Je m’efforce donc. Ce qui ressort est un compromis en Julot Iglésias, Haricot Machiasse et Marcello Masse-trop-Yanni.
Sonnerie brève. Décrochage presque immédiat ; évidemment, « il » est à son burlingue !
— Motel de la Barque sur le Toit écoute.
Bien une tournure de phrase à la pleutre !
— Y a plus de barque sur ton toit, Fesse-de-rat, je lui dis-je en trivialant à l’excès, faudra que tu débaptises ton usine à rabbits .
Je sens qu’il devient instantanément exsangue et que son souffle ne lui permettrait plus de gonfler une capote anglaise de Japonais.
— Qu… qu… qui êtes-vous ? parvient-il à demander.
— T’as entendu causer des « nettoyeurs de tranchées » de la Grande Guerre, branleur ? Eh bien ça, en quelque sorte.
Sa respiration saccadée fait un bruit de gogues de gare, quand plusieurs voyageurs défèquent simultanément dans les rangées de cabines en froissant leur faf à train (si j’ose dire).
— Tu visualises bien le topo, Niacouet ? reprends-je. T’as dépassé les limites d’usage et nous allons aborder la phase finale. Note qu’on va pas te bousculer : je te laisse cinq minutes pour réfléchir. Passé ce délai, tu mets les pouces, sinon tes funérailles auront lieu avant la fin de la semaine, et t’auras ton zob dans ta bouche pour faire plus rigolo quand tu te présenteras devant ton créateur.
Je raccroche sec.
A cinquante-deux mètres dix de la cabine, se trouve un charmant bistrot où des pêcheurs aux cuissardes crépies d’écailles de poissecaille éclusent du frelaté. Ils parlent à l’éconocroque, par onomatopées d’occasion. Dur métier qui t’apprend à fermer ta gueule et à ne pas penser trop littéraire. Quand tu passes ta vie à t’arc-bouter sur un pont en mouvement, t’es peu porté sur l’échec de la métempsycose dans le christianisme.
Polis, ils m’accueillent d’un hochement de tête prudent et ma qualité de mec venu d’ailleurs les réduit au silence complet.
Je commande une bière et joins mon mutisme au leur. Toujours ce bruit immense et lancinant de l’océan montant inlassablement à l’assaut de la terre. La léchant pour mieux la ronger.
J’essaie de gamberger. Plus je phosphore, plus je me dis que fatalement le petit beauf-grignette du Mastard détient un secret, et que c’est because celui-ci que d’étranges personnages se bousculent au portillon de l’île d’Oléron. Rien n’est jamais gratuit. Hormis un malade mental, aucun homme n’agit sans raison.
J’écluse ma bibine dessoiffante à longs traits, comme disent les charretiers. Il est temps de renouveler mon appel.
Il se tenait aux aguets, car il décroche avant la fin de la première sonnerie.
— Alors, Baratte-à-merde, qu’as-tu décidé ? dis-je d’un ton mutin.
— Ça ! il hurle.
Une forte détonation m’escagasse le tympan droit. Suivie d’un choc sourd.
Puis c’est le silence !
Je m’abstiens de regarder avec hébétude le combiné téléphonique, comme le font les gaziers de cinoche sous le coup d’une forte émotion. Sobrement, je le replace sur sa fourche caudine. Je me sens davantage glacé que le marbre servant d’étal à une poissonnerie. Le cœur du poète que je suis bat à 40 pulsations. Mon sexe est plus recroquevillé qu’un escarguinche à la parisienne au fond de sa coquille.
— Seigneur ! fais-je familièrement à Ce dernier ; pourquoi avez-Vous permis que mon initiative à la con conduise ce paumé au suicide ?
Je m’en vais en tubitant, ou en titubant, je ne sais. J’en oublie de carmer ma bibine, ce que la cabaretière me rappelle d’un hèlement de piroguier depuis sa terrasse.
Je reviens lui fourrer un talbin de cent points dans le pli de sa ligne de vie (elle n’a pas de ligne de chance).
Lui bredouille de « garder la monnaie », ce dont elle s’acquitte avec un étonnement magistral.
M’en vais, du pas lourd des mareyeurs à travers leurs plantations d’huîtres.
On m’interpelle.
Une voix de store, dirait Béru (dont la cruelle absence m’est douloureuse).
— Directeur !
Mouvement de tronche de l’apostrophé.
Qui reconnaît l’énorme docteur Paranaud, habillé en vieux motard que j’aimais (« mieux vaut tard que jamais », je te l’ai déjà faite mais je ne m’enlace pas).
Il est à bord de sa décapotable superbe : mi-Tarass Boulba, mi-Tartarin de Tarascon. Son casque de cuir aux oreilles de basset artésien complète son aspect « Bonhomme Michelin » des anciennes affiches.
— Cette enquête avance ? fait-il en stoppant sa ronfleuse.
Je m’en sors par des onomatopées riches d’évasiveté.
— Y a fallu que je revienne à Oléron, m’explique-t-il, alors que je ne lui demande strictement rien. Figurez-vous que j’avais perdu mon permis de conduire et ma carte d’électeur en bouffant le cul de ma gentille hôtesse. Ces putains de papiers étaient tombés de ma poche revolver et, après minette, la prenant en levrette, ainsi qu’il est d’usage, je les ai envoyés sous le plumard du bout du pied.
— Vous tombez bien ! finis-je par éructer comme un Etrusque brusque.
— Pour quelle raison ?
— Venez avec moi jusqu’au motel de la Barque sur le Toit , Doc, et vous le saurez.
Pas contrariant, il remet sa ronfleuse en marche et m’escorte sans me proposer de monter à son côté ; d’ailleurs y a plus de place.
L’établissement est tranquille. Des chiares jouent à promiscuité. Se peut-il qu’un coinceteau si innocent soit le théâtre de drames ? Bonne question ! Il fallait être San-Antonio pour oser la formuler. Remercions-le de l’avoir posée, mes bien chers frères.
Tu sais que, généralement, c’est jamais ce que l’on avait imaginé qui se propose à ta vue ?
Ben là, si.
Je voyais la scène telle qu’elle est : le beauf à son méchant burlingue, la tronche sur le sous-main réclame (vantant les mérites indiscutables de la prestigieuse Suze dont mon père fit une large consommation en l’additionnant de sirop de citron afin d’en tempérer la riche amertume), un bras pendant, l’autre curieusement recroquevillé et dont la paluche serre encore un vieux pistolet au canon marqué de rouille. Oui : c’était pile commako dans mon imaginaire. Une vision du type « O », à développement instantané.
Je désigne le suicidé à Paranaud :
— Même si vous n’aviez pas perdu votre permis, il vous aurait fallu revenir, Doc.
Le Michelin du scalpel en émet un pet admonestateur qui couperait la chique à une diva d’opéra s’apprêtant à attaquer le grand air de « Marguerite » dans Faust .
— Chié-la-bite ! grommelle l’obéso-scientifique. Qu’est-ce qu’il leur arrive, sur cette île de mes couilles !
Il arrache son casque de cuir râpé et se penche sur le beauf. Tout en l’examinant, il lui parle, selon son habitude :
— Montre un peu, Ducon ! Alors t’as voulu aller à la foire aux asticots. Mais tu vis encore, Tête-de-paf ! Et tu te paies même un quatre-vingt-dix de pulsations tout ce qu’il y a de correct pour un crevard de ton espèce ! Bon, t’as bougé au moment de presser la détente, à moins que ce ne soit l’instinct de conservation, petit drôlet. La balle est partie en biais. Ta portugaise est déchiquetée et a vachement saigné.
« Voyons le temporal… Un sillon peu profond. La bastos a fait péter une partie de l’arcade sourcilière. Faudra que tu portes des lunettes à grosses branches pour masquer la cicatrice, plus tard, mais tu seras pas plus moche pour autant ! Ta tension, Dunœud ?… Quinze, huit ! Putaine, si je pouvais avoir la même, j’en ferais mes choux gras !
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