Un instant elle avait cru que le Noir lui laisserait le sac. Peut-elle aurait-elle pu en utiliser le contenu mais à la condition qu’il soit à hauteur de ses mains. Elle était vexée qu’il lui ait pris tout cet argent qui ne lui appartenait pas et qui représentait les « frais » de la mission.
Sort regard finit par regarder moins en hauteur mais à ras du sol où elle se trouvait. En face d’elle il y avait ce tuyau d’eau peint en jaune qui suivait la plinthe avant de disparaître en direction de la cuisine. Un assez gros tuyau qu’elle avait d’abord pris pour une conduite du chauffage central. Pourquoi était-il si gros ? Les conduites d’eau courante étaient maintenant en cuivre. Celui-là était-il en fer ? Son cœur se mit soudain à battre un peu plus fort. Si par hasard il était en plomb comme dans toutes les vieilles maisons ? La peinture empêchait de s’en rendre compte mais en tirant elle pouvait le faire venir, suffisamment pour se donner les quelques centimètres nécessaires pour donner du mou au système général.
Sans vouloir sentir la corde qui pénétrait dans la chair de ses poignets elle commença de replier ses jambes. Au début il lui fut impossible de faire jouer son articulation puis il lui sembla que le tuyau cédait petit à petit.
Elle s’arrêta pour reprendre son souffle. A cause de ses tractions le sang ne circulait plus dans ses mains qui commençaient de gonfler. Bientôt la souffrance serait intolérable. Il lui fallait poursuivre ses efforts.
* * *
— Continue.
— Les passants peuvent voir.
— On s’en fout.
La Chrysler jaune était immobilisée dans un embouteillage assez important. Petrus s’en moquait. Il avait tout le temps pour s’emparer de ce petit fonctionnaire qui dirigeait tout ce cirque. Il savait qu’il l’étranglerait de ses mains. Il l’imaginait freluquet avec un petit cou d’oiseau. Cette pensée l’excitait autant que la main habile de Billie Ganaway.
Enfin la circulation reprit. Un camion-grue venait d’enlever une voiture pour la conduire en fourrière et Petrus put appuyer sur l’accélérateur.
— Tire la fermeture, fit-il avec un sourire éblouissant.
Elle obéit. Jamais elle n’avait rencontré un homme qui lui faisait aussi peur que Petrus mais qui en même temps troublait si profondément sa féminité.
Petrus Lindson désigna la réception du Hoom Motel à Billie :
— Tu vas aller demander si ce Kovask est là. Grouille-toi.
La jeune femme descendit de voiture, pénétra dans le hall glacé par le système d’air conditionné, discuta avec l’employé et revint à la voiture.
— Il n’est pas là.
— Tant mieux, nous allons l’attendre chez lui.
Elle se mordit les lèvres. Dans un dernier sursaut pour préserver la vie de cet inconnu elle venait de mentir et le regrettait. Petrus roula en direction des bungalows, immobilisa sa Chrysler sous la tonnelle d’un parking. Il y en avait partout aménagés en pleine verdure.
— Allez viens. On va attendre ce type chez lui.
— Mais tu n’as pas la clé.
— T’occupe pas.
Ils contournèrent le groupe de pavillons. Petrus avait pris une petite sacoche dans le coffre à gants. Chaque petit appartement donnait sur un patio protégé par un grillage très haut le long duquel grimpaient des bougainvillées d’un rouge violacé. A l’aide d’une petite pince il fit sauter les mailles de fil de fer enduit de plastique, ouvrit une sorte de lucarne, poussa Billie dans le patio. Ils contournèrent les sièges de jardin, s’approchèrent de la porte en bois.
— Tu vas voir le travail.
Dans sa trousse il prit une clé plate en forme de scie. Chaque pointe en était mobile. Il l’enfonça délicatement dans le trou, bloqua d’une pression les pointes mobiles et n’eut qu’à tourner pour que la porte s’ouvre.
— Après toi, mon chou, gloussa-t-il en s’inclinant pour la laisser passer.
Comme elle hésitait il la poussa en avant et la suivit. Il ne sut ce qui lui arrivait. Quelque chose le frappait à la nuque et il tomba sans connaissance. Billie poussa un cri et se plaqua contre le mur. Eblouie par le soleil extérieur elle n’y voyait plus rien dans cette chambre plongée dans la pénombre.
— Ne craignez rien mais ne bougez pas.
Kovask se pencha sur le Noir, trouva le revolver passé à la ceinture et l’empocha.
— Petrus Lindson, n’est-ce pas ? Et vous, Billie Ganaway ?
— Vous me connaissez ?
Il sourit, traîna Petrus au milieu de la pièce, donna un peu plus de clarté.
— Où est mon amie Cesca Pepini ?
— La vieille dame ? Il l’a attachée et bâillonnée, elle est chez moi. Il ne l’a pas touchée.
— Pourquoi a-t-il cru me surprendre ? Il n’a même pas vérifié si j’étais là.
— La vieille dame avait dit que vous étiez un fonctionnaire inoffensif et moi je l’ai trompé. A la réception on m’avait dit que vous étiez là mais je voulais l’éloigner en lui disant le contraire. Mais ça n’a pas marché.
— Merci, dit simplement Kovask en soulevant Petrus comme une plume et en le jetant sur un fauteuil. Il le gifla et Petrus roula ses yeux désordonnés avec fureur, s’immobilisa en voyant son arme entre les mains d’un inconnu immense, large d’épaules, impressionnant de force et de calme. Il ne pouvait supporter ce regard si clair qu’il en paraissait blanc.
— Petrus Lindson. Un simple coup de fil et je vous fais arrêter pour vol avec effraction. Je vous ai entendu venir par derrière. Vous avez coupé le grillage et c’est déjà un truc qui vaudrait un an. Les flics, je suppose, seraient heureux de vous alpaguer. Videz vos poches.
— Il a pris de l’argent à la vieille dame.
Les cinq cents dollars furent jetés sur le lit avec tout le reste. Kovask pointa son doigt vers Billie :
— Racontez, vous d’abord.
Fascinée par cet homme elle obéit tandis que Petrus la fixait haineusement. Elle raconta comment il avait enlevé ses gosses avec l’aide d’un certain Simon Borney puis les lui avait rendus lorsque sa sœur Ella avait accepté leurs propositions.
— Lesquelles ? demanda le Commander.
— Je l’ignore. Elle n’était pas autorisée à m’en parler et n’y tient pas du tout.
Le téléphone sonna et Kovask décrocha. Un sourire donna quelque humanité à son visage.
— Tout va bien. Ils sont là et nous discutons comme des amis. Nous vous attendons.
Il raccrocha :
— La vieille dame s’est libérée et nous rejoint. Vous devriez mieux faire vos nœuds, ajouta-t-il à l’intention de Petrus qui n’en pouvait plus d’humiliation et de rage.
— Continuez.
Petrus l’avait surveillée, accablée de menaces et terrorisée. Elle parla des lettres écrites, des souvenirs de sa petite fille. Kovask regarda Petrus :
— Vous allez nous conduire là-bas.
— Plutôt crever.
— Très bien, dit Kovask en s’approchant de lui, le : revolver à la main. Il saisit une serviette de toilette, en recouvrit la moitié de la tête de Petrus, approcha le canon de l’arme de sa tempe.
— Non… C’est après San Bernardino… Le Ranch Paloma. Mais vous n’y trouverez plus personne. Nous l’avions loué pour un mois.
— Qui était Simon Borney ?
— Je ne sais pas. Je l’ai rencontré en Europe. Ce n’est même pas son nom.
— Américain ?
— Oui, je crois.
— Que s’est-il passé ensuite ? Que vient faire Stewe Score dans cette affaire ?
Petrus Lindson en resta bouche bée. Il savait cela aussi ?
— Vous le faites chanter. Parce qu’il est donneur de sperme pour une clinique discrète de Santa Monica. C’est ainsi qu’il gagne sa vie. Sa femme, ses voisins ignorent tout de la façon dont il gagne de l’argent. Qu’avez-vous obtenu de lui ?
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