Je bois du petit lait.
— Il est probable qu’elle s’est aperçue de cette surveillance, il y a un mois. Et elle s’est donné peur. On l’a alors supprimée. Kurt, le chef de l’organisation secrète en Angleterre a mis sa fille à sa place, sans doute mijotait-il ça depuis longtemps. Et sans doute aussi tenait-il à disparaître officiellement car il savait que tôt ou tard son usurpation d’identité serait découverte.
— On a enterré Elia Filesco sous le nom de Paste Arthur… Jolie combinaison… Mais alors, comment s’explique le carnage du cottage ?
Rowland sourit.
— Probablement à cause de vous, dit-il…
— À cause de moi ?
Il a un hochement de tête mystérieux.
— Mais oui, à cause de vous… Il est évident que votre véritable profession a été découverte par « eux » dès le premier soir.
« La fausse Elia est allée dans la maison truquée afin de pouvoir s’échapper de… son entourage et rejoindre quelqu’un.
« Mais son père la surveillait. Il vous a vu pénétrer dans l’immeuble. Ensuite il vous a suivi. Vous m’avez dit être allé à la poste pour téléphoner à votre chef, ça était un jeu d’enfant pour lui que d’écouter votre conversation d’une cabine voisine. Sans doute comprend-il le français… Il a alerté Hildegarde et lui a ordonné de vous supprimer au cottage avant de « réceptionner » les gens du large…
J’admire l’expression, elle est romantique à souhait. Les gens du large ! Ça ferait mouiller un romancier pour jeunes filles en transes. Pour la poésie il me dégomme, Rowland.
— Je vois les choses ainsi, dit le chef inspecteur : des « gens » ont débarqué d’un sous-marin comme prévu, puisque le pavillon était hissé. Hildegarde-Elia les attendait en compagnie de sa sœur, laquelle l’avait rejointe par le chemin de la lande où elle était venue en voiture… Seulement il y a eu bagarre car les deux sœurs, au lieu de recevoir ces hôtes nocturnes, voulaient repartir avec eux à bord du sous-marin… Votre intervention les avait effrayées et elles se donnaient peur. Les arrivants ont alors, devant leur résolution, employé les grands moyens…
« Ils ont commencé à charger dans le coffre de l’automobile le cadavre de Gloria… À cet instant vous êtes revenu à vous… Ils se sont enfuis par la falaise et ont attendu. Ils ont vu la voiture filer. Alors ils ont baissé le pavillon et ont gagné la route par le sentier, la route où stationnait une auto.
— D’où vient alors qu’ils aient attendu si longtemps auprès des cadavres ? Non, Rowland, vous ne faites qu’effleurer la vérité. Lorsque je suis revenu à moi, le corps d’Hildegarde-Elia était presque froid, la mort remontait à plusieurs heures. S’ils ont attendu c’est parce que Gloria n’était pas encore là. Gloria qui devait les convoyer par la route jusqu’à une retraite pépère… Mais ils savaient que Gloria était la frangine d’Hildegarde et qu’elle prendrait fort mal les choses lorsqu’elle saurait que sa sœur était morte. Quand elle est arrivée ils lui ont fait boire du vin empoisonné et ça lui a moins bien réussi qu’à mézigue ! Ils l’ont alors chargée dans le coffre de la Frégate, c’est vrai, et ils s’apprêtaient à faire de même pour Hildegarde quand j’ai remué dans la turne. Comme ils me croyaient mort ils ont pensé qu’un autre danger les menaçait et ils sont partis…
— C’est bien, fait Rowland… C’est très bien, d’arriver à reconstituer l’affaire sous son vrai jour avec des données aussi confuses…
— Vous avez des nouvelles de… Kurt-Paste ?
— Aucune…
— Comment a-t-il pris le décès prématuré de ses deux filles ?
— Très mal, je m’en doute…
— Pas de cadavres à l’horizon ?
— Non…
— Ça commence à me manquer…
Je pense à une chose. Et je l’exprime tout haut.
— Pourquoi Gloria a-t-elle prétendu être congédiée par sa pseudo-patronne ?
— Pour vous donner le change sans doute. Voyons, on venait d’apprendre qui vous étiez et on voulait vous supprimer d’urgence. Pour cela vous deviez aller au cottage où cette opération devenait plus aisée. Mais avant votre départ vous pouviez éventuellement communiquer avec l’extérieur. Le renvoi de Gloria, ses larmes, vous laissaient penser qu’elle n’était qu’une soubrette dans tout cela…
Je puise dans le paquet de cigarettes que Rowland a déposé sur mon couvre-lit.
— Dites-moi, Rowland, et Katty ?
Il fait la moue.
— Celle-ci, dit-il, je l’ai à l’œil, car il est évident qu’elle a trempé dans l’histoire. Il est inconcevable qu’elle ait assisté à la substitution de sa maîtresse sans manifester la moindre surprise…
— Pour être de connivence, elle l’est, dis-je. Elle a alerté le gars qui m’a suriné, car elle seule savait le lendemain du drame de la plage que je n’étais pas mort !
« Que maquille-t-elle ?
— Elle vit à la campagne, chez son frère, je vous l’ai dit… Non loin d’ici… Je pourrais l’interroger mais je préfère la mettre en observation.
Il se lève pour partir.
— Vous sortez quand, d’une façon définitive ?
— Demain matin, le toubib permet !
— Au revoir…
— Donnez-moi l’adresse de Katty, si des fois j’ai envie de lui envoyer des cartes postales…
— Son frère est fermier à Stone, banlieue d’Uxbridge. Il s’appelle Merriwel.
— O.K… Goodbye … Je passerai vous dire au revoir à votre bureau avant de rentrer dans mon patelin !
Il se coiffe de son bitos neuf avec la même conviction que mit le gars Napo à se coiffer de la couronne d’empereur.
Un geste de la main, et le voilà parti.
CHAPITRE XVIII
Cette chère Katty
Stone est un petit patelin grand comme un jouet de môme représentant un paysage de verdure avec des petites maisons et des vaches en carton.
Le premier peigne-cul que je rencontre me désigne la maison du sieur Merriwel et, en passant le seuil de cette carrée, la première personne que je rencontre, c’est la môme Katty soi-même, la trogne plus colorée que jamais…
Elle est drapée dans un châle noir et ses cheveux gris-roux ou roux-gris, au choix, lui pendent lamentablement devant la bougie.
Elle ouvre grand la bouche en m’apercevant, et fait un pas en arrière, exactement comme les traîtres de comédie lorsqu’ils voient rappliquer la pure jeune fille qu’ils ont jetée dans un cul de basse fosse…
— Allons, Katty, dis-je, remettez-vous, ma chérie…
Elle a le visage couleur aubergine et pourtant elle devrait être un peu pâle, la vioque.
— Tu vois, mon trésor, je ne suis pas mort ! fais-je… Il y a des gars qui ressortent du tombeau depuis que Jésus-Christ a donné l’exemple.
Je me réjouis de ce que Rowland n’ait pas parlé de moi dans les canards. Ainsi, Katty me croyait canné et ma réapparition lui file les flubes.
Autour de nous les poules caquettent dans la lumière blonde que, ce matin, le soleil dispense largement sur le monde. Il fait bon revivre.
Je pousse Katty à l’intérieur de la maison.
— Qu’est-ce que voulez à moi ? balbutie-t-elle.
— Te raconter une histoire, ma pauvre vieille… Une histoire dans laquelle personne n’est soi-même… Tu crois parler à une armoire et tu découvres qu’en réalité c’est un moulin à café… Tu dis bonjour à Elia Filesco et tu t’aperçois que c’est Hildegarde Kurt que tu as saluée… Tu embrasses la bonne et c’est la sœur de la patronne. Tu entres dans une masure et c’est un palace… Tu vas chez un mort, et il te suit dans la rue… Tu ouvres le tombeau d’un ancien officier et tu déniches une souris… Tu te places comme chauffeur dans la casbah et tu te rends compte que tu es flic… Tu as en face de toi cette bonne grosse vache de Katty, la cuisinière et…
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