— Ses doigts, docteur ?
— Eh bien ?
— Une main gauche, porte-t-il une alliance ?
— Non. Par contre il existe une trace de chevalière à l’auriculaire.
— Récente ?
— Non. Ce type a dû avoir un léger accident, voire une piqûre infectée au petit doigt, sa première jointure s’en est trouvée déformée et il lui a fallu se défaire de la bague, peut-être en la faisant scier.
— Merci, docteur. Pouvez-vous nous faire livrer les manches par porteur ?
* * *
Ça nous prend parfois, de se payer une bouffe, le Noirpiot et moi. Un dîner c’est toujours une fête qui consolide les amitiés et les amours. Deux copains, à table, avec une boutanche de pomerol entre eux, en guise de gonzesse, c’est bath ; félicitieux.
On est au Royal Monceau , sous la grande coupole du jardin, et on se défrime, bouffant du pain beurré en attendant le gros des troupes.
— T’es rudement rider, remarqué-je, la bouche pleine. On dirait un diplomate de l’O.N.U., tu sais, ces gonziers qu’on fait ambassadeurs parce qu’ils ont décroché leur brevet des collèges.
Ce genre de vanne glisse sur Jérémie comme le juliénas sur la glotte de Bérurier : il n’y réagit plus depuis lurette.
— C’est quand même une histoire peu banale qui te tombe dessus, grand.
— Pas mal, merci.
— Je peux te poser une question indiscrète ?
— Ce sont les seules qui soient intéressantes, ricané-je.
Le jeune sommelier qui me connaît, vient s’occuper de réanimer nos verres en perdition.
— Qu’est-ce qui t’a poussé à agir comme tu l’as fait en découvrant ce foutu bras ? Je veux dire, pourquoi le faire évacuer au lieu de démarrer l’enquête sur place ?
— Bonne question, en effet, dis-je. Attends que je réfléchisse…
— A cause de la petite souris qui te botte ? propose ce fin psychologue.
— Il y a peut-être une partie de l’explication. En fait, je crois que j’ai eu pitié de cette famille dont le père meurt. Il m’a recommandé, quand je l’ai quitté, de veiller sur ses filles.
— On ne peut pas dire que tu aies le cœur sec, fait Blanche-Neige en dégustant une gorgée de bordeaux. Dans les grandes lignes, que penses-tu de l’affaire ?
— Qu’elle n’est pas simple.
— Dès le départ, c’est du roman, renchérit Jéjé. Pour le bras, tu continues de croire à l’acte d’un cinglé ?
— Non.
— Moi non plus. Tout ça est « ciblé ».
— Qu’entends-tu par là ?
— Qu’une forme de persécution s’exerce sur la famille Masson. Cela a débuté par le père qu’on a irradié, ou à qui on a fait croire qu’il l’était. Ensuite ce débris humain dans le salon… Ne crois-tu pas qu’on devrait passer la vie de cette famille au peigne fin ?
— Effectivement, admets-je.
On nous apporte une salade de homard à l’huile d’olive qui nous fait frissonner les gustatives.
* * *
La pharmacie de Mme Masson fait l’angle du square Rouvidan et de la rue du Président André-Sardat. Trois vitrines en façade, dont l’une expose une collection de pots de pharmacie anciens, une peinture laquée vert anglais. Deux croix vertes, lumineuses, sur chacune des deux façades. La clientèle est nombreuse, ce qui indique un chiffre d’affaires confortable.
J’entre. Des jeunes filles en blouse blanche s’affairent en un ballet bien réglé. Un mec basané, à lunettes et qui cultive une moustache à la Julio Iglésias (qu’est-ce que tu dis ? Julot Iglésias n’a pas de moustache ? Ben il a raison. En tout cas, s’il en portait une, elle ressemblerait à celle du potard ci-dessus. Et maintenant, fais plus chier : je continue) semble couvrir l’activité des jolies préparatrices. Peut-être qu’il couvre certaines d’entre elles pour de bon ; elles en valent le coup et la chandelle !
Comme il y a pas mal de personnes devant moi, je profite du temps mort pour examiner les lieux et les êtres. Les êtres surtout sont passionnants. Six gonzesses dont une seule est un peu tarte (cela dit, si j’étais naufragé sur une île déserte avec elle, je lui ferais sa joie de vivre sans parler de tous les préambules que je déploie avec des frangines plus choucardes qu’elle.) Les cinq autres, je te dis pas. A leur vue, j’ai le mandrin qui exécute un triple nelson dans mon ravissant caleçon à manches courtes.
Pour tenter de réfréner, je pense à des choses tristes : la faim dans le monde, la propagation inexorable du Sida, la gueule du prince Charles ; mais rien n’y fait. Beaucoup de mes lecteurs (jaloux, peut-être, voire inquiets) doutent de la réalité de mes prouesses plumardières ou s’inquiètent de mon obsession sexuelle. Je voudrais qu’ils sussent, une bonne fois pour toutes, que tout ce que je rapporte dans mes écrits EST VRAI. Et qu’ils se rassurent à propos de « l’obsession ». Je ne passe pour obsédé qu’auprès de ceux qui sont niqués du kangourou.
Dieu merci pour les dames, sans toutefois foisonner, nous sommes un bon certain nombre dans mon cas. Pourquoi le Seigneur, dans Sa grande bonté divine, nous a-t-il fourni ces attributs si ce n’était pour les utiliser le plus possible ? Tu crois qu’Il m’a doté d’une bonne chopine joufflue pour m’inciter à l’abstinence, toi ? Tu Le prends pour qui Le Seigneur, Bazu ? Pour un maso ? Un viceloque qui crée la tentation afin de t’expédier aux enfers, comme les pandores se placardent sur les autoroutes afin de faire leur fête aux goulus de la vitesse ? Zob, mon pote ! Plus tu vas au gourdin, plus Il biche, le Seigneur. Simplement, Il te demande de faire de tort à personne. D’être discret pour épargner les cocus. Sinon, que t’écarquilles les miches de toutes les nières que tu rencontres, Il est partant, le Seigneur. Pas père Fouettard le moindre.
Faut t’accomplir avec ta rapière, l’aminche ! Massacre à la tronchonneuse ! Joie des sens, paix de l’âme ! L’homme qui vient de baiser est disponible pour sa conscience. Plus hanté du tout par les désirs obsessionnels, piges-tu ? Une fois les couilles à plat, il peut devenir charitable, tendre la main à son prochain et servir la gloire de Dieu, l’homme. Mais je te mets au défi, un zig avec les rognons du bas qui lui remontent jusqu’aux amygdales, oui, je te mets au défi qu’il soit altruiste, qu’il ait envie de s’engager au R.P.R., dans la Légion, voire seulement de repeindre sa salle à manger !
Tout ça, je te le serine depuis des lustres, je sais, mais faut marteler pour arriver à enfoncer son clou. Et moi, des clous de ce genre, j’en ai des flopées à planter. C’est plus des clous, c’est des semences.
— Vous désirez, monsieur ? demande une exquise brunette aux yeux salingues.
— Si je vous le disais, vous me flanqueriez une gifle, réponds-je à mi-voix en lui montrant ma pine dans mes yeux.
Elle sourit, pas confuse mais amusée et, tout au fond de sa culotte, plutôt partante pour plus tard.
— J’aimerais parler à Mme Masson.
— Vous êtes représentant ? cesse-t-elle de sourire.
— Dans un sens, oui, rétorqué-je. Je représente la police française au plus haut niveau.
Discrètement, je lui laisse entrevoir ma sacro-sainte carte sur laquelle le sigle bleu, blanc, rouge fait plus tricolore qu’ailleurs.
Elle prend cet air craintif qu’ont les honnêtes gens en présence d’un flic.
— Je vais la prévenir, me dit-elle.
Des bonbons pour la gorge sont proposés à la clientèle dans une coupe de faux albâtre, j’en prends un, bien que du côté gargane rien ne laisse à désirer. A peine l’ai-je dans la clape que je déplore, biscotte ce truc a un goût de merde macérée dans un sirop pectoral. Adroitement, je le crache dans le sac à main ouvert d’une dame qui attend sa monnaie.
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