Georges-Jean Arnaud - Smog pour le Commander

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Gynécologue dans le ghetto noir de Watts à Los Angeles, Ella Ganaway est une jolie fille dévouée et uniquement préoccupée par son métier au milieu de ses sœurs de couleur.
Du jour au lendemain elle plonge en plein cauchemar, devient la victime d’un chantage odieux exercé sur sa sœur et les enfants de celle-ci par un certain Petrus Lindson et ses amis. On veut obtenir d’elle une chose horrible qui risque de compromettre à jamais non seulement la carrière de Diana Jellis, nouvelle leader noire américaine, mais aussi toute la cause de la population noire.
Si elle refuse, les enfants de sa sœur Billie seront enlevés et disparaîtront à jamais.

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Il fallait que Diana accepte cette grossesse jusqu’au bout. Tel était l’ultimatum qu’on lui avait donné. Sinon les enfants de Billie seraient à nouveau en grand danger.

— Croyez-vous que mon état me le permette ? demanda Diana.

Comme elle avait changé, la tigresse noire, l’ardente révolutionnaire, depuis que la vie d’un autre être gîtait entre ses flancs. Ella ne la reconnaissait pas. Deux mois auparavant elle était beaucoup plus secrète, farouche et pleine d’une violence contenue. Maintenant elle devenait plus tendre, plus moelleuse aussi.

— Je le pense. Votre métrite n’est plus qu’un souvenir. Vous n’avez pas besoin de vous inquiéter.

Diana lui avait raconté comment elle avait été violée par des membres du K.K.K. dans l’Etat du Mississipi à l’aide d’un épi de maïs. De deux épis de maïs pour faire bonne mesure et rendre cette agression encore plus ignoble. Ella avait été sa confidente, avait pu voir des larmes d’humiliation dans ses beaux yeux en amande.

— Je n’ai encore rien dit à Mel. Il ne se doute de rien.

— Qu’en pensera-t-il ?

— Je ne sais pas, murmura Diana Jellis avec une pudeur inattendue.

Elle paraissait très impressionnée par son nouvel état.

— Je me demande…, dit-elle.

Ella releva la tête :

— Quoi donc ?

— Si j’ai le droit. Je prêche la limitation des naissances, la libération de la femme, qu’elle soit noire ou blanche, mais je vais donner le jour à un enfant. Est-ce que cette contradiction sera comprise par la grande majorité de ceux qui veulent bien être de mes amis ?

N’en pouvant plus, Ella se leva pour jeter un coup d’œil à la rue. Diana Jellis se méprit sur cette brusquerie :

— Excusez-moi mais si chaque fois qu’une femme enceinte vous accaparait autant vous n’en sortiriez pas. Dans le fond je suis comme toutes celles à qui cela arrive pour la première fois.

— Vous n’avez jamais fait de fausses couches ?

— Non, dit Diana. J’avais même la certitude que jamais je ne porterais d’enfant. Je me sentais une constitution presque masculine, vous voyez ce que je veux dire ? Pourtant j’aime faire l’amour avec un homme, avec Mel Santos. Nous nous aimons.

— J’en suis heureuse pour vous, dit Ella.

Soudain elle détestait son amie pour cet amour, pour cet homme qui était son compagnon, sur lequel elle pouvait quand elle le souhaitait se reposer un peu, reprendre son souffle. Elle n’avait personne, que le travail et toutes ces femmes souffrantes de ce quartier miséreux qu’elle devait soigner, réconforter. Ces femmes qui, après une fausse couche, un avortement, une naissance difficile, n’avaient qu’une hâte, se retrouver dans les bras de leur homme.

— Je crois que nous le garderons, fit Diana en se levant. Vous pensez que ce serait pour le début de l’année prochaine ?

— Oui, certainement fin janvier, répondit Ella sèchement.

Décidément Diana ne reconnaissait pas cette amie si attentionnée, si gentille. Avait-elle des soucis autres que ceux de sa profession ? On ne lui connaissait aucun ami, aucune relation. Puis elle se souvint qu’elle avait une sœur.

— Billie va bien ?

— Très bien, je vous remercie.

— Ses enfants ?

— Eux aussi vont très bien, dit Ella avec un effort. Billie travaille maintenant. Dans une boîte de Santa Monica. Comme barmaid. Enfin je suppose. Peut-être comme hôtesse-entraîneuse. Que voulez-vous que je fasse ? L’en empêcher ?

— Bien sûr, dit Diana. Un jour elle prendra conscience et refusera de se montrer aussi complaisante. Oui, je pense qu’un jour toutes les femmes, les blanches comme les noires, seront assez adultes, mûres pour comprendre qu’elles ne seront plus jamais les esclaves de quiconque, pas plus de la société que de ses mœurs.

— Souhaitons-le, fit Ella avec désinvolture, mais elle n’en prend pas beaucoup le chemin j’ai l’impression. Oh ! et puis qu’importe. Je vais vous faire une ordonnance. Surveillez votre alimentation et n’oubliez pas les analyses d’urine.

Au moment de partir Diana Jellis regarda son amie en souriant :

— Vous devriez vous reposer, Ella. Vous me paraissez fatiguée, nerveuse. Peut-être que vous en faites trop. N’avez-vous pas songé à prendre quelques jours de vacances ?

La gynécologue haussa les épaules :

— Pour retrouver trois fois plus de travail à mon retour ? A quoi bon ! Juste un peu de dépression. Quand vous reviendrez ça ira mieux.

Enfin elle fut seule et elle donna un tour de clé pour s’isoler un moment. Elle n’en pouvait plus. Cette visite l’avait épuisée. Diana ne se doutait de rien, ne soupçonnait pas sa perfidie. Elle s’était à peine étonnée au sujet du stérilet. Bien sûr il y avait des échecs. Trente pour cent mais tout de même… Bientôt dans toute l’Amérique on saurait que Diana Jellis attendait un enfant, des millions de Noirs commenteraient cette nouvelle avec plus ou moins de sympathie mais ce serait quand même un événement important. Et puis en janvier, la naissance.

— Non, gémit-elle en s’abattant sur son bureau, non je ne pouvais pas laisser faire ça…

Puis elle se redressa, les yeux fixes, le visage crispé, se précipita à la fenêtre, l’ouvrit pour rappeler Diana et lui dire toute la vérité. La voiture de la jeune femme conduite par son garde du corps Moron démarrait à cet instant. Vaincue, elle referma la fenêtre. On frappait à la porte.

— Ella, quelque chose ne va pas ?

Elle soupira avec agacement :

— Si, tout va bien.

Elle tourna la clé, retourna vers son bureau.

Son assistante médicale passa un visage consterné, regarda avec inquiétude la longue silhouette svelte de la doctoresse. Celle-ci n’avait pas un comportement habituel et paraissait à bout de forces.

— Voulez-vous quelque chose ? Du café par exemple.

— C’est ça, du café.

— Quelques gâteaux avec ? Un sandwich ?

— Non, je n’ai pas faim.

— Vous devriez vous forcer.

Elle soupira et son assistante jugea inutile d’insister plus longuement.

— Très bien, je vais préparer du café.

En attendant elle fit entrer la personne suivante, une jolie fille de dix-huit ans enceinte jusqu’aux yeux. Elle se teignait en blonde, ce qui lui donnait un air très sophistiqué qui allait mal avec son état. Elle essaya de tout oublier en l’examinant mais elle n’y parvenait pas.

— Excusez-moi.

Mary Hinder frappait. Sans entrer elle passa le plateau et Ella le déposa sur son bureau.

— En voulez-vous une tasse ? demanda-t-elle à sa patiente.

— Oh ! oui, docteur.

Elle lui apporta une tasse pleine, la regarda boire sans la voir. Intimidée la petite se dépêcha et lui tendit la tasse vide. Ella Ganaway s’en rendit compte au bout de quelques secondes.

— Excusez-moi.

Elle reprit son examen mais elle songeait surtout à sa sœur Billie et à ses deux enfants. Il lui fallait prévoir quelque chose, une issue. Ce Simon Borney, Petrus Lindson restaient dangereux. Rien ne pressait encore mais avec prudence elle pouvait préparer leur fuite, chercher un endroit sûr où elles pourraient se réfugier avec les deux gosses. Mais elle n’avait pas beaucoup d’argent. De la jeune fille allongée montait une odeur douceâtre qu’elle reconnaissait bien. Marijuana. Encore une qui trouvait assez de dollars pour ses cigarettes droguées mais qui ne pourrait pas lui régler la consultation ! Mais elle n’en avait aucune amertume. Il était difficile de vivre dans un pareil endroit, dans de telles conditions, sans chercher dans le hasch de quoi oublier.

— Bon, que décidez-vous ?

La jeune fille la regarda d’un air vague. Elle ne comprenait pas.

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