Il fume deux cigarettes et se lève. Il se met à tourner en rond d’une façon qui montre assez que les séjours en cellule l’ont marqué. Ce naveton graisseux doit faire une virée au placard comme d’autres partent en vacances à La Baule.
Il fait sauter son feu dans ses mains et s’arrête de temps à autre afin de me contempler d’un air qu’il veut méditatif.
— Tu parles français, mec ? je lui demande…
Il hoche la tête.
— No …
— English ?
— Yes …
C’est pas que mon anglais soit fameux, mais il est suffisant pour me permettre de demander du thé à une barmaid. Seulement, comme dit Chose, c’est duraille à caser dans une conversation. Et puis, comme j’ai horreur du thé, vous parlez d’un avantage !
— I give you many money ! fais-je tout à coup…
Ça lui fait dresser les manettes au cher homme. Il a ses lampions qui s’illuminent comme des vitrines de Noël. Le fric, le blé, l’oseille, l’artiche ! Synonymes magiques ! Le pèze, la soudure, le carbi !
Il s’approche de moi.
— I have many money in my pocket …
Je n’espère pas négocier avec lui. C’est le genre grosse brute qui ne se laisserait pas amadouer. Mais ce que j’espère, c’est éveiller sa cupidité. Mon rêve serait qu’il se rue sur moi pour me fouiller. Vous allez comprendre pourquoi…
Il salive comme un boxer, ce tas de couenne. Le voilà à deux doigts de l’apoplexie… Il avance vers ma précieuse personne une monstrueuse main velue. Ses doigts boudinés frémissent. Il grelotte…
Je sens sa dextre s’insinuer entre mes liens pour arriver jusqu’à la poche intérieure de ma vestouze… Heureusement je suis ligoté serré, et re-heureusement sa patte est épaisse comme deux châteaubriant superposés.
Il ne peut la glisser comme il le souhaiterait entre les ficelles.
— Relâche les cordes, hé, patate ! fais-je… Il pige à cause sans doute de l’intonation et des circonstances qui parlent…
Après une courte hésitation, il commence à tirer sur mes liens. Je prends l’attitude du pauvre gars mort de frousse. Ça l’excite. Les faibles excitent toujours les brutes. Ils leur donnent la réconfortante impression d’être des souverains à l’apogée de leur puissance.
La corde qui m’entrave le buste et les bras devient molle. Toujours amorphe, le gars San-Antonio. Je retiens mes muscles mais je sens que j’ai une certaine liberté de mouvements.
« Viens-y, petit, dis-je mentalement au gorille. Cherche-le, mon beau pognozoff… Tu vas être marron. Marron, car j’espère bien pouvoir placer ma manchette auvergnate, et marron aussi si je ne la place pas, car je n’ai conservé sur moi qu’une somme insignifiante. »
Son mufle fait un bruit de soufflet de forge, à Zigomar. L’idée qu’il va peut-être alpaguer une pincée conséquente lui vrille la soupape.
Il avance sa main droite, seulement, pas crèpe, il garde la gauche en retrait avec le pétard plaqué contre la hanche. Ainsi organisé, il est chiche de me plomber au moindre geste insolite.
Je me demande si je dois essayer quelque chose ou bien voir venir et j’opte pour la première solution, comme toujours.
Vous savez, on ne se refait pas. Entre une cuterie et une chose sensée, je n’hésite jamais longtemps. C’est comme ça !
Sa grosse main écarte ma veste et plonge sur le compartiment intérieur. Prestement elle harponne mon larfouillet. Comme piqueur on ne fait pas mieux. Il n’a pas appris ça aux cours par correspondance de l’École universelle, Toto-la-Ripette !
Il a alors un geste instinctif pour ouvrir le portefeuille. Il faut se gaffer de l’instinct. Il a quelquefois du bon, mais plus souvent encore du mauvais…
Le gorille emploie les deux mains. Un simple réflexe, je vous dis… Mais qui lui est fatal car moi qui n’attends qu’une faille à ses fortifications, j’y vais de grand cœur…
Ce crocheton au foie, c’est du nougat de Montélimar dans un écrin de velours ! Toute la sauce ! Vingt ans d’expérience… Médaille d’or de l’Exposition internationale de Bruxelles… Plofff !
Je l’entends se dégonfler. Il pousse un ahanement de bûcheron prenant un chêne centenaire sur ses cors au pied. Il est penché en avant. J’y vais d’un coup de boule dans la pomme… Alors là, il commence à entendre la Neuvième de Beethoven… C’est le gros arrivage dans les clapoirs. Ses dents jouent aux dominos.
Il émet un nouveau grognement qui, s’il était enregistré, ferait bien dans une émission sur le zoo d’Anvers. Le hic (comme dirait Eisenhower) c’est que j’ai les pieds liés au fauteuil.
Si le gnace a suffisamment de lucidité pour reculer un brin, il pourra récupérer avant que je ne me sois libéré tout à fait et alors son feu qu’il n’a toujours pas lâché fera de la musique de chambre, je vous l’annonce. On pourra afficher le retour de Kid-Pruneau en première vision mondiale.
Cette tante recule en effet, mais ça n’est pas un geste qui souscrit aux exigences de sa volonté, il recule parce qu’il perd l’équilibre. À terre, il gigote comme un rat pris au piège. Il ne me reste que la seule ressource de plonger en avant, avec le fauteuil comme carapace. Moi j’aime jouer à la tortue, mais avec les dames seulement. Ici ça perd de son charme. Je cherche désespérément à choper la main du gorille pour lui arracher sa machine à éternuer du néant, mais il réagit. Son K.-O. était de courte durée. Il essaie de diriger le canon de l’arme contre ma hanche. J’écarte son bras en le saisissant par en haut… Il tire ! Ca fait un gentil chabanais. Une brûlure fulgurante me scie le dos un peu plus haut que la ceinture et une généreuse odeur de poudre se propage dans mon tarin. C’est plutôt la poudre d’escampette que je voudrais renifler… Celle-ci est mauvaise pour la santé…
Alors, gêné par le fauteuil qui m’écrase et par ce tordu qui rue dans les brancards, je lui mords le bras un peu plus haut que le coude. C’est pas pourtant qu’il soit appétissant, ce lustucru ! On le filerait à un banquet d’anthropophages, les convives refuseraient de régler l’addition. Il pousse sa bramante en si bémol majeur et lâche l’arme… Drôle de combat… Je dois avoir l’allure idéale, je vous le jure ! Comme tortue de mer je peux faire la pige à celle du Jardin d’Acclimatation.
La mêlée est on ne peut plus confuse lorsque la lourde s’ouvre. Le coup de seringue a attiré l’attention et les copains radinent pour voir qui s’amuse à casser la cabane. Il y a là le nabot et le petit vioquard triste… Ce dernier ressemble à un violoniste sans emploi. On dirait un joueur de harpe égaré dans un orchestre de jazz…
Mais pour le doigté, il manque de souplesse. En moins de temps qu’il n’en faut à votre percepteur pour vous adresser du papier de couleur, il m’a relevé et alors, pardon ! Pas rouillé, le sexagénaire… Sa mère lui a coulé du ciment dans les fumerons !
Il commence par me coller un coup de tranchant à la gorge… Puis, le nabot redressant mon siège-carapace, il me file un de ces coups de talon dans le baquet, de quoi tuer une famille de rhinocéros. À mon tour, je pose deux et je ne retiens rien !
Je sens mes tripes qui affluent à la gorge… Je suffoque… Le nabot m’invective tout ce qu’il peut… Le vieux qui a pigé le topo en voyant mon portefeuille à terre enguirlande son pote le gorille avec un luxe d’épithètes que je regrette de ne pas piger… Bref, il y a réception chez la reine…
Un peu meurtri, je finis par reprendre mon souffle.
Le violoniste en chômage se tourne vers moi.
— Mauvais, me dit-il, sévèrement.
— Et ta sœur, dis, Détritus ? Tu ne voudrais pas que ce paquet de lard me chourave mon fric sans que je renaude ? C’est la mode chez vous ?
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