Devant les clapiers, plusieurs misérables transats de toile décolorée. Des dames y prennent le soleil. Les plus vieilles tricotent en jacassant d’un bungalow à l’autre. Une vachasse bourreletteuse offre ses cuisses bleues aux rayons de l’astre du jour, comme disaient les Romantiques du siècle dernier, qui ne chiaient pas la honte. La dame la mieux du lot, une châtaine-blonde avec de grosses lunettes noires, lit un bouquin de Stephen King qui doit peser 3 kilos 600.
Je coule un regard à la fois con, cul et pissant sur la vacancière que j’allusionne. J’apprécie son soutif noir, son short blanc, ses longues cuisses ambrées, ses ongles de pieds vernissés carmin. M’attarde sur ses genouxes bien ronds (dirait le Mammouth). La personne doit envisager la quarantaine sans trop paniquer. Le genre de gerce capable de tenir le premier rôle féminin dans « Le bidet en folie ». D’emblée, je me dis qu’il doit être plus joyce de l’escalader que la Roche de Solutré.
On s’éloigne de cette femme comestible, Grabote et ma pomme (en anglais : my apple ).
La pauvre gerce est intimidée, voire carrément craintive.
— Vous avez quelque chose de grave à me dire ? elle s’inquiète.
M’abstiens de répondre. C’est toujours bon, comme dans le cas présent, de laisser mijoter à feux doux une épouse telle qu’elle dans les crainteries.
— Voyez-vous, chère amie, lui dis-je-t-il après un silence si prolongé qu’elle doit en faire pipi dans ce que je n’ose appeler sa culotte, je crains que votre cher époux ne m’ait pas tout dit.
— A propos de quoi ?
— A propos d’un peu tout. Votre affaire n’est pas claire. Je n’arrive pas à piger pourquoi « on » s’est donné le mal (car c’en fut un) de hisser un ex-camarade d’Ambroise sur le toit de votre motel alors qu’il était mort. Je pige moins encore les motivations de ses deux agresseurs qui l’ont à moitié massacré sans lui parler. Quand des mystères de ce calibre échoient à un individu, c’est que ce dernier est le pivot d’une affaire de première classe.
Elle récrie, avec fougue et sanglotage vocal :
— Broisy ! Vous ne pouvez pas savoir à quel point sa vie est irréprochable, depuis des années ! Il suit le droit chemin, je vous en conjure. Honnête jusqu’au bout des ongles. C’en est devenu de la maniaquerie de sa part.
— Et vous n’avez pas la moindre idée sur les raisons d’un tel micmac ?
— Pas la moindre ! Il est pris dans un engrenage dont je comprends rien, monsieur San-Antonio.
Elle ajoute :
— Si vous mettiez la main sur ses agresseurs de l’autre nuit, peut-être qu’ils pourraient vous fournir des explications ?
— C’est une excellente suggestion ! approuvé-je, je vais y réfléchir.
Elle semble calmée par ma promesse puis, soudain, pousse un cri qui rappelle à s’y méprendre celui de l’otarie en rut.
— Vous ne savez pas ce qu’il arrive à ma pauvre Berthe ?
— Quoi-ce ?
— Ils lui ont fait prendre un médicament à l’hôpital, qui lui fait pousser la barbe. On dirait la photo de Karl Marx, on va être obligé de la raser, parce qu’il y aurait des hormones mâles dans le produit !
— Berthe en femme à barbe ! Voilà qui ne doit pas manquer de piquant, plaisanté-je, séduit par cet aspect nouveau de la Baleine. Notez qu’elle a toujours eu le système pileux fort développé.
— C’est juste, reconnaît la Cosette d’Oléron. Mais c’était surtout au bas-ventre que ça se propageait.
Nous sommes interrompus par le joyeux hèlement de l’adjudant Narguilé.
Il s’avance vers moi, tout frais, les joues talquées, le sourire comme une tranche de pastèque dont les pépins seraient blancs.
— Vous n’étiez pas là, hier, fait-il en pressant ma dextre ouvragée de la sienne.
— J’ai dû faire un aller-retour à Paris, réponds-je. Votre enquête progresse ?
— On a retrouvé une Range-Rover abandonnée dans le bois de Beauregard. Le véhicule a été volé à Paris, il y a plus d’un mois à un architecte. J’ai demandé à ce qu’on relève les empreintes. Une fouille approfondie n’a rien donné.
Je ne puis m’empêcher de penser que si elle avait été effectuée par l’illustre Sana, il n’en serait peut-être pas de même.
C’est de la suffisance de ma part, tu crois ?
Autrefois, y avait peu de magouilles connues dans le monde politique. Quand un problo surgissait, même pas un gros, le gouvernement tout entier sautait. Ça ne badinait pas, espère. Un édile pris à partie par la presse se filait une bastos dans la bigouden, pas survivre au déshonneur. A notre époque de haut pourrissement, ça se déroule plus pareil. Les gars en place se goinfrent, bâtissent des châteaux çà et là (mais pas en Espagne), trafiquent de n’importe quoi, bref usent et abusent de leurs fonctions pour baliser leurs comptes suisses. T’as bien quelques vaillants petits juges qui tentent et intentent pour essayer d’endiguer la vérole, mais ils sont mal vus « d’en haut lieu ». Passent pour des énervés qu’il faut tenir à l’œil et moucher à la première occase. Les chevaliers ammoniaqués se font critiquer là où c’est pas fameux de l’être. Ils sont attendus au virage, ou bien en bas de leur domicile pour une tisane party de plomb fondu. Ce sont les héros des temps modernes, comme quoi le droit mène à tout.
Pour te dire que la masure [10] Pardon, Bruno.
du député Genouillé Maurice, dans la partie résidentieuse de Rochefort, c’est pas de la maisonnette de garde-barrière.
T’as vu jouer « Autant en emporte le ventre » ? Tu te rappelles la crèche coloniale de Scarlatine au Haras ? Ben ça, en plus abouti. Des champs, des bois, des grèves (sans grévistes), plus un domaine capable de reloger l’école de Saint-Cyr.
Naturliche, sitôt que je me pointe sur l’esplanade, le gros saint-bernard à la con vient me filer sa truffe d’une livre dans le bénouze ! Tu sais qu’il me cloque des complexes, cet animal ! Je décris une volte et lui place un coup de genou dans la physionomie. Sec ! Ça fait un bruit de contrebasse à cordes qui vient de choir.
Contrit, le sahara-bernard évacue ses quatre-vingt-cinq kilogrammes de barbaque ainsi que ses perversités en direction d’un massif de fleurs et l’arrose d’urgence. Pas grave : y a que la pisse de chienne qui désherbe.
Un gazouillis de converse féminine attire mon attention. J’avise, sur ma droite, un temple d’amour drapé de rosiers grimpants qui fait songer à un dessin de Peynet.
A travers les fleurs, j’aperçois mes deux gentilles dames sur un banc romantique en fer forgé, dans une posture gracieuse encore que relâchée. Solange Genouillé est assise à une extrémité du siège, tandis que sa « victime » s’y tient allongée, sa ravissante tête sur les genoux de l’hôtesse. L’une et l’autre portent un short très étroit et un chemisier dont les pans sont noués au-dessus de la taille, ce qui libère leurs ravissants ventres plats.
Je me retiens de bouger, voire de respirer, pour ne pas trahir ma présence. Dieu que ce tableau est plaisant ! Je voudrais pouvoir le lécher sans omettre le moindre centimètre carré. Une féerie. La châtelaine, puisqu’il ne faut pas toujours l’appeler par son nom, ce qui fastide à la longue, a dégrafé le corsage de sa jeune invitée et lui caresse délicatement la gorge (c’est commak qu’on appelle les loloches d’une ado dans le grand monde où je suis parfois invité). Eve ferme les yeux. Elle semble trouver ce massage mammaire intéressant. Dis : c’est l’aubaine. La pension est bonnarde. Bien mieux, que le campinge de la « Maugréance » où le vieux salingue cherchait à lui fourguer son brise-jet-verseur ! Elle a un succès monstre, la jolie fauvette. Les barbons, les petites dames frivoles, les policiers célèbres, tous tombent sous son charme ! M’est avis que, bientôt, c’est plus un Solex qu’elle se fera offrir, ma protégée, mais le chouette cabriolet Mercedes.
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