Un murmure de stupeur passe sur la conviverie. L’amputé député dépité se tient la gogne. Une mousse rosâtre suinte entre ses lèvres ; sans jouer les pythonisses, je te parie un pansement herniaire contre la peau de tes roustons qu’il vient d’abandonner deux ou trois ratiches dans mon geste de mauvaise humeur.
Je visionne l’édile dans le blanc des yeux (bien obligé : il tourne de l’œil).
— Vous m’avez feinté une fois avec votre voyage bidon à Paris, vous ne me berlurerez pas une seconde. C’est votre pétasse et non votre femme qui a renversé la gosse pendant que vous lui bricoliez le frifri. Si je porte le pet, votre mandat de député ira voltiger dans une décharge publique et vous irez partouzer au bois de Boulogne, comme tout le monde. C’est clair, ou je dois traduire ça en braille ?
Son regard m’exprime la soumission.
— Je pense qu’on finira par se comprendre un jour, assuré-je. Tenez-vous à carreau, mon vieux !
Puis, me tournant vers Eve :
— On va stopper là les cours d’éducation sexuelle. Suis-moi !
Et alors, tu sais quoi ?
Il me vient la chair de poule rien que de te le répéter.
— Foutez-moi la paix, grand con ! elle me sort. J’en ai ma claque des boy-scouts !
O Dieu, l’étrange peine…
N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?
Il me semble que ça me ferait du bien de mourir un peu ; pas longtemps, juste pour dire.
Le motel est davantage silencieux qu’une chaude-lance. Les vacanciers, soûlés de grand air du large, roupillent à qui mieux mieux. Minuit a sonné depuis lulure au clocher d’un village, puis aussitôt après, à celui d’un autre. Le grondement de l’océan n’en a cure et enfle les confins.
Deux plombes que je me tiens à l’affût, tel un chasseur derrière ses fascines. J’ai amené un fauteuil de toile pliant derrière un buisson de lilas et j’attends. Qu’heureusement la nuit est douce comme la peau de mes roustons. Est-ce une grâce du ciel ? Toujours est-il que je ne m’ennuie presque jamais en cours de planque, je crois te l’avoir déjà signalé dans de précédents ouvrages classés monuments historiques. Un don indispensable chez un poultock, fût-il futile et de haut niveau. Je possède la rare faculté d’être une bonne compagnie pour moi-même. Je pense tant, mon pote ! En couleurs ! Et me renouvelle sans trêve. J’ai toujours des choses à me raconter, des conseils à me donner. J’envisage des jolies phrases, des parties de cul à péripéties grisantes, des voyages avec et sans m’man, des prières sympas à adresser à Dieu, des fois qu’Il existerait pour de bon.
La pauvre Grabote est rentrée de l’hosto pour apprendre que son petit crevard avait tenté de se vaporiser une bastos dans le cervelet et y est retournée fissa. J’ai idée que le motel de La Barque sur le Toit ne va pas tarder à péricliter, en l’absence de ses proprios. Une affaire qui n’est plus gérée au millimètre prend vite de la gîte. En fait de malheurs en série, elle est servie, la pauvre Cosette. Mais aucun Jean Valjean ne viendra l’arracher de la mistouille. Elle continuera de thénarder, sa vie durant, la demi-sœur de Berthe. C’est son lot. T’as des gens qu’arrivent jamais à s’arracher de la gadoue. Ils sont nés pour la merde comme d’autres pour la brillante réussite, et rien ne pourra leur tenir la tête hors de la fosse septique. La fatalité, que veux-tu.
Je suis bien, par cette nuit de fin de saison, encore douce. La mer que je ne vois pas danser me berce et une torpeur pleine d’odeurs légères m’envahit.
Et puis, au moment que je dodeline, un glissement. Tout de suite aux aguets, le rutilant. Bandé comme un arc d’amazone !
Le bruit se rapproche. Je reconnais un pas d’homme. Une ombre traverse le potager plus ou moins productif que le malheureux motelier essaie de bêcher, à moins qu’il ne confie cette tâche à sa guenon ?
Bientôt, la silhouette du demeuré surgit d’une touffe de groseilliers. Parvenu sur la partie réservée aux cellules des pensionnaires, l’Intello s’arrête. Il y a de l’animal sauvage chez cet être simplet. Il attend un instant, puis, se décidant, marche vers le bâtiment des locataires.
Moi, tu me connais ? Dans certaines circonstances particulières, mon sixième sens se déclenche. Ainsi, maintenant. Je sais à quelle chambre il frappera.
Infailliblement, il va à la fenêtre de la gonzesse pas mal qui bain-de-soleillait tantôt. Tu te rappelles, Emmanuelle ? Une frangine loin d’être locdue, comme presque toutes les vacancières du motel.
Le rideau de raphia qui aveugle la pièce est remonté. Le déplafté se colle contre les vitres et regarde, façon Michel Strogoff avant qu’on lui carbonise les lampions avec une lame de sabre portée à l’incandescence.
Ça doit payer car il tarde pas à dégager la collerette de son bénouze pour sortir sa bitoune à longue portée. Le voilà parti pour le rassis du siècle.
Profitant de ce qu’il est suroccupé, je m’approche à pas de carnassier affamé. En me mettant en biais, je parviens à couler un œil dans la chambre ; suffisamment pour découvrir la pensionnaire des Paray, vêtue d’un peignoir grand ouvert (grand, tout vert) et débarrassée de ses dessous, avec un pied posé sur une chaise, le corps cambré, en train de s’interpréter « Retourne à Sorrente » au médius vibreur. Selon mon entrapercevance, elle est dotée d’un chouette tablier maçonnique, dans les châtain-blond, fendu par l’entrée d’un hangar à pines de couleur « rose humide ».
L’idiot, qui décidément ne fait à peu près que cela dans la vie, se malmène le frein à main avec l’énergie du désespoir. Il est vite récompensé de sa vaillance par un lancer franc séminal qui causerait un accident grave pour peu qu’il atterrisse sur un pare-brise, côté conducteur. L’homme de Neandertal ponctue d’un râle bref, suivi d’un juron d’une grande sobriété car il ne met pas en cause le nom du Sauveur. N’ensuite, l’Intello rengaine ses bas morcifs, pète de bonheur et, sans un regard excédentaire pour son égérie, retourne à sa tanière, le cœur en fête, les couilles vides.
Pas mécontent d’enfouiller le gros lot, je me répète ce que me disait papa, quand j’étais chiare : « Tout vient à point à qui sait attendre. » Je macère dans le genre d’affure où il ne faut rien brusquer. Tu vas, viens, jettes la graine au loin, dirait le père Hugo. Et puis t’attends l’époque de la moisson.
La petite Eve et son vilain logeur. Le député-chauffard dont la gerce court-bouillonne du réchaud. Les concierges de nuit de l’Hôtel du Premier Consul . Le saint-bernard-palissy qui me fouinasse l’oigne. Mathias enchevêtré dans ses amours naufragées. M. Blanc et sa tribu. Et puis maintenant, cette dame pensionnaire, nécessairement mêlée à l’affaire, et qui achète la discrétion du fané de la coiffe en lui montrant sa chatte de gala… Very interessinge.
Tu vois, Eloi, une enquête de ce type, faut se la jouer à la patience. Etre présent et ne rien brusquer. T’as des enquêtes où il convient de secouer la tirelire si tu veux récupérer la mornifle, et puis d’autres, où tu manœuvres comme à la pêche au coup. T’as « engrené » le coin et t’attends, sagement assis sur ton pliant, que le bouchon dansotte et s’enfonce, pour « ferrer » l’animal. Dans le premier, c’est l’énergie qui te fait monter à l’assaut ; dans le second, tu puises dans ton stock de patience pour décrocher la timbale.
Le demeuré parti, je poireaute plus de vingt minutes au clerc de la hune, pas que la vacancière associe la visite que je compte lui rendre à la prestation de l’Intello. Je mets ce laps de temps à profit pour gamberger à bloc, tu t’en doutes. Si l’on parvenait à transformer en énergie nucléaire l’effervescence de mes méninges, on convertirait Marcoule en fabrique de capotes anglaises.
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