Accroupi derrière le fauteuil je n’en mène pas large. C’est une position inconfortable pour voir venir l’existence… En cas de coups durs, on se fait repasser comme un futal de marié.
Le mec qui vient de s’annoncer dans le secteur décroche le bigophone, compose un numéro et se met à jacter à toute vibure. Sitôt qu’il a balanstiqué sa salive, il raccroche…
Je suis ses gestes grâce à son ombre qui se projette contre le mur. Je le vois s’agenouiller derrière son burlingue… Je me dis qu’il a découvert ma présence et que ça va tourner au caca avant longtemps… Je vous parie un extrait de naissance contre un extrait de café qu’il est en train de défourailler. Il va vaser de la praloche fourrée d’ici une paire de secondes. C’est emmouscaillant parce qu’un capitonnage de fauteuil intercepte la lumière mais pas les balles. Je me fais tout petit, tout petit, ce qui est un exploit difficile lorsqu’on pèse cent quatre-vingts livres…
Mais rien ne vient. Mon gnace demeure accroupi. J’entends un bruit curieux, pareil à celui que fait en se déplaçant une chose lourde montée sur un roulement à billes.
Mort de curiosité, je risque un petit coup de périscope de côté. Ce que je vois me sidère. Le type a fait glisser son classeur métallique sur le plancher et, ce faisant, il a dégagé une large et profonde niche creusée dans le mur.
Là-dedans, se trouve un poste émetteur de radio… Du coup, je pige pourquoi cette pièce a l’aspect d’un honnête burlingue d’homme d’affaires. C’est uniquement pour cacher la merde au chat !
Le type, vu de dos, se présente comme un bonhomme grand et trapu. Il est brun, calamistré, et loqué avec une élégance surannée.
Il coiffe un écouteur, tourne des boutons… Un léger zonzonnement se fait entendre. Alors, il se met à manipuler le système émetteur avec une dextérité qui lui fait honneur et qui lui vaudrait un engagement immédiat dans la marine marchande.
Moi, je ne moufte toujours pas… J’attends… J’espère toutefois qu’il ne va pas raconter sa vie en morse… Ce serait dommage pour mes malheureux membres qui commencent à s’ankyloser vachement !
J’ai notamment la quille droite bouffée par les fourmis… C’est affreux…
Profitant de ce qu’il a les portugaises obstruées, je modifie un tantinet ma position. Un léger craquement, dû au fauteuil, se produit. Je retiens ma respiration, comme si un silence total pouvait compenser un bruit. Mais le sans-filiste n’a rien entendu.
Il continue de tapoter sur son émetteur…
Et puis, comme dirait le gros Béru : ça se corse encore (sous-préfecture Bastia)… On cogne à la lourde. Le zig de la radio pose une question, on lui fournit une réponse, valable sans doute car il dit un seul mot et entre le fauteuil et le mur je vois entrer trois zigs dans la carrée. Ils relourdent et se dispersent dans les fauteuils tandis que l’autre achève son émission sur ondes courtes. Personne ne pipe mot. Un gros gorille c’est abattu dans le fauteuil qui me masque et a failli m’écraser contre le mur. Ce sagouin pue la brillantine de bazar… C’est une odeur huilée, pénible…
Enfin le technicien pose ses écouteurs et remise sa panoplie de petit-sans-filiste. Il s’assied au bureau, écrit hâtivement sur l’une des feuilles de papier blanc garnissant un tiroir et se dresse. Il fait craquer ses articulations.
On parle ferme, avec animation, je vous en réponds. Ou je me cloque le finger in the eye où il est question de Bérurier. Je n’entrave pas l’espago, mais à la façon dont ces braves gens bavochent le mot « francese », à tout bout de champ, je comprends que la disparition de mon pote est à l’ordre du jour…
Cette fois, j’ai l’impression que j’ai paumé ma flûte droite. On me la fait dissoudre dans de la soude caustique… C’est pas possible autrement ! Et pourtant non, elle est là, sous moi, mais je ne la sens plus ! Quand je vais me relever, ça va être joyce, je vous promets…
Pourvu que ces pieds nickelés ne tiennent pas un conseil de famille ! Supposons que leurs pourparlers durent autant qu’une conférence internationale, vous mordez d’ici le topo ? Le mec San-Antonio bouffé par les fourmis derrière un fauteuil ! Bath tableautin pour décorer les murs du musée de l’Homme !
Le gros pas beau qui occupe « mon » siège à la parole. Il sort soudain de sa fouille un larfouillet et le compulse. Voilà qu’un papier s’en échappe tombe sur le parquet. Je zieute : c’est le permis de conduire de Bérurier. Une photo d’identité du Gros figure sur la carte rouge. Là-dessus, il a trente berges de moins et il est presque désirable… pour une guenon en chaleur. Il me regarde d’un œil décoloré. Le type qui lui a chouravé son porte-lasagne se baisse pour ramasser la carte. Ses doigts boudinés sont maladroits. Au lieu de saisir le bout de carton, il le chasse sous le fauteuil. Alors c’est la grosse tuile creuse. Cet endoffé de première classe se lève et pousse le fauteuil afin de ramasser le carton. Il m’aperçoit et ses yeux s’exorbitent comme s’il venait de découvrir un serpent à lunettes dans son futal.
Je ne lui laisse pas le temps de réaliser sa douleur. Bing ! Un coup de crosse sur la noix et il part à la renverse sur le plancher. Je me dresse, le feu en poigne. C’est la grosse crise dans la strass ! Les mecs me poussent des exclamations sauvages et brandissent leurs pognes à qui mieux-mieux, fortement intimidés par mon apparition, mon feu et mon comportement avec leur pote.
Seulement, au lieu d’exploiter la situation, je suis handicapé par mes flûtes ankylosées. Ma sacrée jambe droite est inerte et je bascule en avant. Cette embardée suffit pour rompre le charme. Le mec le plus près de moi s’élance. Je baisse ma seringue pour lui donner le bonjour de Tu-Tues, mais avant que j’aie pressé sur le composteur, je bloque une baffe en pleine hure et illico il y a une éclipse totale de lune pour votre copain. La mandale est une réaction de petite fille, mais expédiée avec cette force on peut la considérer come un acte défensif.
Je titube. Une abominable douleur me vrille soudain la quille. Le raisin en se remettant à circuler dans mes veines me cause une douleur effarante. Soudain une grêle de coups s’abat sur moi comme un orage. Il pleut du gnon et j’ai beau ruer dans les brancards, je ne puis me dégager. Le gros que j’ai cabossé revient à lui, et à moi par la même occasion. Il se dresse, fait reculer un de ses potes et me cloque un coup de latte en vache. Pas moyen d’esquiver. C’est le bouquet final.
Je m’affale sur le dossier du fauteuil, pantelant, et je dégueule comme une fontaine en poussant des grondements de lionne en rut !
Comprenant que je suis groggy, ces messieurs suspendent la séance. Le gorille me tire en arrière et je tombe assis dans le fauteuil. Tout m’indiffère, je ne suis plus qu’une immense nausée. La douleur est tellement intense qu’elle dépasse mes possibilités.
Je sens comme une grosse vague noire et froide me submerger.
Vlouff ! J’y vais de mon viron dans l’au-delà !
* * *
Une douche glacée me ramène aux réalités. J’ouvre un store et je vois le sans-filiste armé d’une bouteille d’eau minérale. Il m’en déverse le contenu sur la frime…
Il annonce à ses copains que je suis de retour… Je m’ébroue. Mon bas-ventre n’est plus qu’une boule de feu. Ça me brûle à bramer ! Je voudrais m’asseoir dans un baquet rempli de glace pilée… Je souffre, madame ! Je souffre terriblement.
Le zig qui manipulait le poste clandé a un grand visage allongé, basané, marqué de petite vérole. Il possède des yeux intenses et tendres, d’un noir scintillant dont l’éclat est insoutenable.
Читать дальше