Frédéric Dard - Cette mort dont tu parlais

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Retraité précoce, un fonctionnaire rencontre une jeune femme par petite annonce et l’emmène vivre dans une ferme de Sologne.
Mais le fils qu’elle a déjà, sous des dehors charmants, est une petite frappe inquiétante et perverse.
Elle-même…
— En somme, vous êtes heureux ?
— C’est un grand mot…
— Elle paraît gentille. Peut-être un peu trop, non ?
Dans un climat d’érotisme et de peur, de cupidité et de haines contenues, Frédéric Dard nous montre, avec sa cruauté baroque jusqu’où peut conduire l’asservissement sexuel.
Et c’est terrible.

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C’est pourquoi l’être qui se tenait à mes côtés bénéficiait de ce gigantesque trop-plein d’amour inemployé.

Tout en conduisant, je la regardais en biais. Très sincèrement, je me demandais ce qui pouvait bien me séduire dans cette femme au maintien sévère… A priori, elle ne faisait pas pin-up du tout.

Mieux valait ne pas analyser la chose… C’était ainsi et j’étais parfaitement heureux.

Nous sommes allés à Orléans. Mina n’était pas fixée sur le choix d’une compagnie d’assurances. Nous avons choisi une société réputée et Mina a insisté pour qu’on établisse l’acte d’assurance immédiatement. Son insistance a vaguement surpris l’agent du cru. Lorsqu’il a su que j’étais le bénéficiaire, il s’est mis à me regarder d’un œil indéfinissable. Je ne sais trop ce qu’il s’imaginait. Peut-être que j’avais des projets homicides moi aussi, tout comme mon prédécesseur. C’était du reste très pénible, ces formalités. Mina paraissait radieuse. Son geste avait quelque chose d’émouvant. Elle a payé la première prime de ses propres deniers et quand tout a été fait, elle a poussé un grand soupir.

Dans l’escalier de la compagnie, nous nous sommes embrassés.

— Maintenant, a-t-elle déclaré, je suis soulagée… Il me semble que je vais vraiment profiter du temps qui me reste à… à t’aimer…

— Bon, mais auparavant, je dois voir un notaire, Mina…

— Pourquoi faire ?

— N’avons-nous pas décidé que je testerais en faveur de ton fils ? Je ne comprends pas les choses autrement…

— Mais rien ne presse, Paul… Tu as du temps devant toi, mon chéri…

J’ai haussé les épaules.

— Du temps ! Qui peut affirmer qu’il a le temps de mourir ? Puisque nous liquidons ces questions mesquines, liquidons-les vraiment.

— Comme tu voudras…

Il nous a fallu la journée pour nous mettre à jour de ces corvées paperassières. Lorsque nous avons été de retour à Ronchieu, il faisait nuit. Mina avait acheté de la charcuterie et un poulet pour le dîner. Tandis qu’elle préparait le repas, je suis allé trouver Dominique. Cette fois, il était complètement ivre. Il ne subsistait pas le moindre doute sur ce point. J’étais certain qu’il se levait en notre absence. Ça m’a flanqué un coup de sang. Cet oisif qui venait jouer les blessés pour se faire dorloter allait avoir de mes nouvelles en attendant mon héritage.

— Comment va votre cheville ? ai-je questionné en me retenant de lui aboyer ma question au nez.

— Couci-couça…

Il pouvait à peine parler.

— Eh bien, je vais hâter votre guérison, mon vieux !

J’ai pris un côté du lit à pleines mains et je l’ai renversé. Il s’est relevé, furieux.

— Qu’est-ce qui vous prend ! En voilà des façons…

Je ne pouvais plus me contenir.

— Espèce de petit poivrot, il me prend que j’ai horreur des bobards. Vous n’êtes pas plus blessé que je ne le suis ! Vous avez trouvé ce subterfuge pour vous faire amener ici et pour que votre pauvre mère continue à vous dorloter hein ?

Il a pris ma main en pleine figure. Ça a claqué si fort que le bruit a alerté Mina. Elle est entrée, affolée. En nous voyant dressés face à face, son fils et moi, elle a poussé un cri et a porté la main à sa poitrine :

— Paul ! Dominique ! Que se passe-t-il…

J’aurais voulu lui épargner cette émotion-là, mais j’ai toujours donné libre cours à mes colères…

— Il se passe que ce petit crétin n’a pas d’entorse et qu’il se lève en notre absence pour aller se soûler la gueule…

J’ai flanqué une bourrade à Dominique. S’il n’avait été ivre, il aurait sans doute feint de chuter, mais il a parcouru plusieurs mètres sur ses deux jambes. Après seulement il s’est laissé choir dans un fauteuil et là il s’est mis à chialer tout ce qu’il savait, exactement comme s’il avait eu dix ans…

— Je ne pouvais pas m’habituer à vivre seul, a-t-il sangloté. J’avais un tel cafard que…

Naturellement sa mère s’est précipitée sur lui pour le consoler. C’était le genre de scène que je ne pouvais pas supporter. Écœuré, ulcéré, je suis monté dans ma chambre… Mais la vue de mon lit m’a fait mal… J’ai gagné sa chambre à elle… Au moins j’y retrouvais son odeur… Et sa couche évoquait pour moi de merveilleux instants. Je me suis assis devant sa coiffeuse, les bras croisés, regardant la chambre dans la glace… Vue dans ce miroir, elle faisait irréel. Était-ce là qu’était morte Germaine Blanchin ?

D’un mouvement caressant j’ai palpé les objets intimes appartenant à Mina : son vaporisateur, sa boîte à bijoux, sa minaudière (dont elle se servait si peu), son nécessaire à ongles, sa brosse à chev…

Brusquement je me suis pétrifié. J’ai senti de la glace dans mes membres. Il arrive que le corps réagisse avant l’esprit devant un danger ou un fait insolite. Là, mon corps s’est cabré bien avant que j’en aie compris la raison.

J’ai saisi la brosse à cheveux de Mina et je l’ai examinée avec attention. Il restait des cheveux entre les crins, naturellement. J’en ai réuni quelques-uns que j’ai étudiés de très près.

En général, lorsque des cheveux sont teints, ils conservent près de la racine leur couleur naturelle. Et cette couleur se développe au fur et à mesure que pousse le cheveu ! C’était ce phénomène que j’observais dans le cas présent. Et s’il me bouleversait tellement c’était parce qu’il me révélait une chose extraordinaire : les cheveux gris de Mina étaient d’un blond-roux près de la racine. Conclusion : elle se teignait. Et elle se teignait « à l’envers » si je puis dire, puisque étant d’un beau blond, elle se muait en un vilain gris.

Je ne savais pas très bien encore ce que signifiait cette découverte, mais je comprenais confusément qu’elle était grave.

Très grave !

CHAPITRE VII

Inutile de vous dire combien ce soir-là le repas a été triste et même pénible. Pour la première fois nous étions trois à table dans la maison. Dominique, sermonné par sa mère, dégrisé aussi par ma gifle, mangeait du bout des dents sans nous regarder.

Avant le dessert il s’est levé et a regagné son lit dans la grande salle.

— Je suis navrée, Paul…

— Hmm ?

J’ai regardé Mina d’un œil incertain. Je ne me rappelais plus l’incident avec Dominique. Je ne pensais qu’à ma découverte concernant ses cheveux…

— Je te demande d’être clément…

— Oh ! oui… N’en parlons plus…

— Nous vivons à une époque où la jeunesse… se… se cherche, comprends-tu…

— Le hic, c’est qu’elle espère se trouver dans des bouteilles de scotch…

— Il faut comprendre combien notre mariage a affecté sa vie…

— Ça n’est tout de même pas un bébé… Moi, à vingt-trois ans…

— Ne le juge pas d’après toi, mon chéri… Il y a des hommes de quinze ans et des gamins de soixante…

— Très bien, j’essaierai de ne pas l’oublier.

— Je voulais aussi te demander de faire un sacrifice, Paul. Je te le demande au nom de l’amour merveilleux que j’ai pour toi…

Elle a quitté sa chaise et elle est venue s’asseoir sur mes genoux. J’ai senti le contact de ses cuisses chaudes, sa bouche a parcouru la mienne comme un frisson…

— D’accord, ai-je dit, prévenant sa requête, il n’a qu’à rester ici autant qu’il le voudra…

Ça l’a décontenancée. Elle m’a pris la tête dans ses mains pour me forcer à la regarder. Mais ses yeux m’échappaient un peu car il y avait des éclats dansants dans les verres de ses lunettes.

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