit qu’il pouvait s’en tirer en répondant oui. L’homme ne chercherait pas plus loin.
— Et si je vous réponds que oui ?
— Je vous remercie. Nous buvons un verre et je vous laisse car c’est votre affaire. Mais je me permettrai de vous conseiller d’aller trouver la police. En leur demandant la discrétion vous pouvez faire arrêter Petrus Lindson sans que votre femme, vos voisins apprennent comment vous gagnez de l’argent.
— Alors, dit Score avec le maximum de persuasion, allez chercher deux autres demis.
Il supporta le regard de Kovask. Ce dernier emporta les chopes, les ramena pleines.
— Je vous remercie. Votre situation ne me regarde pas. Je cherche autre chose. De beaucoup plus grave et de beaucoup plus compliqué certainement. Je peux vous poser une autre question ?
— Puisque vous y êtes, dit Score en essuyant la mousse du dos de sa main.
— Connaissez-vous Diana Jellis ?
— La révolutionnaire noire ? Je l’ai vue à la télé et j’ai lu plusieurs articles sur elle.
— Vous ne la connaissez pas personnellement ?
— Pas du tout.
Score était sincère et il ne comprenait pas le sens de cette question. Kovask eut la certitude qu’il avait répondu plus franchement à cette deuxième question qu’à la première.
— Vous êtes de ses amis ou de ses ennemis ? dit Stewe.
Kovask prit le temps de réfléchir :
— Ni l’un ni l’autre. Mais Petrus Lindson s’intéresse à cette fille. Les gens pour lesquels je travaille voudraient savoir pourquoi.
— Le gouvernement ?
— Non, mais mon patron est un homme estimable. Je vous demande de ne rien dire de tout ceci.
— Je ne parle jamais de politique, dit Score. Mais je vous jure que je n’ai jamais rencontré Diana Jellis. C’est une très jolie fille d’ailleurs mais elle m’impressionnerait. Je suis un peu vieux jeu vous comprenez et ce genre de femmes si engagées dans les luttes politiques et sociales me font un peu peur. C’est peut-être stupide car je crois que dans l’avenir les femmes prendront de plus en plus d’importance. Et pas seulement les horribles « Moms » de la société actuelle, ces veuves abusives couvertes de dollars et d’honneur…
Kovask souriait. Il but sa bière et se leva :
— Toutes mes excuses, monsieur Score, et sachez que pour ma part je serai d’une discrétion absolue. Mais vous devriez en finir avec Petrus. Il vous pique beaucoup d’argent ?
— Oui, encore assez, dit Score gêné, encore assez.
Kovask lui serra la main et regagna sa voiture. Il était certain que Stewe Score ne lui avait pas dit toute la vérité.
* * *
Bien que sa fièvre soit un peu tombée, Billie Ganaway se trouvait dans un état très dépressif. La raclée que lui avait administrée Petrus la veille n’avait rien arrangé. Elle avait très mal à la tête et souffrait d’une humiliation rentrée. Ella était venue la voir. Petrus lui avait rendu visite mais elle avait été très discrète à ce sujet. Billie avait cependant remarqué que le menton de sa sœur était enflé. Il avait dû s’en prendre également à elle.
Elle dormait depuis une heure lorsque la certitude que quelqu’un la fixait lui fit ouvrir les yeux. Tout d’abord elle ne fut pas effrayée par cette vieille femme aux cheveux blancs, au visage lourd et olivâtre. Puis elle découvrit le cabas et eut l’impression de faire un mauvais cauchemar.
La Mamma se rendit compte qu’elle effrayait la jeune femme et donna beaucoup de chaleur à son sourire :
— Je suis entrée puisque la porte était ouverte. Ce n’est guère prudent. Je n’ai pas voulu vous réveiller. Voulez-vous que je vous prépare quelque chose ? Un peu de café ? Mon nom est Cesca Pepini. Mais qu’avez-vous ? Je vous fais peur ?
Billie essaya de secouer sa tête mais elle était trop douloureuse encore.
— Je suis déjà venue mais je n’ai rencontré que votre voisine. Charmante d’ailleurs. Je vais faire un peu de café, ça vous fera du bien.
Seule Billie n’eut pas le courage de se lever, de s’habiller pour s’enfuir. Cette vieille femme était là, telle que la lui avait décrite Marina. Et quand Petrus l’apprendrait ! Sa sœur lui avait quand même dit qu’il avait repris les lettres avant qu’elle ait pu les porter au solicitor. Elles n’avaient plus rien pour les garantir.
La Mamma revint avec un plateau.
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