Frédéric Dard - Cette mort dont tu parlais

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Retraité précoce, un fonctionnaire rencontre une jeune femme par petite annonce et l’emmène vivre dans une ferme de Sologne.
Mais le fils qu’elle a déjà, sous des dehors charmants, est une petite frappe inquiétante et perverse.
Elle-même…
— En somme, vous êtes heureux ?
— C’est un grand mot…
— Elle paraît gentille. Peut-être un peu trop, non ?
Dans un climat d’érotisme et de peur, de cupidité et de haines contenues, Frédéric Dard nous montre, avec sa cruauté baroque jusqu’où peut conduire l’asservissement sexuel.
Et c’est terrible.

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J’avais honte de lui dire ça, mais il fallait que ça sorte. Il faut toujours que le pus s’échappe d’une plaie pour qu’elle puisse guérir.

— Imagine ses cheveux blonds collés dans son crâne ouvert comme les poils d’un lièvre foudroyé ! Pense à son joli visage de bellâtre bouffé par la mort, mutilé, disloqué… Pense à sa peau glacée… Cette peau dont tu n’arrivais pas à te repaître, paraît-il… Oui, pense à toutes ces choses, Mina… Je vais t’aider à entretenir le culte de ce petit assassin du dimanche, je te le promets… Nous parlerons de lui, c’est juré. Tu trouveras toujours en moi le plus fervent des auditeurs.

Je me suis tu, à bout de souffle, presque à bout de force. Mina souriait en me dévisageant.

— Oh, Paul, a-t-elle murmuré, tu es un merveilleux salaud ! Avec toi je suis certaine de ne pas l’oublier…

CHAPITRE XX

Nous sommes retournés à Ronchieu.

Il faisait soleil lorsque nous avons poussé la porte de bois blanche, un soleil mielleux d’automne qui donnait de l’éclat aux feuilles rouges de la vigne vierge.

Je redoutais quelque crise nerveuse de la part de Mina, mais elle n’a pas bronché en retrouvant la maison. Elle s’est seulement arrêtée devant une tache de peinture ocre sur le perron.

— Il avait planté son chevalet ici, ai-je dit… Et il faisait de la décalcomanie… Il donnait vin échantillonnage de son grand talent !

Elle a haussé les épaules.

— S’il avait eu du talent, il aurait été fort, Paul…

Elle retombait toujours sur ses pieds.

— Si tu veux, je peux faire poser une plaque de verre pour protéger cette tache mémorable ?

Elle m’a regardé en souriant.

— Ça n’est pas la peine, même lorsqu’elle aura disparu, je me souviendrai d’elle.

Depuis la scène de la chambre, nous avions sans arrêt de ces algarades-là. Nous nous déchirions à coup de griffes, tels deux fauves mal apprivoisés qui ne peuvent toujours contenir leurs instincts.

Je finissais par en prendre l’habitude. Dans ces moments de rage elle devenait laide. Son masque prenait une expression de dureté insupportable et je commençais à trouver des traces de haine dans son amour.

Nous avons passé deux jours à nous faire mal. Elle avait voulu coucher dans la chambre de Dominique et elle fermait sa porte à clé. Nous n’avions plus de rapports charnels. Du reste je ne les souhaitais plus. Elle était tellement obnubilée par le souvenir du mort que je n’aurais pas été capable de l’étreindre.

Dans la journée, tout nous était prétexte à disputes. La place vide de Dominique, à table, une cravate qu’il avait oubliée, un livre qu’il avait laissé… Notre rage flambait immédiatement comme s’embrase un fagot arrosé d’essence.

Avec tout ça, j’avais complètement oublié Blanchin. Aussi ai-je sursauté le matin où le facteur a déposé une carte en provenance de Marseille. C’était une réplique muette à celle que je lui avais adressée pour le décider à agir. Elle ne comportait que mon adresse. La vue représentait Notre-Dame-de-la-Garde…

C’est Mina qui l’a trouvée dans la boîte à lettres. Elle me l’a apportée tandis que j’achevais de déjeuner.

— Tu sais ce que ça veut dire, ça ?

J’ai regardé la statue plantée au sommet de la basilique.

— Oui…

— Qui est-ce qui t’envoie ça ?

— Un ami.

— Pourquoi n’a-t-il rien écrit ?

— Parce que rien n’est plus éloquent qu’un carré de papier blanc…

— Ça t’amuse ?

— Quoi ?

— De jouer aux devinettes…

— Je ne joue pas aux devinettes, Mina. Je te répète qu’il s’agit d’un ami à moi… Il se rappelle de cette façon muette à mon bon souvenir.

— Tu lui dois de l’argent ?

— Non, je lui dois beaucoup plus que ça…

Elle n’a pas insisté. Je suis descendu à la cave pour y prendre la lettre mutilée de Germaine Blanchin sur le rayon où je l’avais laissée. Elle s’y trouvait toujours, un peu humide, près du flacon de poison. Je l’ai relue… Dire que cette pauvre femme avait tué deux personnes avec ça…

J’ai glissé la lettre dans une enveloppe et j’ai écrit l’adresse de Blanchin dessus. Ensuite j’ai mis le pli dans la poche de ma veste d’intérieur… Je ne voulais pas le laisser traîner…

Maintenant j’avais hâte de le poster. Je me sentais le débiteur de Blanchin. L’acte du gros garagiste ne m’avait été d’aucune utilité, mais il n’en possédait pas moins une valeur marchande.

Mina était dans la salle de bains. J’y suis entré comme elle en sortait, ses beaux cheveux noués par une serviette éponge.

Je me suis déshabillé et j’ai pris une bonne douche froide pour me calmer les nerfs.

Elle est revenue dans la salle d’eau un instant plus tard.

— Qu’est-ce que tu veux ? lui ai-je crié à travers le rideau de la douche.

— Mes bas…

Elle est ressortie.

Je suis demeuré encore un bon moment sous les mille piqûres de la pomme. J’avais mal à l’existence… Je me sentais encore seul, infiniment. Je finissais par ne plus pouvoir me supporter. Notre cohabitation ne donnerait jamais rien de bon. Je préférais me séparer d’elle et retourner en Afrique. À Bakouma il y avait un motel tenu par un Français… Cet homme était gras et malade comme Blanchin. Il passait sa vie dans son bar à évoquer son enfance à Belleville. Il parlait de la rue du Télégraphe, de la vue qu’on découvre de là-haut… de la buée mauve flottant en permanence sur Paris…

À travers lui j’aimais Paris. J’allais tuer mon foie, chez lui, le soir. On entendait le tam-tam au loin. C’était crispant, et pourtant ça permettait de ne pas vivre à l’échelle humaine. Ça vous tenait dans une sorte de constant état second. L’alcool faisait le reste. Oui, j’irais cracher mon foie à Bakouma… Je retrouverais les négresses dociles au sexe mutilé, les dames de la colonie qui s’ennuient, les phonographes qui broient du noir, les réceptions très bourgeoises…

De là-bas, Mina serait pour moi pareille à une morte. Alors je l’idéaliserais moi aussi… Elle reprendrait la place à laquelle mon amour l’avait hissée et d’où elle commençait à descendre à force de mesquineries.

J’ai coupé l’arrivée de l’eau et me suis frotté au gant de crin. Puis j’ai passé ma jambe de pyjama et ma veste d’intérieur. Je ne sais pourquoi, mon premier réflexe a été de porter la main à la poche : la lettre ne s’y trouvait plus. Je me suis alors souvenu de l’intrusion de Mina pendant que je prenais ma douche. J’ai bondi hors de la salle de bains.

Elle était assise au salon, devant la table basse. Elle avait ouvert mon enveloppe et sorti la lettre. À côté se trouvait la coupure de presse relatant l’accident de Dominique.

Elle étudiait ces différents documents comme une élève étudie une leçon difficile. Ses sourcils étaient joints par l’attention. Je suis entré, j’ai refermé la porte et me suis adossé contre. Au bout d’un moment, Mina a levé les yeux. Ça n’était plus exactement Mina. Elle s’était transformée radicalement, sa figure s’était étirée, ses yeux s’étaient cernés, son nez pincé participait aussi à l’allongement de son visage. Il y avait dans son regard un éclat mort qui transformait ses yeux en deux pierres éteintes.

Je n’ai rien dit. Elle avait tout compris.

— Je ne t’aurais pas cru aussi machiavélique, Paul…

— Merci !

— Tu as mené ta petite affaire de main de maître…

— N’est-ce pas ?

— Et dire que nous avions cherché, Dominique et moi, à commettre un crime parfait !

— Vous auriez dû me demander conseil.

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