— J'ai pigé l'topo, ma vieille, mais grosso-modiste. Va t'falloir allonger tout en détail. Mais prends ton temps, r'mets-toi d'tes vapeurs, on a tout l'restant d'là nuit pou' s'mett' à jour.
Elle a mis sa main ent' ses nichebloques, Germaine. Genre : j'étouffe, v'là mon asthme qui m'rebiche !
— T'as manigancé l'enlèv'ment de ta gosse pou' faire croire qu'c'est la Betty et son barbu qui t'l'avaient chouravée. Ça t'arrangeait qu'j'mordasse à c'te piste. T'as même été jusqu'à droguer ta mouflette pou' qu'a pusse pas témoigner, ma salope. Pour une p'tite môman chérille, bravo ! Ta haine, c't'un truc pas regardab'. L'vrai nœud d'serpents, tous plus v'nimeux l'un que les aut' ! C'est toi qu'as fait liquider ton vieux, pou' commencer. C'qu'y va falloir m'espliquer, vu qu'j'en crève d'curiosité, c'est les pieds nick'lés qu't'as fait appel pou' c'grand cinoche fracasseur. L'mari buté, bravo ! Enfin, veuve. La fille kidnappée, et une rançon versée, j'parie ? Tu m'l'as pas dit, mais t'avais préparé c'cirque aussi. Combien, la rançon ? Tout l'pognozoff enfouillé par Martin Martin au cours d'sa brilliante carrière, j'suppose ? D'là sorte, pas d'droits d'succession à douiller. Et le fric t'révient à toi au lieu d'à ta gosse, pisque les enfants héritent et pas les épouses. Combiné d'première ! Mais l'fïn des fins : faire porter l'bitos à la Rosier, ta rivale maudite, et la punir à travers son fils. Alors là, c'est l'tout grand art ! L'musée du Louv' du crime chiavélique ! L'Versailles d'l'arnaque. Et enfin, quand t'as arrangé qu'le poteau rose soye découvert par mes soins personnels d'poulet, tu fais buter la vieille. Ainsi, l'fils niera sa participation, œuf corse, mais y n'pourra réfuter celle à sa vieille, vu qu'la gamine a t'été r'trouvée chez elle, à Rueil-Malmaison. J'en ai m'né des enquêtes, tu sais, Mémaine, et des coriaces. Mais celle-ci m'laisse baba. Une vicieuse d'ton espèce, jamais encore ! Ton guignol doit r'ssembler à une balayette de chiottes. Et rien que d'envisager les idées qui grouillassent dans ta tronche, j'prends l'envie d'me faire un champouingue, c'qu'est pas mon genre !
J'rigole.
Elle, pas.
— Tu dois t'd'mander l'comment j'ai détectionné la vérité, ma bonne dame ? J'vas t'dire. J'sors d'chez Betty. Réjouille-toi si tu l'saurais pas encore : elle est morte. Tout à fait, pou' d'bon. Pou' toujours. S'l'ment, son décès, y n'm'a pas paru catholique. Alors j'ai étudié les choses d'estra-près et découvert la combine du téléphone branché su' l'électraque. Qu'en décrochant, Betty, elle s'est ramassé une décharge d'deux cent vingt volumes dans les écoutilles. A son âge, et av'c l'guignol un tantisoit fané, ça n'pardonne pas.
« Bon. J'm'aye dit : « Si on l'a assassinée, c'est qu'é l'est innocente du kidnappinge et l'reste.
« Et tout d'un coup, y m'r'vient à l'esprit mon arrivée ici, en fin d'tantôt, av'c ta fifille et la grande bringue qui la gardait. Tu t'rappelles ? La vérité, j'vas t'dire la cult'rie des choses, elle a t'nu à une pièce d'un franc que quéqu'un — toi p't'être ? — a paumé su' ton palier. La voici. J'la conser'vrai en souv'nir. Du temps qu'j'l'enfouillais, t'as ouvert la porte. Et t'as dis, mais d'un ton très tranquille : « Alors là, je ne comprends pas. » Rappelle-toi, testuell'ment. Parce que tu croiliais que la Madeleine et ta gosseline étaient seules. T'avais pas eu l'temps d'm'apercevoir. Et donc, c'qu' tu comprenais pas, c'tait que la blonde ramène Martine alors qu'c'tait pas prévu au programme. Et puis la Madeleine a dû t'faire les gros yeux ou quoi. Tu t'as rendu compte d'ma présence, et t'as joué la grande scène des r'trouvances, avec cris, baisers, salamalèques en tout genre. Si bien qu'j' ai pas eu l'temps d'réaliser dans la foulance, comprends-tu ?
« Mais par la sute, ça m'est r'venu. J'ai aussi une mémoire d'éléphant !
Elle est d'plus en plus verdâtre. Son tarin et ses yeux, tu croirais qu'ça fait un binocle à la Galliéni.
L'ennui du jeu, c'est qu'on peut perd'. Et faut savoir perd'. La plupart des joueurs n'sachent pas. Moi, c'qui me tarabuste, en faite d'perde, c'est l'temps. Tout c'temps qu'j'auraye perdu ent' les r'pas, au cours d'ma vie, ça m'coince les zophages d'y songer.
E s'rend' compte qu'elle a couvé un' catastrophe, la Germaine, comme une autruche son bel œuf. Et v'là qu'la catastrophe est en train d'écloser. Pas bonnot, merde ! Mais quand t'y peux plus rien, t'y peux plus rien.
Moi, j'rappelle un sale moment d'ma vie. C'est quand j'ai fait la connaissance à Maâme Lombardet, la garde-barrière des Fourches, su' la route du chef-lieu.
J'allais en vélo à la ville. Bon. La barrière du passage à niveau était fermaga. J'traverse les voies en passant par l'portillon. Et v'là qu'ma roue avant d'vélo tourne et se coince ent' deux rails. L'train s'pointait gaillard'ment en poussant des tutut comme un con. J'avais beau tirer qu'tir'ras-tu, ma roue d'meurait prise. Alors j'ai largué l'vélo et couru d'l'aut'côté, près d'là maison à la garde-barrière. Vraoum ! L'dur a passé. Ma roue, tu parles qu'y l'a dégagée vit'fait-su'-l'-gaz, l'tortillard. Ell' ressemblait à un boyau d'vélo comme les coureurs mettaient su' leurs dos, aut'fois. Un très bioutifoul huit, ell' décrivait !
Moi, j'étais vert. La garde-barrière, maâme Lombardet, elle m'a fait t'entrer dans son gourbi qui sentait la soupe aux choux. Y'avait un gros greffier taillé qui pionçait sous l'fourneau, j'r'vois encore. Ell' m'a offert un p'tit verre d'eau d'noix qu'l'flacon ancien était tout cradingue au goulot. M'restait plus qu'à r'tourner à mon t'home avec l'restant du vélo su' l'dos.
J'm'gaffais que mon papa allait m'sonner les clochettes : une roue d'bécane quasiment neuve, c'vélo ayant été ach'té par lui au r'tour d'son service ! Pourtant, j'm'sentais plutôt content, à cause de maâme Lombardet, si aimab', prév'nante, qui n'm'avait ni engueulé, rien, mais offert un verre d'eau d'noix en m'disant : « mon pauv' garçon », d'une voix concupiscente. C'tait une dame d'une belle quarante-quatraine damnée, pas très prop' mais d'une physiologie agréab'. Des longs ch'veux mal coiffés, châtains clairs, qu'un gros peigne arrivait pas à tout cont'nir. Et surtout, c'qui m'prenait l'plus : une poitrine comme on dessine aux sirènes dans les bouquins su' la pêche.
Ça tendait tell'ment l'corsage, ses loloches, qu'l'boutonnage était à outrance et qu'ça formait des ovaux ent' chaque pression.
J'la voiliais d'puis des lurettes, maâme Lombardet. Mais aperçue s'l'ment. Qu'elle restait derrière sa grande manivelle, à tourniquer la barrière quand l'train avait passé. E n'v'nait jamais au village, son point d'chute, pou' les comminches, étant l'chef-lieu, naturell'ment. M'adressais un signe d'tête qu'é répondait tout juste, faut comprendre, av'c tout c'populo qui passait là, mince, qu'est-ce tu veux qu'elle irait causailler à Pierre-Paul-Jacques ?
Moi, d'êt' entré chez elle, dans sa bicoque noire d'suie et d'avoir liché son eau d'noix, r'gardé pioncer son matou sous l'poêle, j'sais pas, j'm'sentais motivé, comme y disent dans les lubriques esportives, toujours, comme quoi, Saint-Étienne il est bon à nibe quand y n'est pas « motivé », tout ça… Et d'autres trucs encore, en rugueby, tennis et consort. Motivé. Y'a pleins d'mots qui viennent un jour, fourmillent, s'en vont. On en met un aut' à la mode. Avant c'tait « concerné ». Maint'nant, tu r'marqu'ras : motivé. Y'en a un nouveau qui commenc' d's'pointer : « impliqué ». Faudrait un dictionnaire, qu'j'suce à quoi t'il correspond, l'un dans l'aut'. Mais brèfl', si ça leur aide, j'm'en branle. Tant qu'y s'mettent d'accord su' l'usage d'un mot, y s'accrochent pas su' les aut', ces cons !
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