— Mais de cette ville.
— Vraiment ?
Il tira sur le cigarillo jusqu’à ce que le point rouge éclate et d’un coup le posa à l’intérieur tendre des cuisses. Billie fit un saut de carpe, tétanisée, formant un arc de tout son corps mais sans laisser échapper un cri.
— Brave Billie, pauvre Billie qui souffre en silence à cause de vous.
— J’habite New York en général, dit la Mamma incapable de supporter ce spectacle. Mais je suis en vacances sur la côte. J’ai connu Billie à la boîte où elle travaille. C’est tout.
— Vraiment, Billie ?
Celle-ci secoua la tête.
— Vous voyez, madame Pepini ? A cause de ce dernier mensonge je vais la brûler plus haut.
— Non ! crie la Mamma. C’est exact que je venais l’interroger. Je voulais des renseignements sur vous. On me paye pour cela.
— Qui vous paye ?
Elle eut une inspiration :
— Une compagnie d’assurances. Un pool de compagnie plutôt. Celles qui ont payé les dégâts en 1965. Ces gens-là savent que vous avez de l’argent et voudraient prouver que vous étiez l’un des instigateurs des incendies et pillages.
Petrus fut sur le point d’être convaincu. Il la regardait, le cigarillo pendant de ses lèvres, perplexe. Puis il prit une expression rusée.
— Qui dit que j’ai de l’argent ? Comment sait-on que j’en ai ?
— Je l’ignore.
Il enfonça le cigarillo entre les cuisses rondes, tout en haut. Billie ne put retenir un gémissement mais se mordit violemment pour ne pas hurler. Le faire serait exciter encore plus Petrus elle le savait. Le rendre fou furieux.
— Attendez, dit la Mamma. Si je vous dis la vérité la laisserez-vous tranquille ?
Petrus eut un sourire réticent. Il aimait faire souffrir cela se voyait. Son excitation génésique était telle que la Mamma en était gênée, écœurée. Tous ceux qui torturaient, tous les bourreaux n’étaient que des sadiques dans le fond. Il n’y avait jamais une parcelle de justification autre qu’une déviation perverse.
— Ça dépend. Essayez pour voir ?
— Je suis chargée de découvrir quelles relations vous entretenez avec Diana Jellis.
Cette fois elle avait réussi à fixer son attention. Il parut même surpris de cette franchise.
— Des relations ?
— Quel est votre rôle dans l’entourage de Diana Jellis. Vous faites des voyages à l’étranger et vous êtes présenté comme un livreur de fonds. On pense que vous vous rendez en Europe pour y prendre des capitaux que vous remettez ensuite à cette jeune femme. Nous cherchons à savoir qui vous les fournit et pour quel montant ?
— C.I.A. ?
Elle secoua la tête :
— Non.
Billie était toujours allongée sur le dos, le bas du corps dénudé et un sein hors de son décolleté. Elle haletait doucement, les yeux fermés, souffrant certainement des trois brûlures qu’il lui avait infligées. Surtout la dernière.
— Laissez-moi la soigner, dit la Mamma. Je connais un remède de bonne femme pour les brûlures. Il faut agir vite.
— Non, laissez-moi réfléchir. Si ce n’est pas la C.I.A., qui est-ce ?
— Je ne vous le dirai que lorsque je l’aurai soignée.
Mais c’était peu connaître Petrus. Il n’avait aucune raison de ménager ses prisonnières. Même si cette vieille femme travaillait pour le gouvernement. Il n’était qu’un asocial qui se moquait bien de la politique et d’un idéal. Il ne s’intéressait qu’à l’argent, la puissance, sa propre personne. Pas assez averti ni intelligent pour faire la part des choses il restait méfiant. Et puis il souhaitait poursuivre cet interrogatoire plus longtemps. Faire souffrir Billie sous le regard horrifié de cette vieille femme blanche le grisait. Chaque fois qu’il découvrait dans ce regard l’écho des douleurs éprouvées par Billie il frôlait l’orgasme. Il hocha la tête d’un air entendu et prétentieux :
— Je vois. Mais je ne vous fais pas confiance. Je vais continuer et vous parlerez quand même.
— Attendez. Vous pouvez gagner de l’argent si vous m’écoutez. Beaucoup d’argent.
Ce mot-là pouvait seul l’empêcher de poursuivre. Elle avait compris qu’il se complaisait à cette situation, qu’il se gonflait de vanité en bon mégalomane qu’il était. Jamais il n’avait agi normalement. Durant les émeutes il avait détenu un pouvoir exceptionnel et après de longues années d’effacement il venait de le recouvrer. Il ne lâcherait plus facilement.
— De l’argent ? fit-il. Combien ?
— Vous pouvez vendre vos renseignements un bon prix. Tout ce que vous savez sur Diana Jellis.
Il se mit à rire sans bruit. Elle faisait fausse route et ne le savait pas. C’était cocasse. Mais il voulait continuer à jouer au chat et à la souris, laisser en suspens sa menace. Se rendant compte que son cigarillo était éteint il le ralluma, fit le geste de porter ensuite la flamme de l’allumette sur la toison crépue de Billie mais au dernier moment il laissa tomber le bout de bois entre ses jambes. Il s’éteignit sur le plancher.
— Combien d’argent ?
— Dix mille dollars.
— C’est une somme, fit-il gravement.
Mais il riait sous cape. Elle ignorait que Simon Borney, du moins celui qui se faisait appeler ainsi, le payait fastueusement et qu’il n’irait pas le trahir pour dix mille dollars et même pas pour le double de cette somme.
— Mais vous les avez ?
— Je peux les trouver dans la journée. Vous laissez sortir Billie et je lui donne une adresse.
Puis elle regretta aussitôt son imprudence. A trop vouloir sauver la jeune femme elles venait de commettre une erreur impardonnable.
— Tiens, fit-il, vous enverriez Billie et elle reviendrait avec dix mille dollars ?
— Ce n’est pas si simple, essaya-t-elle de rattraper.
Il la menaça du doigt :
— Madame Pepini, c’est ce que vous avez voulu dire et maintenant vous essayez de vous rétracter.
Il tira avec délectation sur le cigarillo.
— Madame Pepini, vous allez me dire à quelle adresse vous comptiez envoyer Billie. Je serais heureux de vous l’entendre dire sinon je vais être malheureusement obligé de brûler cette pauvre Billie.
Elle n’avait que quelques secondes pour se décider et elle fit son choix. Kovask était un homme expérimenté, habile, capable de faire face à la situation la plus dangereuse. Billie Ganaway se trouvait désarmée devant une menace impitoyable. Elle choisit la jeune Noire en demandant pardon au Commander.
— Décidez-vous, dit Petrus frémissant d’impatience et du désir de faire souffrir la jeune femme.
— Il s’agit d’un motel isolé sur la route de San Bernardino. Le Hoom Motel.
— Je connais, dit Petrus avec une déception visible. Qui auriez-vous rencontré là-bas ?
— Un homme.
— Son nom, ses coordonnées, dépêchez-vous.
Le nom de Kovask ne pouvait plus sortir de sa bouche. Il comprit qu’elle était bloquée et d’une main rapide il retourna Billie sur le ventre, lui appliqua le bout rouge du cigarillo sur la fesse droite. Elle hurla de surprise et de douleur. La Mamma eut l’impression qu’une odeur de chair grillée venait jusqu’à ses narines.
— Non, je vais vous le dire. Il s’appelle Serge Kovask…
— Pour qui travaille-t-il ?
— Une commission d’enquête.
Cette précision parut faire un effet profond sur Petrus Lindson. Il regarda la Mamma longuement, les sourcils froncés.
— Vous mentez. Cette fois je vais enfoncer le cigarillo entre ses reins et je le laisse en place si vous continuez de me mener en bateau. Vous m’avez compris ?
Mais elle le sentait inquiet. Une commission d’enquête frappait plus les imaginations que le F.B.I. ou la C.I.A… Lorsque les commissions sénatoriales siégeaient et interrogeaient les prévenus les retransmissions télévisées de ces séances faisaient le plein de téléspectateurs. L’indice d’écoute atteignait alors un pourcentage extraordinaire.
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